• Réunion 2/2 •

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Alors que le conseil d’Olympea venait juste de se terminer, trois bonnes heures s’étaient écoulées depuis que Terendul avait laissé sa cousine et Méliel derrière lui. Ces derniers commençaient à s’inquiéter de ne pas le voir revenir.

Après leur petite jouxte, Astal avait pris ses distances et s’était installée au bord d’un petit ruisseau qui coulait près du chemin. Perdue entre son inquiétude pour son cousin et son désarroi face à sa rencontre avec la vieille faune, elle avait senti le besoin de se ressourcer, et elle ne connaissait rien de mieux que de tremper ses pieds menus dans l’eau fraîche d’un lac ou d’une rivière. Elle était restée ainsi, immobile, les yeux perdus dans le vague, l’esprit brumeux, jusqu’à ce que Méliel la retrouve et s’installe à quelques mètres.

― Il va bien falloir reprendre la route à un moment, murmura-t-il après une longue hésitation. Terendul est tellement aveuglé par ses propres problèmes qu’il en a sûrement oublié la mission de cette expédition.

Astal était consciente que, pour une fois, le garçon avait raison. Mais elle ne pouvait pas se résoudre à le laisser derrière et gérer ses problèmes tout seul, alors qu’il avait toujours été là pour elle.

― Le soleil est déjà haut dans le ciel, et la forêt est trop sauvage pour qu’on se permette de voyager de nuit, ajouta-t-il.

― Il n’est pas si tard, défendit la demi-elfe en arrachant nerveusement les touffes d’herbes devant elle. On ne peut pas le laisser.

Méliel observa Astal, et détesta sentir l’empathie pointer le bout de son nez, mais finit par céder.

― On l’attend encore une heure, soupira-t-il en lui lançant un regard meurtrier, agacé de s’être laissé attendrir. Passé ce délai, que Terendul soit revenu ou non, nous reprendrons la route vers Navalune. Et je n’hésiterais pas à te traîner derrière mon cheval s’il le faut.

― Tu essayeras, ricana-t-elle en marmonnant. Et puis de toute façon, qu’est ce que tu en as à faire si on prend un jour de plus pour arriver au Sahir ?

― C’est un jour de trop en ta compagnie, grogna le garçon en se relevant prestement, piqué par la remarque qu’elle venait de faire. Et ne me pousse pas à bout sinon je finirais véritablement par t’attacher et te traîner à l’arrière de mon cheval.

― Tu oublies que je peux toujours passer à travers les liens que tu auras tressés, fanfaronna-t-elle avec légèreté.

Elle entendit l’elfe derrière elle et sentit sa main caleuse la tirer par les cheveux. Il la tourna vers lui dans un geste énervé, et la secoua par les épaules.

― A quoi est-ce que tu joues au juste ? fulmina-t-il. Un instant tu te projettes dans l’avenir, purifiée de tes tares, et l’instant d’après tu frimes comme si tu étais tout à fait normale ! Sois un minimum crédible. Pourquoi est-ce que tu vas au Sahir si ton pouvoir ne te dégoute pas ?!

― Mon pouvoir, c’est la seule chose qu’il me reste de ma mère, répondit-elle en se dégageant. Je ne suis pas dégoutée d’être comme elle. Ce n’est pas pour me débarrasser de mon don que je vais au Sahir !

― Mais qu’est-ce que tu veux à la fin ? s’exclama Méliel, la veine de sa tempe battante furieusement.

Astal sentait les larmes monter et sa gorge se serrer. Elle recula de quelques pas et se tourna pour fuir le regard menaçant de l’elfe. Mais celui-ci n’était pas près de la laisser tranquille. Il ne digérait pas la façon dont il avait réagi en plongeant ses yeux dans les prunelles océan de la jeune fille, tout comme il ne supportait pas l’idée d’éprouver de l’empathie pour cette pauvre créature solitaire. Il avait besoin de savoir qu’elle n’était pas comme Tismon, qu’il ne ressentirait jamais plus ce qu’il avait ressenti avec lui. Il voulait qu’elle lui avoue qu’elle représentait une menace pour son peuple, qu’elle allait au Sahir pour acquérir du pouvoir et les faire payer pour toutes les misères qu’ils lui avaient faites, qu’elle voulait déchaîner sa haine et tout détruire. Si elle le lui avouait, il aurait l’occasion d’agir, cette fois. Il pourrait éviter la catastrophe et personne n’aurait à souffrir.

― Réponds-moi ! cria-t-il plus fort. Qu’est-ce que tu veux ?!

― Je veux qu’on m’accepte ! hurla-t-elle en se retournant, les larmes inondant ses joues de porcelaine. Je veux qu’on me voie telle que je suis à l’intérieur, et qu’on ne s’arrête pas sur mon physique ! Je veux avoir une famille qui m’aime, pas qui me regarde avec dégout ! C’est si dur à comprendre ?!

Le ciel se couvrait de gros nuages noirs à mesure que la jeune fille laissait sa peine déferler.

― Pendant quatre ans, j’ai tenu, gronda-t-elle, la gorge nouée. Je payais pour un choix que je n’avais pas fait, pour une erreur que je n’avais pas commise, mais je laissais couler. J’essayais de faire bonne figure pour compenser, mais ça n’était jamais suffisant. Alors oui, j’ai essayé de les forcer à me regarder comme j’étais, parce que mon père m’a toujours dit qu’il n’y avait rien de plus important que la famille. J’ai cru qu’ils finiraient par m’accepter, mais chaque jour, chaque année c’était pire. Le seul fait que je respire le même air qu’eux les dégoute !

La demi-elfe s’était effondrée au sol, tandis que Méliel se tenait immobile derrière elle, n’osant pas faire le moindre mouvement.

― Alors s’il faut que j’abandonne tout ce qui me rattache à ma mère pour être légitime à leurs yeux, ainsi soit-il. Je n’en peux plus de ce combat constant, de ce mépris, de leurs regards condescendants. Terendul est la seule personne qui ait eu la bonté d’âme de me tendre la main quand tous le monde me la refusait, alors ne me demande pas de me précipiter au Sahir en le laissant derrière.

La jeune fille relaissa tomber sa tête dans le creux de ses mains. Jamais elle ne s’était sentie aussi faible, brisée. Où était donc passée la téméraire demi-elfe qui passait son temps à défier son grand-père le roi ? Qu’était-elle devenue, elle qui avait toujours su garder la tête haute ? Astal n’en pouvait plus. Son cœur lui faisait mal dans sa poitrine, cognant si fort qu’elle croyait qu’il allait exploser à tout instant. Les larmes coulaient à flot sur ses joues rouges, et elle avait l’impression que mille échardes de bois lui lacéraient le crâne.

Le sylvestre, qui se tenait debout devant elle, silencieux, essayait tant bien que mal d’assimiler tout ce qu’il venait d’entendre. C’était Astal qui venait de s’époumoner en évacuant sa peine, et pourtant Méliel avait l’estomac noué et le cœur serré. Pourquoi sentait-il ses yeux le piquer, lui qui n’avait rêvé que de cet instant depuis qu’il avait rencontré la Demi ? Il fronça les sourcils, se racla la gorge et respira un bon coup. Le malaise qui l’avait pris ne se calmait pas, au contraire. Il ferma les yeux, mais l’image de la princesse brisée dans l’auberge restait imprimée dans son esprit. Où qu’il regardait, il ne pouvait l’oublier. Elle le hantait comme il l’avait fait autrefois, et Méliel n’en pouvait plus. Après cet aveu explosif, il savait qu’elle n’était pas comme lui, mais il ne pouvait se résoudre à y croire vraiment. Elle était dangereuse, et le resterait jusqu’à ce que la dernière goutte de ce sang empoisonné soit purifiée.

Une perle d’eau glacée s’écrasa sur le front du garçon, qui leva les yeux sur un ciel couvert de gros nuages noirs. Un hennissement familier le coupa alors qu’il s’apprêtait à interpeler Astal. Ils se tournèrent tous les deux vers l’origine du bruit, et virent Eldir arriver au pas, son cavalier mal en point sur son dos.

La jeune fille, qui n’était déjà pas dans un très bon état, paniqua à la vue du corps ensanglanté de son cousin. Elle se releva, se précipita vers lui, et lança un regard suppliant à Méliel pour qu’il vienne l’aider. Voyant bien que Terendul avait besoin de soins, il la rejoignit, mais se plaça à bonne distance. Au signal de l’elfe, ils soulevèrent le prince et l’allongèrent aussi délicatement qu’ils purent.

― Rapporte-moi le sac où je range mes herbes, ordonna la demi-elfe d’une voix encore tremblante.

Heureux de pouvoir remettre de la distance entre elle et lui, Méliel se précipita pour chercher ladite besace. Il pensait qu’en s’éloignant, cela permettrait peut-être à Astal de retrouver ses esprits et son calme, mais alors qu’il venait de poser la main sur le sac en cuir, il sentit la pluie redoubler. Son sang se glaça dans ses veines et il jeta un regard inquiet vers elle, qui avait le souffle saccadé. Il l’entendit gémir, et avec elle le tonnerre gronda une première fois.

Quand Méliel posa le sac à côté de la demi-elfe, elle ne réagit pas tout de suite. La jeune fille semblait paralysée par l’angoisse. Ses mains, posées sur la tunique de son cousin, se crispaient convulsivement, comme si elle ne les contrôlait plus. La menace de l’orage répondait à chacun de ses sanglots, et la pluie frappait un peu plus fort le sol à mesure que les minutes passaient. Lorsqu’elle reprit son souffle, le vent se leva, et Méliel vit le déluge qui s’abattait sur eux suivre son mouvement. Un frisson parcourut son dos.

― Astal ? répéta le sylvestre plusieurs fois, anxieux.

La Demi ne l’entendait plus. Elle avait laissé libre court à sa peine et son angoisse, et il lui était maintenant impossible de les renfermer.

Méliel avait réalisé depuis un moment que la tempête réagissait aux émotions d’Astal, et en voyant le vent redoubler de force, il comprit qu’il devait intervenir pour sauver leurs peaux. Sa peau. L’image de Tismon envahit son esprit, et son premier réflexe fut de sortir la dague qu’il portait à sa ceinture. Un coup rapide et tout serait fini. Il rentrerait chez lui, sain et sauf, et n’aurait plus à s’inquiéter de sa sécurité. Il ferait croire à une attaque et le roi couvrirait l’affaire. Peut-être même qu’il le récompenserait pour lui avoir rendu ce service ?

Une voix douce lui murmurait de le faire, lui promettant un avenir radieux et paisible.

― Plonge la lame dans son cœur, et tu seras béni des dieux. Elle ne doit pas atteindre le Sahir, susurra la voix. Fais-le.

Il allait en finir quand résonna en lui les paroles de la demi-elfe. Je veux qu’on me voie telle que je suis à l’intérieur, et qu’on ne s’arrête pas sur mon physique, avait-elle dit. Puis les souvenirs l’assaillirent, le murmure disparut et il en lâcha son poignard.

― Astal, regarde-moi, ordonna-t-il en s’agenouillant à côté de lui. Il faut que tu te concentres, ton cousin à besoin de toi.

La jeune fille ne réagissait toujours pas, la tête baissée sur le corps meurtri de Terendul. Alors, Méliel attrapa son menton et la força à lever les yeux vers lui. Il l’avait poussé à bout en la brusquant, il l’avait affaibli et la vue de son cousin à demi-mort avait achevé ses dernières barrières.

― Bon sang, reprends-toi ! Tu es la seule capable de sauver la vie de Terendul, mais pas dans cet état. Respire et calme-toi.

Pour l’aider, il inspira et expira lentement, l’invitant à en faire de même. Plus faiblement, Astal calqua sa respiration sur celle du sylvestre. La pluie et le vent faiblirent.

― Maintenant, concentre-toi, dit-il en lâchant son menton.

La demi-elfe acquiesça timidement, essuya ses larmes et fouilla fébrilement dans la sacoche. Elle en sortit un pilon en pierre noire et son pot, ainsi que plusieurs petits sacs en tissu, contenant les herbes sèches que la jeune fille utilisait pour soigner maux et blessures. Elle ouvrit la tunique sombre que son cousin portait et découvrit les nombreuses contusions qui couvraient ses côtes.

Méliel en profita pour récupérer son arme et la ranger, de façon à ce que la princesse ne se rende compte de rien. Il secoua ses cheveux trempés et tenta de nettoyer ses genoux couverts de boue.

― Il est gravement blessé, murmura Astal, la voix encore fluette. Mes herbes peuvent calmer sa douleur et aider son corps à se soigner, mais il lui faudra du temps pour récupérer. Il ne va pas pouvoir remonter à cheval pendant au moins une semaine.

L’elfe blanc pesta, mais il voyait les blessures de Terendul et savait que sa cousine avait raison.

― Nous ne pouvons pas rester ici trop longtemps, contesta-t-il tout de même. Je vais chercher du bois, et nous essayerons de fabriquer un brancard pour le transporter.

― Il ne sera pas en état de voyager aujourd’hui. Il lui faut au moins une nuit au calme.

Méliel soupira et acquiesça.

― Je rapporterai de quoi faire un feu.

Le sylvestre n’attendit pas plus et tourna les talons, soulagé de pouvoir enfin s’éloigner de la demi-elfe.

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