• Contrarié 1/2 •

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Encore bouleversée par sa rencontre avec la vieille faune, Astal ne suivait pas un mot de la conversation que Méliel avait entamé. Les évènements de la journée ne pouvaient pas être d’anodines coïncidences. D’abord elle se réveillait en nage à cause d’un sombre cauchemar, et voilà qu’une sorcière des temps ancien la mettait en garde contre un mystérieux danger. Machinalement, elle toucha le pendentif qu’elle venait d’acheter.

― Les signes ne mentent jamais, avait murmuré la sibylle.

Un instant, Astal avait cru que son rêve fût une prémonition, un mauvais présage de ce qui allait lui arriver durant son périple. Mais elle chassa vite cette idée, car elle ne portait pas le talisman dans son cauchemar.

― Astal, tu m’écoutes ? grogna Méliel, sortant la jeune fille de ses réflexions.

― Eum, oui bien sûr…

Le sylvestre haussa un sourcil et dévisagea la Demi.

― Que Terendul s’enferme dans son mutisme quotidien, je le conçois, fit-il remarquer. Mais que Toi tu sois polie et conciliante quand je te parle… je n’ai jamais vu ça !

― Oh, ferme-là ! murmura-t-elle courroucée. Je suis fatiguée, laisse-moi tranquille.

Sa monture accéléra le pas, et en peu de temps, Astal avait rattrapé son cousin. Effectivement, le jeune homme ne semblait pas être de très bonne humeur. Le visage fermé et les yeux meurtriers, il avançait prestement sans dire un mot.

― Teren’ ? appela-t-elle. Tu as l’air maussade, dis-moi ce qui ne va pas.

D’un mouvement de tête, il déclina son offre et fit avancer son cheval. De toute évidence, il n’était pas prêt à parler.

― Ça fait longtemps qu’il est comme ça ? demanda la Demi en direction de l’autre elfe.

― Il rumine comme un bovidé depuis qu’on est parti d’Ulenas, glissa Méliel. A mon avis, il n’a pas bien digéré cette histoire de Craban.

― Pourquoi semble-t-il aussi affecté ? Je n’ai jamais entendu ce nom avant aujourd’hui, et pourtant j’ai l’impression que ça à l’air important à ses yeux.

― C’est un nom qu’on ne prononce plus depuis des années. A ce qu’il parait, les fées ont lu dans les étoiles que Terendul était maudit, et on dit même que c’est cette révélation qui a entamé les tensions entre nos deux pays. Mais c’était il y a presque dix ans maintenant, et comme rien de terrible ne s’est produit jusqu’ici, les gens ont fini par croire que ce n’était qu’une ruse des fées pour diviser la famille royale et déstabiliser le pouvoir en place.

Un frisson parcourus la colonne d’Astal. Jusqu’ici, elle n’avait jamais vu une fée se tromper lorsqu’elle lisait les étoiles.

― Si Terendul est le seul à te tolérer dans cette famille, ce n’est ni par compassion, ni par bonté d’âme, susurra Méliel. Jusqu’ici, tu étais la seule à ne pas connaître sa funeste réputation, mais maintenant que tu sais, je ne suis pas certain qu’il voudra encore te laisser approcher.

La semi-elfe n’eut pas le temps de répliquer. L’arrogant poussa un cri de surprise et se retrouva au sol, face à un Terendul irrité et hors de contrôle.

Le prince attrapa l’elfe par le col de sa tunique et l’envoya valser contre le tronc d’un hêtre. Méliel poussa un grognement de douleur, se releva avec mal et épousseta son haut. Il esquiva aisément les deux premiers assauts de son adversaire, mais au troisième tour, le jeune homme feinta et lui asséna un coup de pied magistral dans les côtes. Terendul attrapa le sylvestre par la gorge et le plaqua violemment contre l’arbre. Il approcha lentement et murmura quelques mots à son oreille, suffisamment bas pour que sa cousine n’entendît rien. Le visage de Méliel se décomposa, et son teint déjà blême pâlit un peu plus.

― Terendul, ça suffit ! hurla Astal en descendant de cheval, elle-même étonnée de prendre la défense du perfide. Je sais que tous ces mauvais souvenirs font aussi remonter ta colère et ton chagrin, mais Méliel n’est en rien responsable de ce qu’il t’arrive.

Son cousin se tourna vers elle, sourcils froncés et oreilles rabattues en arrière. Son sang battait furieusement dans ses veines, et il devait se faire violence pour ne pas écraser son poing dans la joue du garçon. Conscient qu’Astal avait raison, il s’écarta, les poings toujours serrés, et recula jusqu’à sa monture. La jeune fille avança d’un pas pour le réconforter, mais le prince fit claquer ses rennes et partit à toute allure, laissant ses compagnons seuls.

― Surtout, ne dit pas merci, siffla-t-elle agacée. Tu te défends comme un vieux… ce n’est pas très glorieux pour un elfe de sang pur.

― Je n’avais pas besoin de ton aide, renifla-t-il dédaigneusement.

― Oh, oui bien sûr, se moqua la jeune princesse. J’ai bien vu que tu maîtrisais totalement la situation…

Il lui lança son habituel regard meurtrier mais ne répondit pas. Méliel ne l’avouerait sûrement jamais, mais Astal venait de lui sauver la mise. Terendul venait de perdre son sang-froid, et la menace qu’il lui avait soufflée résonnait encore dans ses oreilles.

― Où est-il parti ? demanda le garçon en se raclant la gorge.

La demi-elfe lui lança un regard perplexe. Elle n’en avait pas la moindre idée.

― Il… il va revenir rassure-moi ?

Là encore, elle n’avait aucune certitude. La seule chose dont elle était au fait, c’était que Terendul gardait la carte dans la sacoche de son cheval, et qu’ils ne connaissaient pas la forêt. Si le sylvestre ne faisait pas demi-tour rapidement, ils seraient perdus.

Astal mis pied à terre, passa devant Méliel sans le calculer, et attacha sa monture à une solide branche du pauvre hêtre qui avait reçu l’elfe de plein fouet.

― Qu’est-ce que tu fabriques encore ?

Dans le silence le plus profond, la jeune fille s’installa contre le tronc de l’arbre, les jambes croisées, et ferma les yeux en poussant un soupir.

― Quoi ? s’insurgea le garçon, contrarié. Tu vas rester là, les bras croisés, en attendant que ton cousin fasse demi-tour ?! Et s’il ne revient pas, hein ? Qu’est-ce qu’on va devenir ?

― Calme-toi, railla-t-elle en ouvrant un œil. Nous n’avons d’autre solution que de patienter. Terendul va se calmer et revenir nous chercher, ne t’inquiète pas.

Méliel leva l’index, bouche ouverte, prêt à répliquer, mais referma aussitôt son caquet, exaspéré. La demi-elfe avait un tempérament de feu. Argumenter avec elle était peine perdue, et il le savait.

Pour évacuer son agacement, l’elfe posa ses mains contre ses hanches, leva la tête vers le ciel dégagé, et souffla un bon coup. Son sang bouillonnait. Il avait besoin de se défouler, mais sa récente défaite face au prince restait coincée, et depuis le temps, il connaissait suffisamment bien Astal pour savoir qu’il ne fallait pas trop la chercher. Alors il essayait de se contenir.

― Veux-tu bien arrêter de tourner en rond comme un loup affamé ? ronchonna la Demi. Je peux sentir ta frustration d’ici…

― Je ne reçois pas d’ordre de toi, cracha-t-il de plus en plus énervé. Tu peux jouer les petits despotes avec ton cousin si ça t’amuse, mais ça ne marche pas avec moi.

En un éclair, Astal se retrouva à quelques centimètres du visage du garçon, une lame aiguisée glissée sous sa gorge.

― Je te conseille de faire très attention aux prochains mots qui franchiront tes lèvres, siffla-t-elle. Parce qu’à la fin du voyage, tu n’auras plus aucune raison de me traiter de la sorte. Et tu sais ce qui arrive à ceux qui manquent de respect à la famille royale ? Les plus chanceux sont envoyés en Herlyae pour servir leur pays, mais les autres, on les exile sur les Terres Brûlées. Et jamais un seul n’en est revenu.

L’elfe blêmit. Il avait entendu les rumeurs. Dans sa colère, le roi Thangil avait expulsé un groupe de citoyen, dont le crime avait été d’envisager un changement drastique de souveraineté. Six individus s’en étaient allés, et pas un n’était rentré. Certains pensaient qu’ils avaient péris en mer, mais le capitaine qui les y avait conduit affirmait les avoir vu atteindre la rive.

Voyant que le sylvestre ne lui répondait pas, Astal rangea le petit poignard dans son étui et tourna les talons. Mais la frustration de Méliel grandissait toujours, et les paroles de la princesse agissaient sur lui comme un bidon d’huile sur un feu déjà ardent. Finalement, il se fichait de finir le nez dans la poussière. Il avait besoin de se défouler, et la demi-elfe gouterait à sa colère. Il avait des comptes à régler.

Le garçon posa sa main sur l’épaule de l’adolescente et la tira d’un coup sec, démarrant les hostilités. Avant qu’elle n’ait pu esquisser le moindre mouvement, il envoya son pied gauche rencontrer l’estomac de la Demi, qui tomba lourdement au sol. Avec souplesse, elle retrouva son double appui et lança son poing vers la joue de l’insolent, mais il intercepta son coup et coinça sa menue petite main dans sa paume. Il lui lança un sourire narquois et ouvrit la bouche pour se moquer, mais Astal lui asséna une gifle magistrale. Comme quoi, aussi délicates fussent-elles, les petites mains de l’héritière pouvaient faire sacrément mal.

Méliel chancela, lâchant prise, et regarda Astal, incrédule. On ne la lui avait jamais faite celle-là. Elle le regarda avec une lueur de défi, prête à en découdre à nouveau. Contrairement à ce qu’elle imaginait, le jeune elfe se jeta sur elle et la plaqua contre le tronc du hêtre où patientaient leurs montures. Coincée entre l’écorce dure de l’arbre et le souffle chaud de son compagnon, elle ne pouvait qu’attendre son prochain mouvement.

Haletant, il fixait Astal, qui ne bougeait pas d’un millimètre, craignant de voir le garçon perdre le contrôle. Il ne bougea pas non plus, le regard perdu dans l’océan sombre de ses prunelles. Sa rage s’atténua peu à peu à mesure qu’il plongeait de plus en plus profond dans les yeux de la jeune fille. Il prit une grande inspiration et un frisson parcourut son dos. Finalement, il lâcha prise et se laissa glisser contre le tronc de l’arbre, à côté de la jeune fille qui tremblait encore.

― Tu es sûre qu’il va revenir ? demanda-t-il dans un souffle.

Pour toute réponse, elle s’assit à son tour à côté de lui en haussant les épaules.

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