• L'auberge 1/2 •

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Il avait été prévu que les trois voyageurs suivent l’ancienne route commerciale qui reliait Alferilim à un petit village elfique, non loin de la frontière avec l’Herlyae. Là, après s’être ravitaillé en eau et en vivres, ils auraient pu marchander avec un passeur pour entrer en pays fée, et auraient longé la côte pour rejoindre un navire marchand qui se rendait au Sahir.

Cependant, avec Méliel dans la bande, les projets des deux Igdrasil tombèrent à l’eau.

― Hors de question de dormir comme un clochard ! s’était exclamé le garçon. Nous rejoindrons le premier village pour dormir à l’auberge, et nous reprendrons la route au petit matin.

― Méliel, on se fiche de dormir dans le confort… Mon père a envoyé une lettre au passeur de Navalune pour qu’il nous fasse traverser la frontière du pays. Si tu prends tes habitudes de petit noble de la cour, nous serons rapidement fauchés et le passeur ne nous fera pas de cadeaux ! gronda Terendul en fronçant les sourcils.

― Il faut trois jours à dos de cheval pour atteindre Navalune, se défendit-il. Si nous nous arrêtons au coucher du soleil, nous pourrons profiter d’un bon repas au coin du feu et d’une douce nuit de sommeil avant de reprendre la route dès l’aube.

― Non, trancha Astal en foudroyant l’elfe de ses yeux océan. Tout ce que ça fera, c’est retarder notre voyage. Cela ne fait même pas une journée que nous sommes partis, si on s’arrête toutes les nuits à l’auberge, nous n’atteindrons pas le Sahir avant un bon mois.

Méliel se renfrogna et fit accélérer sa monture pour s’éloigner des deux insupportables cousins. Ils étaient bien mignons, eux, de vouloir atteindre si vite le pays des djinns… Seulement, lui ne le voyait pas de la même manière. Il voulait manger et dormir convenablement, voyager à des heures décentes et vivre cette traversée avec calme et plaisance. Hors de question de se présenter devant le Zaeim, habillés de guenilles, sales et décoiffés !

Sur le chemin ombragé de la forêt, les trois compagnons avançaient en silence. Seuls les gazouillis des oiseaux et la vie active de la nature avoisinante troublaient le repos de ce lieu paisible. Astal s’attarda quelques instants à contempler la beauté qui l’entourait. Les grands arbres verts frémissaient sous les caresses légères du vent. De temps à autre, de téméraires lièvres sortaient des fourrés pour observer les passants, et disparaissaient aussi vite qu’ils étaient venus quand les sabots des chevaux s’approchaient d’un peu trop près. Plus les jeunes adolescents s’enfonçaient dans la forêt, plus le petit chemin semblait se confondre avec l’herbe du bas-côté.

La demi-elfe fut tirée de sa rêverie par son cousin, le bras tendu, qui lui proposait sa gourde d’eau. Elle le gratifia d’un magnifique sourire et attrapa l’outre en cuir. Elle n’avait pas bu depuis leur départ, il y avait de cela une bonne dizaine d’heure.

― Je n’aime pas savoir que cet abruti nous accompagne, bougonna le garçon. Je sens qu’il va poser problème.

― Mais Teren’, Problème est le deuxième prénom de ce petit prétentieux !

La remarque d’Astal lui arracha un sourire, mais le jeune sylvestre était trop préoccupé pour accorder plus de joie. Un mauvais pressentiment lui poignait l’estomac depuis qu’ils avaient quitté la cité elfique et quelque chose lui disait que Méliel n’y était pas pour rien.

Lorsque Terendul s’arracha à ses maussades pensées, le soleil entamait sa descente. La route lui semblait totalement étrangère. Sans poser de questions, ils s’étaient laissé guider par l’insupportable sylvestre qui semblait savoir où il se dirigeait. Mais était-ce réellement le cas ?

― Méliel ? héla la jeune fille en s’avançant jusqu’à lui. Où est-on ?

― Dans la forêt… ironisa le garçon en roulant des yeux. Ça ne se voit pas ?

― Ah ah, très drôle, gros malin… Je suis sérieuse. Le chemin est recouvert de verdure depuis au moins un bon kilomètre. Tu t’es bien assuré de partir dans la bonne direction, n’est-ce pas ?

― Donne-moi la carte, ordonna le cousin d’un ton dur.

― La carte ? Quelle carte ?

― Tu étais chargé de prendre une carte avant de partir d’Alferilim Méliel ! l’incendia l’elfe. Es-tu donc aussi stupide qu’arrogant ?

Le garçon fusilla Terendul de ses yeux cristallins et ne répondit pas à son affront.

― On ne peut pas voyager sans carte, soupira Astal. Il faut qu’on en achète une dans le prochain village…

Les deux Igdrasil fixèrent froidement le boulet qui les obligeait à s’arrêter pour la nuit. Ils le soupçonnaient même d’avoir tout manigancé pour dormir sous un toit !

Méliel, qui n’était pas aussi futé pour monter un coup aussi tordu, félicita sa bêtise, qui allait lui permettre de profiter d’un bon repas chaud. Il en salivait d’avance ! Serait-ce un bon rôti de cerf servi avec des pommes de terre, ou peut-être des brochettes de rats des bois et légumes sautés à la sauge ? En dessert, il espérait goûter un fabuleux cheesecake aux fruits des bois. Ou alors, une tarte de mukzus, ces petites mûres blanches si savoureuses ! Absorbé dans ses rêveries, le gourmand se laissa guider à son tour par les deux cousins, sans un mot.

La lune était déjà haute dans le ciel lorsque Terendul et ses compagnons aperçurent de faibles lueurs dans l’horizon de la forêt. Tout autour d’eux, la nature dormait paisiblement, et on n’entendait plus que les froufrous des chouettes et les grigris des insectes nocturnes.

Les trois adolescents, épuisés par leur première journée de voyage, furent bien heureux d’enfin trouver le village. Méliel, toujours plongé dans ses songes gastronomiques, accéléra la cadence et força les Igdrasil à le suivre d’un rythme plus vif.

Le village d’Ulenas, caché par les grands arbres centenaires, faisait partie des rares hameaux à vivre au sol. Les elfes de cette petite bourgade préféraient le confort des paillasses féeriques et la chaleur d’un feu de cheminée.

Les rues quasiment désertes n’étaient éclairées que par de faibles réverbères à la cire d’abeille, et une seule chaumière semblait encore ouverte. Astal descendit la première de sa monture, qu’elle laissa non loin de l’établissement, tenu par un anneau d’attache. Suivie des deux garçons, elle récupéra ses sacs et avança jusqu’à la porte de la maisonnette. Méliel, qui ne portait pas autant d’affaires que les deux autres, se chargea d’ouvrir la porte pour les laisser entrer. A peine posèrent-ils un pied dans l’auberge qu’une délicieuse odeur de cuisine vint chatouiller leurs narines délicates. Terendul prit les devants et s’adressa au patron : un elfe à la bedaine bien prononcée et aux oreilles rougies par l’alcool .

― Qu’est-c’ que j’peux pour vous mon bon m’sieur ? demanda l’homme, qui voyait rarement d’aussi riches voyageurs.

― Il nous faudrait un endroit où dormir et une table pour manger.

― Vous avez bien d’la chance mon jeune ! claironna-t-il. Il me reste deux chambres à coucher. J’vous en prie, asseyez-vous et ma p’tite femme va s’occuper de vous !

Le villageois posa lourdement les deux clés des chambres et fit un petit signe de tête à une jeune femme dans la salle.

― Suivez-moi, leur dit-elle de sa voix douce. Les chambres sont à l’étage.

L’escalier grinçait sous chacun de leur pas, menaçant de céder à chacun de leur pas. Peu rassurés, les adolescents montèrent le plus vite possible, ne voulant pas mourir accidentellement dans la chute.

― Tu dors avec ta cousine, déclara Méliel.

― Quoi ? N’importe quoi ! s’offusqua la jeune fille. Vous dormez entre gars, et vous me laissez tranquille !

― Eh oh, princesse… gronda l’impétueux jeune homme en crachant presque son titre. J’ai pas signé pour supporter ton cousin dans mon lit !

― Et moi j’ai pas signé pour voir ton affreux visage de shïwae… Tu as oublié la carte, tu nous ralentis dans notre voyage, alors tu n’as plus ton mot à dire, c’est clair ? Ou peut-être veux-tu qu’on règle ça par la force ?

Les oreilles retroussées et les sourcils froncés, les deux adversaires se fixaient dangereusement en grondant. La jeune Astal, bien qu’elle n’eût pas l’allure d’une vraie sylvestre, partageait l’instinct bagarreur de ces créatures. Et à cet instant, son poing brûlait d’envie de s’écraser sur la joue de l’adolescent. Méliel baissa les yeux et obtempéra, non sans s’être juré au passage de se venger de cet affront. Encore.

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