• Le départ 1/2 •

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― Qui es-tu ? avait demandé le vieux roi lorsque son général était rentré à la cité, accompagnée de l’orpheline.

La petite fille, pétrifiée, fixait son grand-père de ses grandes prunelles azurées. Elle savait qu’il était l’instigateur de toute cette guerre, qui lui avait arraché ses parents et sa maison. Rien qu’en le voyant, la fillette pouvait sentir la haine qu’il éprouvait envers elle.

― Qui es-tu ?! répéta Thangil en perdant patience.

Astal se réfugia derrière le corps imposant du général Hyamendacil, effrayée par la rudesse du monarque. Le militaire répondit à sa place.

― Astal, votre Majesté. La fille de Loraen, prince du Caliawen. Votre petite-fille.

La cour du roi réagit vivement à cette annonce, et le soldat était conscient qu’en prononçant ainsi ces mots, il venait tout juste de sauver la vie de sa protégée. L’elfe assis sur son trône semblait furieux. La monarchie du Caliawen reposait sur une loi fondamentale : la couronne n’était pas disponible. Par ce principe, il ne pouvait choisir son successeur, tout comme il ne pouvait céder son titre ou abdiquer. Mais par-dessus tout, Thangil ne pouvait attenter à la vie de ses héritiers, si renégats fussent-ils.

Le vieux roi pestait. Si leur lien de parenté n’avait pas été révélé au grand public, le souverain aurait rapidement engagé un chasseur pour se débarrasser de la gêne qu’elle représentait. Désormais, si quoi que ce soit de fâcheux arrivait à la demi-elfe, tous connaitraient le responsable. Il ne pouvait se permettre de salir sa réputation, qui ne tenait qu’à un mince fil depuis les dernières années.

Thangil Igdrasil régnait sur le pays depuis quarante cycles planétaires, mais ces dix dernières années, le sylvestre raffermissait considérablement son autorité, ce qui enflammait les commérages et les ragots à son sujet. Cette nouvelle guerre était, pour lui, le moyen le plus efficace de redorer le blason de sa famille, dont la réputation conquérante et visionnaire faisait rêver plus d’un elfe.

― Astal, persiffla l’homme en crachant presque son prénom. Vas-tu vivre comme une elfe, au sein de ta famille, ou resteras-tu la pauvre orpheline réfugiée des fées ?

Mais la petite fille n’osait pas ouvrir la bouche et parler à cet homme qui la terrifiait. Encore une fois, ce fut Hyamendacil qui s’en chargea.

― Votre Majesté, s’inclina-t-il respectueusement. Durant notre voyage, je me suis permis de lui expliquer certaines… différences entre le peuple féérique et le nôtre. Astal ne ressemble peut-être pas physiquement à une elfe, mais elle réfléchit comme tel.

L’homme lança un regard furtif à sa petite protégée, lui sourit, et continua.

― Elle aura besoin d’un peu d’adaptation à notre mode de vie et à nos coutumes, mais cette petite est prête à reprendre sa place dans l’Arbre de Vie.

― Général ! gronda la reine, qui assistait à la scène depuis le côté du trône de son époux. Tu n’es pas en capacité de juger si cette chose est apte à rejoindre notre famille.

― Sauf votre respect, votre Grâce, Astal fait déjà partie de votre noble famille. La renier pour les erreurs que ces prédécesseurs ont commises n’est pas digne de vous.

Hyamendacil jouait un jeu très risqué en parlant ainsi à ses souverains, mais les dés désormais jetés sauveraient la jeune fillette.

Une petite semaine plus tard, Astal payait déjà le prix du racisme elfique. Ses nouveaux camarades de classe chuchotaient dans son dos, rigolaient entre eux lorsqu’elle passait près d’eux, lui faisaient toutes les farces inimaginables, et personne n’aidait la demi-elfe. Ni les enseignants, ni les Igdrasil.

Alors qu’elle venait d’entrer dans l’Artala pour commencer son premier entraînement au sein d’Alferilim, trois elfes plus âgés lui barrèrent l’accès au terrain, la mine sombre et les yeux assassins.

― Qu’est-ce que tu viens faire ici, Rahil [1]? lança l’un des garçons, au nez retroussé et à la mine boudeuse.

― La même chose que toi, Shïwae[2], répliqua-t-elle en le fusillant de ses iris meurtrières.

Lorsqu’il comprit ce que la petite venait de lui dire, le sylvestre empoigna le col de sa tunique et la souleva légèrement du sol. Mais Astal ne se laissa pas décontenancer par le gamin, et envoya son genou rencontrer l’estomac de son agresseur. Quand il s’écroula au sol, expirant l’air de ses poumons et lâchant la métisse, cette dernière jugea du regard les autres racistes, et passa finalement sans encombre pour rejoindre les membres de son groupe de classe.

― Bien, je vois que tout le monde est enfin arrivé, remarqua la grande elfe qui semblait être leur prof de défense. A l’avenir, tâchez d’être à l’heure, Méliel.

Le garçon baissa les yeux pour s’excuser, mais se jura de faire payer cette peste de demi-elfe qui venait de le ridiculiser devant ses amis. Quoi de mieux qu’une bonne raclée devant les autres élèves ? Un sourire mauvais se dessina sur le visage anguleux de Méliel. Lui qui était l’un des meilleurs du cours, il aurait vite fait d’humilier cette rahil.

Le sylvestre oublia un simple détail, qui fit toute son importance : Astal n’était pas qu’une simple métisse sans particularité, mais la fille de feu Loraen Igdrasil, l’un des meilleurs combattants de l’armée elfique. Son père avait soigneusement veillé à instruire sa fille, et le pauvre Méliel en fit bien vite l’expérience.

Lorsque l’elfe s’élança vers son adversaire, utilisant la technique fraîchement acquise du cours, il se retrouva nez à nez avec la poussière. Maligne, la Demi avait laissé son ennemi la charger tête baissée, et s’était contentée de s’écarter pour le faire tomber. Il se releva avec rage et voulut revenir à l’attaque, mais la jeune fille, plus rapide, attrapa son épaule et d’un geste sec, le tira pour le faire rechuter au sol. Durant quelques minutes, Astal ridiculisa le petit elfe qui l’avait insulté, presque sans effort.

L’entraîneuse claqua sa langue contre son palais, mécontente, et arrêta brusquement les combats. Elle lança un regard en coin à la fille aux cheveux si singuliers, mais au vu de ses compétences, se dispensa de lui faire la moindre remarque. Après avoir congédié les enfants, non sans avoir fixé durement la pauvre Astal, la grande sylvestre repartit à ses autres occupations, laissant les deux rivaux seuls sur le terrain poussiéreux.

― Tu n’as rien à faire chez nous, cracha l’un de ses amis. Tu fais semblant de te battre comme une elfe, mais tu n’es pas l’une des nôtres !

― Retourne d’où tu viens, sale métisse, jura le deuxième. Personne ne veut de toi ici !

Astal aurait voulu faire comme si elle ne les entendait pas, mais les larmes coulaient déjà à flot. Elle était beaucoup trop jeune pour réussir à vivre par-dessus toutes ces critiques, et à force de les entendre, elle commençait à y croire.

― Ça suffit ! tonna une voix forte. Méliel, emmène tes petits copains jouer ailleurs… vous n’avez rien à faire ici !

Le petit tyran fixa durement le nouveau venu, qui se posta entre la jeune fille et les trois elfes. Un rictus amusé se forma sur ses lèvres fines, et il lança :

― Les deux canards boiteux de la famille se retrouvent… Etonnant.

Ses compagnons rigolèrent en cœur, le regard moqueur, et s’apprêtèrent à partir, lorsque le jeune leader ajouta une dernière phrase.

― Tu ne seras pas toujours là pour veiller sur elle, Terendul. Et je jure devant le grand Irriel que je veillerais à ce que cette bâtarde quitte nos terres !

― Essaye un peu… gronda le jeune homme.

Les deux garçons se défièrent du regard durant de longues secondes, qui semblaient se transformer en minutes tellement la tension était énorme. Puis, l’un des amis du petit Méliel tira la manche de ce dernier, qui fut contraint de rompre l’échange et de déclarer forfait.

Lorsque les trois elfes furent enfin partis, le jeune Terendul se tourna vers celle qu’il venait de défendre, et la gratifia d’un petit sourire. Il essuya les joues encore humides de la petite fille et lui frotta gentiment les cheveux.

― N’écoute pas ce gros prétentieux, murmura-t-il en attrapant la main de sa cousine pour rentrer à la maison.

Depuis, Astal ne quitta plus Terendul d’une semelle. Où il allait, elle le suivait, et vice-versa. Les deux enfants devinrent rapidement inséparables, ce qui formait un duo magnifiquement bien opposé : la blanche colombe et le ténébreux corbeau, main dans la main, défiant le reste du monde.

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[1] En elfique ancien, Rahil signifie littéralement « fils d’Erod, dieu des enfers ». Dans l’elfique plus moderne, cela se traduirait plus simplement par « démon des limbes », une insulte couramment utilisée pour désigner les métisses.

[2] Shïwae est une insulte féerique peu utilisée, car extrêmement violente. La traduction de ce terme est assez complexe mais peut être comparée à un classique « connard », qui serait susceptible de créer une guerre mondiale dans le peuple féerique.

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