Edmond

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— Annie !!

Je claque la porte du hall et m’empresse d’aller à la cuisine, mais elle n’y est pas.

— Annie ?!

J’arpente couloirs, bureaux, salons, chambres, elle doit être en train de faire les courses. Fichtre. Je remonte dans mes quartiers au dernier étage et me laisse tomber sur ma chaise, encore harnaché à mes sacs. Je passe la main dans mes cheveux, la tête tout à fais vide. Mes pensées ne sont qu’un enchevêtrement de questions qui ne veulent pas leurs réponses. J’ai peur d’admettre ce qui s’est réellement passé.

— Va prendre un bain Edmond, t’iras mieux après.

Je secoue la tête, me débarrasse de mes sacs et passe dans ma salle de bain. Assis sur le bord de la baignoire, l’eau qui coule m’apaise, la chaleur monte. Je me dévêts, rentre dans l’eau et…

— Mes aïeux c’est chaud ! Pourquoi Annie n’est pas là quand j’ai besoin d’elle ?

La température réglée, je me plonge dans l’eau, soupire, immerge ma tête. Je bulle sous l’eau et les yeux fermés, j’entends Léonore. Sortons ensemble. C’était même pas une question, c’était une injonction. Ça m’est complètement égal. La joie que ça me procure, je commence à comprendre que j’attends ça depuis un moment déjà.

Je remonte à la surface et prends une grande inspiration.

Et cette proposition de liberté. Je n’en reviens pas. C’est presque trop beau pour être vrai, pas de jalousie, de pleurs, de guerre ou de compétition féminine, la simple indifférence. L’orgueil et la fierté de penser « de toute façon il me reviendra ».

— Ah ! Léonore… Un animal peu commun.

Je me cale un peu mieux contre la baignoire, de sorte de n’avoir aucune parcelle de peau frôlant l’air, tandis qu’une question s’impose lentement à moi. Non, ce n’est pas une question, c’est un fait.

Je ne sais pas être en couple.

Et je n’ai pas envie qu’elle me largue, aussi.

Je sors brusquement de l’eau, à trop penser je vais me faire un trou dans le crâne ! Me sèche, teeshirt, bermuda, tongs, vais à ma salle de jeu. J’hésite entre jouer à Grand Tourismo ou à WoW. Ah, va pour les courses de voitures ! Je termine de brancher mon troisième écran à ma tour d’ordi et reçois un message.

« Salut beau gosse, t’es occupé ce soir ? On va se boire un verre en ville <3 ? »

— Merde, c’est qui ?

Ça c’est un de mes problèmes d’aimer toutes les filles, je n’enregistre pas nécessairement tous leurs numéros. Puis trois pensées s’enchainent très vite dans mon esprit : carrément j’viens ; ah non, j’ai une copine ; ah c’est vrai elle s’en fout.

Au diable Grand Tourismo !

Un passage par ma penderie pour enfiler des vêtements descend et me voilà dehors.

— Où vas-tu, mon agneau ?

— En ville ! Je ne serais pas là pour le repas, garde-le-moi au chaud !

Je salue Annie qui sort de l’arrière-cuisine pour terminer de ranger les courses et saute sur mon vélo. La petite polissonne dont je ne connais pas encore l’identité m’a donné rendez-vous dans un bar à vin. Prévoyant, j’ai tout de même préféré prendre avec moi un teeshirt propre et mon sac pour demain.

Devant le bar, une jolie rouquine me fait signe tandis que j’attache mon vélo. Je la reconnais maintenant. Rencontrée lors d’un gala de bienfaisance organisé par ma famille. On avait bu, peut-être parlé, surtout couché ensemble le soir même.

— Amélia Van Buren, que me vaut ce plaisir ?

J’attrape sa main, pose une bise sur sa peau soigneusement parfumée et la gratifie d’un sourire charmeur.

— J’avais besoin de compagnie.

Ça, c’est synonyme de « je viens d’être larguée, j’ai besoin d’un rebond-sexe ». Ça m’est complètement égal.

Quelque chose cloche durant la soirée. Je ne sais pas tout à fait quoi. Je me regarde sourire, la complimenter, payer des verres exorbitants, la complimenter encore, je l’écoute me parler de ses dernières vacances aux Maldives, j’ai même envie de coucher avec elle, mais… en même temps, je n’ai pas la tête à ça. J’ai envie de voir Léonore, en fait. Même si je n’enfreins aucune règle à faire ce que je fais, j’ai l’estomac embarrassé de ne même pas avoir profité d’elle un petit peu. Comme elle dit, j’ai littéralement pris un dessert alors que j’avais le ventre plein.

— Écoute, je suis navré de devoir te laisser si tôt, mais j’ai quelque chose d’important à régler.

Je vide mon verre et la plante là sans autres manières. Je n’ai pas le cœur à attendre ses jérémiades clamant que je ne suis qu’un sale con.

Le retour n’est pas aussi simple que l’aller et je parierai que la route change de trajectoire de manière inopinée ! À la seconde chute, je reste à côté de mon vélo. Le 6e verre n’était peut-être pas raisonnable.

L’idée qui germe dans ma tête n’est certainement pas une bonne idée, mais je n’ai pas la lucidité pour arrêter ma main dans sa course. Je sors mon téléphone, ouvre Phassedebouk, cherche le profile de Léonore et la seule chose que mon discernement arrive à faire c’est la seconde d’hésitation avant de cliquer sur le téléphone violet.

Ça sonne.

Ça sonne encore.

— … allo ?

— Léonore ? C’est ton grand vaurien !

— Il est tard, tu me réveilles…

J’essaie de pouffer discrètement, ça me fait rire alors que je devrais être désolé.

— Je te demande pardon, j’ai pas vu l’heure.

— Pourquoi tu m’appelles ? Tu as un problème ?

— Non, j’avais envie de te parler.

— En général quand les mecs font ça, ils viennent de tromper leur copine.

J’arrive encore à reconnaitre l’ironie dans sa voix.

— T’es fâchée ?

— Non. J’ai sommeil. À demain grand vaurien.

— A demain ma banane !

Il y a un silence et je crois qu’elle a raccroché, mais elle relève :

— Ma banane ?

— Ouais, je chuchote, ça rime avec McCalla’han…

— Bonne nuit, Edmond…

Là, elle a raccroché. J’éclate de rire. Ma lucidité finit de s’étioler et je tape un autre numéro avec l’automatisme de l’habitué.

— Allo, Lulu ?

— Wah, mec t’es déchiré !

— J’ai bu avec Amélia.

— Qui ? Nan, laisse tomber je les retiens pas toutes.

— Tu fais quoi ?

— Je suis sur WoW, tu viens ?

— Ouais, je suis bientôt chez moi. Je vais faire n’imp, je te préviens

— s’pas ‘rave. Pourquoi tu m’appelles ?

— Parce que j’ai appelé McCallaghan.

— Léonore McCallaghan ? Genre celle qu’est pote avec la meuf qui cause japonais tout le temps ? Mais t’es un ouf !

— C’est ma go.

— J’te crois pas. T’as les flipettes chaque fois que tu la vois.

— Je te jure, Lulu !

— Mais nan… Genre J2 tu sors avec la seule meuf qui te calcule pas… Mon gars je vais lui dire qu’elle me déçoit, j’espérais qu’elle te snob jusqu’au bout !

— Bah, t’es méchant Lulu…

Je l’entends ricaner, j’entends le paquet de chips aussi.

— Bon, magne-toi la chatte de venir jouer là, taper avant, les filles après !

Et il raccroche. Moi, je suis arrivé au bout de ma route si périlleuse. J’entre dans le hall avec certainement la discrétion d’un pachyderme et monte à ma chambre. Je retrouve Ludo en ligne et tandis qu’il s’arrache les cheveux de mes conneries, je ris de les faire.

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