Léonore

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Lorsque je décroche, je suis prête à l’incendier, mais j’entends immédiatement qu’il est torché, la diction est discutable.

— Léonore ? C’est… euuuuh, ton grrand… vaurien !

Ton vaurien, qu’il dit, ça me fait sourire qu’il se soit approprié ce nom.

— Il est tard, tu me réveilles…

Il ricane comme une poule et s’excuse. Je m’assure qu’il aille bien quand même, c’est le côté mère médecin, et tique quand il dit simplement vouloir me parler. Il s’est bourré la gueule avec une nana. Déjà ? Non pas déjà, c’est le contra. Et au final, qui est-ce qu’il finit par appeler ? Tel un mari plein de remords, je pense en riant dans ma barbe.

— T’eeees f’chéééé ?

— Non. J’ai sommeil. À demain grand vaurien.

— A demain ma banaaaaaane !

Non meh… Me dis pas que c’est parce que ça rime avec Callaghan… si… Sweet-djeezus, va te coucher !

Je lui raccroche au nez et pose mon téléphone. Et là où je pense pouvoir me rendormir dans la seconde, un sourire béat étire mes lèvres. Il est bête.

Le sommeil a indéniablement fini par me terrasser, mais j’ai longtemps tourné dans mon lit, son « ma banaaaane » coincé entre les oreilles. Quand je me réveille, je suis ridiculement ravie et m’extirpe aussitôt du lit. J’entends maman en bas qui prépare son café, alors je saute dans mes vêtements pour ne pas la rater.

— Sweat, casquette, short. C’est curieux comme assortiment.

Elle est assise à la table de la cuisine et réchauffe son visage ensommeillé appuyé contre sa tasse, me regarde avec amusement.

— Il fait froid le matin.

— Mmh…

Je ris de son scepticisme et me sers une tasse de café, par pur rituel, partager ce moment avec elle. Il y a autant de sucre que de café, si ce n’est plus.

— Je rentrerais tard ce soir, j’ai une réunion avec les collègues.

— Je peux aller dormir chez Hiro ?

— Non, pas en semaine, tu le sais. Puis tu as tes devoirs à faire.

J’affiche une mine contrariée, alors même que je savais la réponse. Son sourire moqueur me contamine rapidement, elle savait très bien que je savais que ce serait non.

— À ce soir ma puce, tu as un repas dans le frigo.

Elle pose une bise sur ma joue et s’en va. De plus loin que je me souvienne, elle a toujours fait ça, et je me demande si elle le fera toujours. Moi j’aime bien. Je trouve ça plus parlant qu’un câlin, c’est rapide tendre, nonchalant. Passepartout. Mon père avait plutôt tendance à me frotter vigoureusement la tête, puis je me suis mis à porter des casquettes. Il s’est mis à me pincer le nez. Ça fait deux ans qu’il est en mission au Burundi, lui aussi est médecin. Il me manque évidemment, mais je me dis aussi qu’il y a tellement plus d’enfants qui ont besoin de lui. Quand j’étais petite, il me racontait les contes pour enfants des pays où il allait. Je voyageais un peu avec lui. Même si là-bas les gens n’ont pas besoin de le payer, beaucoup veulent toujours lui donner quelque chose en retour. Souvent, il refuse. Souvent, ils insistent, alors il demande une photo, un dessin, une histoire et il nous les ramène. J’en ai toute une malle que je garde précieusement et il y en a encore partout dans la maison. J’ai hâte de savoir ce qu’il va nous ramener du Burundi.

J’avale mon sucre au café d’une traite, cours me préparer et manque de rentrer dans Edmond en ouvrant ma porte.

— Je suis navré pour cette nuit, je te présente mes excuses.

Ses yeux sont cernés, son visage tiré. Je ne sais pas ce qu’il a fait de sa nuit, mais elle a été courte.

— Tu es désolé pour quoi ?

— De t’avoir dérangé en pleine nuit, et ce, complètement ivre.

— Tu m’appelles encore une fois en pleine nuit, je te fais porter au lycée un teeshirt avec écrit « je trompe ma copine »

— Mais, je ne t’ai pas trompé ? Si ?

— Non, mais ça, il n’y a que toi et moi qui le savons.

Il a la bouche froncée et l’œil écarquillé du penaud étonné. Je me retiens de rire. Du haut du perron, j’atteins son front et y pose une bise.

— C’était bien hier soir ?

— J’étais avec une connaissance d’un gala, et je me suis rendu compte en cours de route que j’aurais préféré être avec toi.

Sa sincérité est déconcertante. Son regard d’ambre me fixe avec une telle intensité que je me sens dévorée.

Je descends les trois marches et me mets en route vers le lycée. D’un instinct qui me surprend, je passe mon bras autour de sa taille et lui glisse le sien autour de mes épaules, se cale sur mon pas.

— Et alors tu m’aurais dit quoi ?

— Je t’aurais demandé où tu aurais voulu aller.

— Au parc, prendre une glace.

— Alors on serait allé au parc. Quels parfums veux-tu ?

— C’est toi qui payes ?

— Si tu veux.

— Alors je veux quatre boules : noisettes, caramel, café et nougats.

— Chantilly ?

— Of course !

— Je t’aurais tendu ta glace et proposé de s’assoir à l’ombre parce qu’il fait encore chaud. Peut-être que j’aurais même piqué quelques cuillères de noisette.

— Mais dis donc ! Donne-moi ça toi !

Edmond se met à rire devant mon mime exagéré.

— Je pense que je serais resté un peu silencieux d’abord.

— Tu ne m’aurais pas baratiné ? Que mon père était un voleur et qu’il a dérobé toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans mes yeux ?

— Peut-être, mais j’aurais essayé de faire plus original !

— Ah oui ?

— Ton père était un voleur, il a dérobé le feu pour t’en faire une chevelure.

— Mmh, nan. Ça ne va toujours pas.

Il rit.

— Je suis d’accord. Non, je pense que je t’aurais demandé « pourquoi » ?

Je sais pas. Il est mignon, il sait pourquoi lui ?

— Je ne sais pas, parce que tu me plais ? Mais en même temps, tu ne serais pas resté avec moi bien longtemps.

— Alors ça ne te plait pas comme situation ? Tu fais une concession ?

— Hein ? Non pas du tout ! J’y ai vraiment réfléchi. Ma mère m’a posé une colle, pourquoi est ce qu’on ne pourrait pas aimer plusieurs personnes à la fois ? Et j’avoue que je n’ai pas de contrarguments.

Le grand vaurien ne répond pas tout de suite. Je remarque que sa main est soigneusement fermée, de sorte que ses doigts ne touchent pas mon sein par inadvertance.

— Est-ce que tu sais comment fonctionne le système d’exploration des rats ?

— Non… ?

— Ça forme une étoile. Au centre, leur foyer, ou ce qu’il considère étant foyer, ça peut être un congénère, et de là, ils vont partir dans toutes les directions. D’abord tout près, puis de plus en plus loin, mais chaque fois, ils repassent par leur foyer.

Je cherche encore le rapport, mais je m’abstiens de l’interrompre.

— La manière dont tu as proposé notre relation m’a fait penser à ça, c’est un peu comme si j’étais un rat et toi mon foyer.

— J’avoue que je sais pas quoi te répondre. L’image ne me parait pas si mal que ça, mais t’es vraiment allé chercher ça loin ! J’imagine que tu as déjà eu des rats ?

— Oui ! C’est extra comme compagnons ! Si on fait fi de retrouver des trous un peu partout…

Son air songeur me fait ricaner, il parle d’expérience.

— Après, tu m’as dit oui, hier, mais ma demande est peut-être prématurée ? Je suis peut-être pas le genre de nana que tu veux en copine principale.

— Si !

Il se crispe et sa réponse un peu trop pressée m’étonne autant qu’elle me réjoui.

— Je veux dire, je crois que tu me plais depuis longtemps.

— Alors ça, va falloir que tu m’expliques. Comment le grand vaurien qui a au moins dragué toutes les filles du lycée et plus encore, n’a pas trouvé le courage en deux ans de venir causer à la nana la plus chill qui soit ?

— Je sais paaaaas, Okeh ? Je sais pas. T’as cette aura brulante autour de toi et j’avais peur de cramer.

— Hiroko s’est jamais brulée, hein ?

— C’est ça, moque-toi.

— Nan, mais plus sérieusement…

Je m’arrête et lui fais face.

— Ça te va ?

— Ouais.

Il saisit ma casquette pour ne pas se prendre la visière et m’embrasse, se redresse, repart. Son expérience a rendu ce genre de gestes si ordinaire. Je comprends que maintenant à quel point j’arrive après tant d’autres.

Je secoue la tête, c’est absurde comme façon de penser. Et puis, ça a l’immense avantage d’évite la gêne de début de relation. Je ne suis pas sûr d’être capable d’oser ce genre de chose si facilement.

— Tu viens ?

— J’arrive !

Il me tend une main que j’attrape volontiers et enfonce ma casquette sur sa tête.

— Et puis c’est vrai que l’idée me plait aussi. Tu es ma copine, et en même temps je dois rester compétitif, être au moins aussi intéressant qu’un autre !

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