Olivia

4 minutes de lecture

Je claque la porte. M’y adosse, inspire profondément. L’air est encore chaud. Un pas après l’autre, je m’éloigne de chez moi. Le poids sur mes épaules s’allège. Respirer devient plus facile. Les derniers rayons de soleil caressent ma peau, mon sourire revient. Mon pas se fait plus tranquille, je dessers la main qui pressait mon livre, le parc n’est plus très loin.

À cette heure, il n’y a plus d’enfants. Le parc est calme. Les promeneurs de chiens, les couples amoureux, quelques coureurs tardifs, je m’assois sur un banc. Je les regarde un peu. Et j’inspire. Ferme les yeux. Le vent fait lentement crépiter les feuilles, l’odeur du jasmin me vient par volute, et les oiseaux chantent et roucoule au-dessus de l’humain, se jouant bien d’eux. J’ouvre mon livre, m’immerge.

Un rayon de soleil éclaire ma page.

Un papillon s’y pose.

La lumière baisse.

Le vent se rafraichit.

Les lampadaires s’allument.

Je ferme mon livre, soupire un peu. Je n’émerge pas vraiment, le cœur encore auprès du petit frère, du coup de file à sa mère, de sa sœur. Le sourire du scorpion. Je m’allonge sur le banc, ce livre m’a secoué.

Je me réveille parce que je grelote. Je jette un coup d’œil à ma montre, 4 h, le début de la rosée, mon livre va gondoler. Je me redresse sur un coude et regarde la nuit. Les lampadaires sont éteints, le ciel est clair, le parc est silencieux. Si je rentre maintenant je vais réveiller mon père. Je me rallonge.

Je grelote.

Et j’attends.

Le ciel s’éclaircit et l’aube vient me réchauffer tranquillement, je souris. Il est temps de rentrer.

J’arrive au lycée en avance. Les cours ne commencent pas avant une demi-heure. Les premiers bus crachent leurs passagers bien bruyants et je m’enfuis vers le silence. J’entre dans le CDI.

— Bonjour, Olivia.

Caroline, la documentaliste. Bibliothécaire le reste du temps. C’est comme ça qu’elle me connait.

— Bonjour, Caroline. J’ai fini Le sourire du scorpion.

— Déjà ? Alors ?

— Lent. Magnifique.

— N’est-ce pas ? Tiens, je t’ai apporté Miss Islande. Je pense que tu vas l’aimer tout autant. Ce n’est pas le même genre de lenteur.

— Merci.

On échange les livres et je la vois ranger Le sourire du scorpion dans son sac, je souris.Je savais qu’elle ne l’avait paris du CDI.

Je m’installe dans un fauteuil et commence ma lecture.

— Ça a sonné.

Je sens la main de Caroline sur mon épaule. Elle me connait, se doute qu’il est plus judicieux de venir m’interrompre plutôt que d’espérer que j’entende la sonnerie.

— Merci. À tout à l’heure.

Elle hoche simplement la tête et continue son rangement, je vais en cours. Je suis juste à l’heure Deuxième jour de la rentrée, mardi, deux heures de français. J’aime autant la matière que la professeure. Je croise les bras sur la table et écoute.

— Gabriel ! le tableau est de l’autre côté. Est-ce que tu peux me répéter ce que je viens de dire ?

— Euh…

— Colette… ?

— Colette…

Je souris de la mine désespérée de madame Frubin.

— Olive, est-ce que tu peux lui faire une résumée s’il te plait ?

Je me redresse, surprise. Je suis de ce que l’on ne voit pas d’ordinaire.

— Sidonie-Gabrielle Colette, fin 19e, début 20e, est l’une des romancières françaises les plus connues. Autant en France qu’à l’étranger. Femme de lettres, mais aussi comédienne et journaliste, elle a d’abord été étouffée, voir écrasée par son mari sous le nom duquel elle a publié ses premiers romans, la série des Claudine, dont elle signera de son nom le dernier tome. Sa bisexualité affirmée et revendiquée occupe une grande partie de ses œuvres. Elle sera la deuxième femme nommée à l’académie Goncourt, ce qui est excessivement rare rappelons le, et la deuxième femme à bénéficier d’obsèques nationales, là où on ne compte plus les hommes évidemment.

Un sourire étire les lèvres de madame Frubin. J’ai dit plus que ce qu’elle n’avait dit. Évidemment que je connais Colette.

La cloche sonne. Je me réfugie au CDI le temps de la pause. Retourne en cours. Puis le CDI à nouveau. Je préfère la compagnie des livres au bruit du self.

Miss Islande me fait voyager, et je m’identifie à Hekla comme si elle était une grande sœur bienveillante et silencieuse.

Cours suivant.

Puis sport.

Courir n’a rien de passionnant. Alors je pense à Hekla, à Jon John son meilleur ami, marin-pêcheur et homosexuel violenté, et à Reykjavik, cette ville qui semble si austère, perdue sur cette ile nordique.

Je manque de heurter la terminale qui s’est brusquement arrêtée.

— Je suis désolée, j’avais pas vu que t’étais derrière, me dit-elle

Ses yeux sont étonnés de me voir, comme si je venais d’apparaitre, ou peut-être vient-elle de se raccrocher à la réalité. Je lui souris et repars. En Islande, et plus loin encore.

Devant la porte de chez moi, mes pieds se figent et je regarde la porte en bois. La peinture écaillée. Je n’hésite pas, je sais que je ne veux pas rentrer. Rentrer dans cet univers-là, cet air qui empeste, l’obscurité poisseuse d’un foyer qui n’est pas chez soi. L’air est tiède. Je ferme les yeux, imagine les trois pas, les vingt marches, ma chambre. Mais je reste là et ma main serre la bretelle de mon sac.

Je fais demi-tour.

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