Chapitre 1

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J'essayais d'attacher mes cheveux tant bien que mal. N'ayant pas d'élastique sur moi, je tentais de les faire tenir en les nouant, mais je venais de les laver le matin même et ils n'accrochaient pas. Comment un aussi petit détail pouvait-il me gâcher la vie ?

— Tu t'en sors Sacha ?

Ma collègue m'observait, assise sur sa chaise, me dépatouiller comme je le pouvais avec ma tignasse.

— Non, visiblement pas, râlai-je. De toutes les façons, cette journée est pourrie. Il fallait bien qu'elle le soit jusque dans le fait de ne pas pouvoir attacher mes cheveux. Un de ces quatre, je vais finir par les couper court.

— Oh, non ! Ne dis pas ça ! s'exclama-t-elle. Ils sont si beaux... tu sais à quel point je t'envie de les avoir si longs.

Je le savais, Ophélie ne manquait pas une occasion de me le rappeler. Elle les portait au-dessus des épaules et assurait qu'il était impossible pour elle de les avoir plus longs que ça.

Poussant un gros soupir, je décidais de renoncer et de ne pas les attacher. Tant pis, j'allais continuer à avoir chaud, mais il y avait des moments où il fallait savoir abandonner une bataille qui s'annonçait vaine.

— Tu vas à la manif, demain ? m'interrogea ma collègue.

— Oui, j'ai prévu d'y aller, répondis-je.

— Et Antoine, il vient avec toi ?

— Non, il ne voit pas l'intérêt...

— Oh.

Elle ne poussa pas plus loin, sachant pertinemment que c'était un terrain glissant. Antoine était mon petit-ami depuis cinq ans. Je l'aimais, tout du moins, je l'avais aimé. Le problème était que nous nous étions rencontrés lorsque nous étions étudiants et qu'entre temps, j'avais l'impression que nous nous étions éloignés l'un de l'autre. Nous vivions ensemble et pourtant, j'avais parfois le sentiment de vivre avec un étranger. J'avais tendance à être révoltée par la société et le patriarcat ; à aller manifester dès que je le pouvais et ainsi défendre les droits de tout un chacun. Tandis que lui, préférait rester sur notre canapé en « cuir de nubuck » qu'il m'avait imposé et regarder ses matchs de foots. Il ne comprenait pas pourquoi je mettais tant d'ardeurs à lutter pour les droits des autres, quand ça ne me touchait pas directement.

Moi je ne comprenais pas ce que je faisais encore avec un homme avec si peu de convictions. Mais je n'avais pas le courage de le quitter, de devoir déménager, trouver un autre appartement... Avec mon salaire de jeune enseignante, je n'allais pas aller bien loin. Ma vie était si remplie et chargée, que je ne trouvais pas le temps de quitter un homme pour l'instant. Alors je repoussais sans cesse le moment, depuis plusieurs mois, me disant que peut-être que j'y arriverais cet été, pendant les vacances. Ou peut-être qu'il changerait soudainement et que je retrouverais l'homme dont j'étais tombée amoureuse il y avait plusieurs années.

Une sonnerie retentissante me tira de mes pensées. C'était l'heure de retourner en classe pour enseigner à ces petits monstres pleins d'énergies.

— Allez, les filles ! Haut les cœurs !

Pierre, le seul instituteur de notre école, était toujours de merveilleuse humeur et aimait essayer de faire en sorte que tout le monde le soit également. Malheureusement pour lui, ce n'était en général pas évident.

— Plus que quoi... vingt-quatre ans avant la retraite ? s'interrogea Ophélie à haute voix.

— Si tu penses comme ça, tu es mal barrée, quand même, lui répondis-je en riant.

Le reste de l'après-midi s'était écoulé comme une journée de travail normal et j'étais rentrée à la maison depuis un petit moment, quand Antoine passa la porte d'entrée.

— Ah, tu es là ? me demanda-t-il, visiblement étonné.

— Où veux-tu que je sois ?

— À l'école, comme souvent ces derniers temps.

Son ton sonnait plein de reproches. Je l'observais traverser le salon pour se diriger vers la cuisine, ouvrir le frigidaire et se servir une bière.

— Je me suis dit que j'allais rentrer plus tôt ce soir, histoire qu'on passe la soirée ensemble, vu que je vais à la manif demain et que je ne sais pas à quelle heure je rentrerais.

— C'est trop aimable à toi, me répondit-il, plein de dédain.

— Mais c'est quoi ton problème ? lui demandai-je alors, sidérée par son attitude.

— Rien, laisse tomber.

Il jeta la bouteille en verre dans le sac de tri et repris ses clés.

— Je vais boire un coup chez Luc. Ne m'attends pas pour manger.

La porte se referma brusquement derrière lui et le silence se fit dans l'appartement, mettant en évidence le ridicule de la situation. Qu'est-ce qui venait de se passer ? Qu'est-ce qui lui avait pris ? Je ne comprenais pas son attitude, mais une chose était sûre : j'allais peut-être devoir me bouger, prendre mon courage à deux mains et le quitter au plus vite. S'il n'était pas présent ce soir-là et moi le lendemain, il faudrait que l'on ait une discussion ensemble durant le week-end. Je rechignais à l'idée de devoir en arriver là, mais il fallait que je le fasse. Je pris mon téléphone et envoyais un message à mon meilleur ami.

À Bastien : Il est encore allé chez Luc...

Le smartphone ne mit que quelques secondes avant de sonner pour signifier que j'avais reçu une réponse.

De Bastien : Tu sais ce que j'en pense...

À Bastien : Et moi je pense que tu es parano.

De Bastien : Je ne comprends toujours pas comment une femme de caractère comme toi, n'arrive pas à larguer un tel looser.

À Bastien : C'est compliqué.

De Bastien : Non. Antoine, tu es qu'un gros con. Toi et moi c'est fini.

Je levais les yeux au ciel tout en lisant son dernier message. Avant de lui répondre, je décidais de me commander quelque chose à manger via UberEats. C'était tout moi, ça. Frustrée ? La solution était de manger. En colère ? Manger. Triste ? Manger. Contente ? Récompensons-nous en mangeant.

Pour compenser, j'avais pris l'habitude d'aller courir deux fois par semaine. Cela m'aidait à réguler toute cette nourriture trop riche que j'ingurgitais fréquemment.

De Bastien : Tu veux que je vienne ? Je peux passer prendre un kebab au passage ;)

À Bastien : J'ai déjà commandé un truc. Je crois que j'ai envie d'être toute seule ce soir.

Je posais alors mon téléphone sur la table basse et allumait la télévision pour mettre en route Netflix. Le temps de décider ce que j'allais regarder, mon repas était arrivé. Quand on disait que trop de choix tuait le choix, c'était vrai.

Je dus m'endormir devant mon film, car quand j'ouvris les yeux, il faisait déjà jour. Je pris mon téléphone qui traînait sur la table basse et vis qu'il était déjà sept heures trente.

— Putain ! Je suis censée partir maintenant !

Je courus dans la chambre afin d'enfiler de nouveaux vêtements, tout en me brossant les dents, tant bien que mal. Antoine, lui, dormait paisiblement dans notre lit. Il était rentré cette nuit et n'avait pas jugé bon de me réveiller pour que j'aille me coucher. Quand est-ce que ça avait commencé à aller si mal entre nous ? Il fallait vraiment que je prenne mon courage à deux mains, on ne pouvait pas continuer ainsi.

Heureusement, j'arrivais à l'heure à l'école pour accueillir mes élèves. Mais notre canapé n'étant pas très confortable, j'avais assez mal dormi. Aussi, la journée me sembla bien longue et plus d'une fois, j'eus envie d'aller me coucher dans l'infirmerie pour piquer un petit somme. Malheureusement, ma directrice en avait décidé autrement, nous convoquant tous à une réunion imprévue à midi, me privant du seul moment de repos que j'aurais pu avoir.

Une fois la journée touchant à sa fin et la manifestation passée, je n'avais qu'une hâte : rentrer me coucher et dormir au moins dix heures. Je marchais tout en échangeant par messages avec Bastien, sans vraiment regarder où j'allais. Je connaissais le chemin par cœur et me sentait assez en sécurité dans cette ville pour ne pas être sur mes gardes en me promenant seule le soir.

Relevant la tête de mon smartphone, je remarquais soudainement que mes pas ne m'avaient pas guidée là où j'étais censée aller.

— Qu'est-ce que ?

C'était à n'y rien comprendre. Je me retrouvais dans une portion de la ville que je ne reconnaissais pas. En face de moi, deux personnes marchaient tout en parlant à voix basse. J'essayais de les interpeller, mais l'un d'entre eux se retourna, me lança un regard perçant, avant de continuer à avancer.

— Dites ! Vous pourriez m'aider ? Je ne sais pas trop où je suis...

J'accélérais le pas, essayant de les rattraper, mais leur cadence était trop soutenue pour moi. Je me mis alors à courir et alors que je pensais enfin pouvoir les rejoindre, ils tournèrent dans une rue, qui m'était elle aussi inconnue.

— Mais, attendez ! J'ai besoin d'un renseignement, je ne vais pas vous agresser ! tentai-je de me faire entendre.

Ils gravirent les marches d'un immense bâtiment et entrèrent en utilisant une immense porte à tourniquet. Ne comprenant pas pourquoi ils m'ignoraient ainsi, je décidais de les suivre. Soit, je pourrais me faire écouter d'eux, soit, je trouverais quelqu'un d'autre qui pourrait m'aider.

Et moi qui rêvais de me coucher tôt ce soir-là.

Une fois à l'intérieur, je fus obligée de m'arrêter, estomaquée par la beauté de ces lieux. Tout semblait creusé dans de la roche. Pourtant, on était en plein centre-ville, ce n'était donc pas possible. Des marches menaient aux étages supérieurs et je vis les deux personnes que j'avais suivies jusque maintenant, entrer dans une pièce au premier niveau. Grimpant les escaliers deux par deux, j'arrivais devant une porte qui était fermée. Alors que j'avançais la main pour la pousser, celle-ci s'entrouvrit toute seule. Sur le moment, cela me sembla étrange, mais je choisis tout de même de continuer sur ma lancée et d'entrer dans la salle. Je ne savais pas à quoi m'attendre, mais certainement pas à ce que j'avais sous les yeux. Le long d'un mur, des étagères montaient à perte de vue. Impossible de savoir jusqu'où elles allaient, je n'arrivais pas à en voir le bout. En face, un train à vapeur prenait place. Comment pouvait-il tenir dans cet endroit ? C'était tout bonnement absurde. D'où venait-il ? Et où allait-il ? Comment avait-on pu le faire entrer ici ?

Tant de questions se bousculaient dans ma tête et je restais les bras ballants, les doigts encore sur la poignée de la porte, à cligner des yeux comme une idiote. Un seul wagon se tenait derrière la locomotive et sur un marchepied, une femme se tenait debout, semblant attendre que je la rejoigne. Sans trop savoir pourquoi, mes pieds se mirent à se déplacer dans sa direction. Quand j'arrivais à sa hauteur, elle me tendit une main que j'attrapais afin de monter dans le véhicule.

À l'intérieur, plusieurs rangées de banquettes en velours rouge se suivaient les unes les autres. Et sur l'une d'entre elles, l'homme qui s'était retourné précédemment dans la rue. Il me fit signe de venir m'asseoir à côté de lui et, une fois de plus sans comprendre pourquoi, je m'avançais pour m'installer à ses côtés.

— Bonjour Sacha.

Il avait une voix douce et un regard plus chaleureux que tout à l'heure. Ses cheveux étaient rabattus en arrière, et il était rasé de près. Tout comme la femme qui l'accompagnait, il portait un uniforme beige dont le col remontait le long de sa gorge.

— Comment connaissez-vous mon prénom ? Qui êtes-vous ? le sommai-je.

— Je m'appelle Nicolas.

Il continuait de m'observer tout en souriant. Son rictus se voulait rassurant, mais au fond de moi, quelque chose ne pouvait s'empêcher de se méfier.

— Qu'est-ce que c'est que ce train ?

Celui-ci se mit en route doucement et nous commençâmes à avancer. L'autre femme vint nous rejoindre et s'assit en face de moi. Ses longs cheveux blonds encadraient son visage angélique. Elle était très belle, mais je ne pouvais réprimer un frissonnement en l'observant.

— Bonjour Sacha.

— Bon, ça va bien deux secondes, vos trucs. Mais comment savez-vous qui je suis ? Et où est-ce que l'on va ?

Ils se regardèrent quelques instants, puis mon voisin reprit la parole.

— Sacha... ce soir, en rentrant chez toi, tu es morte. Et maintenant, ce train t'amène vers ta nouvelle vie.

Attendez, j'étais... quoi ? 

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