Chapitre 2

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Je les regardais tous les deux, me disant que ça devait forcément être une blague. Je ne pouvais pas être morte, c'était inconcevable. Je m'en serais rendu compte, non ?

— Nous avons bien conscience que ça doit être un choc pour toi, mais tu ne dois pas avoir peur. Tout va bien à présent.

Je contemplais la femme en face de moi. Comment pouvait-elle être aussi calme en m'annonçant une nouvelle pareil ? Je me levais soudainement de mon banc, et me dirigeais vers la porte du wagon. J'essayais de l'ouvrir, mais je ne pouvais rien faire.

— Qu'est-ce que tu fais, Sacha ? me demanda l'homme qui disait s'appeler Nicolas.

— Je tente de sortir de ce fichu train, grognais-je tout en forçant sur la poignée.

— Tu ne peux pas. Une fois qu'il est en route, c'est impossible d'en redescendre avant sa destination.

Je me retournai alors, la colère montant en moi.

— Et où est cette destination ? Je peux savoir où vous m'amenez ?

— Vers ta nouvelle vie.

Je levai les yeux au ciel et tapai de mon poing contre la vitre. C'était une blague. Ou peut-être étais-je même en train de rêver ?

— Si je suis morte, comment est-ce que je peux « me diriger vers ma nouvelle vie », comme vous dîtes ? demandai-je.

— Est-ce que tu pensais qu'une fois ton existence terminée, tu accéderais au « paradis », comme l'imaginent beaucoup de tes semblables ? m'interrogea la femme qui ne m'avait pas encore donné son nom.

— Je ne suppose rien du tout. Je n'ai jamais cru à un au-delà. Pour moi, une fois mort, c'est le néant. Merci pour vos bons services et à jamais.

Ils se regardèrent et se mirent à rire.

— Je peux savoir ce qu'il y a de si drôle ? m'énervai-je.

— Tu risques d'être bien surprise, alors, répondit Nicolas. Viens t'asseoir, le voyage va durer un certain temps, ça ne sert à rien de rester debout tout du long.

Je détestais cette situation.

Morte.

Comment était-ce arrivé ? Une minute j'étais en train de marcher dans la rue, tout en parlant avec Bastien, à préparer mon discours pour rompre avec Antoine. Et celle d'après, j'étais morte.

Non.

— Comment ?

— Comment quoi ? me demanda la femme en fronçant les sourcils.

— Comment suis-je morte ? m'impatientais-je.

Elle allait répondre, mais l'homme l'interrompit brusquement.

— Tu n'as pas besoin de savoir ce genre de détails. Sache juste que tu n'as pas souffert et que ça n'a pas duré longtemps.

Je passais mes mains sur mon visage et m'asseyais sur un siège, loin d'eux. Le trajet fut long, en effet. Je ne savais pas combien de temps s'était écoulé depuis le départ et je ne voyais rien à travers les fenêtres du train, hormis des lumières qui passaient fugacement. De temps à autre, je sentais que nous ralentissions et je pensais du coup que nous arrivions enfin, mais le véhicule accélérait à nouveau, faisant taire en moi l'espoir que ce voyage serait bientôt fini.

Je restais à l'écart des deux énergumènes, ces derniers communiquant régulièrement en chuchotant.

En observant plus attentivement le convoi, je me fis la réflexion qu'il était bien vide. Cela me semblait assez douteux que je sois la seule ici. Je ne pouvais pas être la seule personne morte qui devait se rendre vers sa « nouvelle vie » comme disaient les deux illuminés.

Morte.

J'avais beaucoup de mal à digérer l'information. En même temps, est-ce que c'était quelque chose que l'on pouvait accepter ? Non, c'était tout à fait absurde.

Au bout d'un moment, je finissais par somnoler, mon menton retombant lourdement sur ma poitrine. Je fus brusquement réveillée lorsque, le train s'arrêtant enfin, je faillis tomber de mon siège. Mais une main attrapa la mienne et me releva, m'évitant ainsi l'humiliation de me retrouver face contre terre.

— Doucement, il ne faudrait pas te faire mal.

Un sourire aux lèvres, le Nicolas se tenait devant moi. Pour ma part, je n'avais absolument pas envie de m'amuser. Le mec venait de m'apprendre que j'étais morte et se comportait avec moi comme si tout était parfaitement normal. Pourtant, rien ne l'était, vu que je ne faisais plus partie du monde des vivants.

Morte.

J'avais beau me répéter ce mot en boucle dans la tête, il n'en devenait pas plus tangible pour autant.

— Sacha ?

Je me retournais pour voir qui m'avait appelée.

— Nous sommes arrivés, reprit la femme, il va falloir que l'on descende du train.

Tout en sortant du wagon, je m'efforçais de me souvenir de mes derniers moments de vie. Mais j'avais beau réfléchir, je me revoyais marcher dans la rue, écrivant un message à Bastien, puis les suivre eux, sans vraiment savoir pourquoi. Pourquoi avoir absolument voulu leur demander mon chemin, alors qu'il me suffisait de faire demi-tour ? Est-ce que j'étais déjà morte à ce moment-là ? Où est-ce arrivé une fois entré dans ce bâtiment ?

Tout occupée à mes pensées, je ne fis pas attention à ce que je faisais, et je manquais la dernière marche du wagon, pour atterrir dans les bras de Nicolas.

— Est-ce que ça va devenir une habitude ? me demanda-t-il en riant.

— Je ne crois pas non. Je suis juste un peu perturbée par tout ça, dis-je en m'écartant aussitôt.

Tout en remettant mes cheveux à leur place, je sentis une brise glaciale souffler dans mon dos et je me mis à frissonner, bien malgré moi.

— Il fait un peu froid, ici, fis-je remarquer en frottant mes bras dans une vaine tentative de me réchauffer.

Nicolas enleva son manteau et le mit sur mes épaules. Je ne pus m'empêcher de le regarder en haussant les sourcils.

— Tu en as plus besoin que moi, m'expliqua-t-il.

Ce n'est pas que j'étais contre un peu de galanterie, mais quelque chose me dérangeait dans cette situation.

— C'est normal que tu sois perturbée, reprit-il. N'importe qui le serait, à ta place. Je peux même t'assurer que tu t'en sors remarquablement bien.

Tout en me balançant d'un pied sur l'autre, pour essayer de faire circuler le sang dans mon corps et ainsi de me réchauffer, je fermais le vêtement qu'il venait de me prêter, prenant bien garde à monter le col le plus haut possible.

— Où est-ce qu'on est ? demandais-je.

— Viens, je vais te montrer quelque chose.

Nous avançâmes sur ce qui semblait être une plateforme de gare et au bout de quelques pas, arrivâmes en haut d'un immense escalier qui surplombait une grande vallée. Je restais sans voix face à ce décor stupéfiant.

— C'est...

Je ne trouvais pas les mots. C'était juste...

— Incroyable, lâchais-je enfin.

— Il faut qu'on se dépêche, on nous attend, nous pressa la jeune femme.

— C'est quoi votre nom ? l'interrogeais-je alors.

— Pardon ?

— Vous savez que je m'appelle Sacha, lui c'est Nicolas. Mais vous, je n'en ai aucune idée.

— Elle s'appelle Ejrine et ce n'est pas une grande bavarde, me dit son compagnon en passant devant elle.

Tous deux se mirent à avancer d'un pas rapide, me laissant derrière.

— Attendez-moi, au moins ! râlai-je. Est-ce que je peux savoir où on est, maintenant ? Ou toujours pas ? essayai-je de me renseigner tout en pressant le pas pour les rattraper.

— Nous sommes de l'autre côté, répondit Ejrine.

— Soit. Mais de l'autre côté de quoi ? insistais-je. De l'autre côté du miroir, comme Alice ?

— Alice ? me demanda-t-elle étonnée.

— Alice au pays des merveilles, tentai-je d'expliquer.

Je poussais un long soupir de frustration. Ça ne servait à rien, elle ne devait sûrement pas connaître la référence.

Nous commençâmes à descendre les escaliers. Il y en avait beaucoup. D'ici, je ne distinguais pas où ils s'arrêtaient.

Hypnotisée par la beauté du décor qui nous entourait, je me tournais vers Nicolas, qui semblait être le plus enclin des deux à répondre à mes questions.

— Où est-on ? Et qu'est-ce que c'est que tout ça ? demandais-je en faisant un geste vague du bras pour montrer ce qui se présentait à nos yeux.

— Comme te l'a dit Ejrine, nous sommes de l'autre côté. Ce que tu peux voir, ce sont les quatre royaumes qui constituent notre monde.

Il m'indiqua une vaste étendue d'eau qui se trouvait sur notre droite.

— Ici, c'est le royaume de l'amour. Il est composé d'un archipel d'iles, il y fait toujours beau et la température est idéale. Sur sa gauche, perdu dans le brouillard, c'est le monde des rêves. On ne voit pas grand-chose d'ici, mais une fois passée la brume, c'est un endroit merveilleux.

En l'entendant parler, j'étais persuadée qu'il devait venir de là-bas.

— Encore un peu plus à gauche, perdu dans les montagnes enneigées, se trouve le domaine des cauchemars. Tu te doutes que ce n'est pas un lieu où il est agréable de vivre.

— Et là-bas ? demandais-je en indiquant un vaste désert.

— Là-bas, c'est la mort, déclara soudainement Ejrine.

— La mort ? répétais-je bêtement.

— Oui, confirma Nicolas, c'est le domaine de la mort.

J'observais plus attentivement le paysage. Quelque chose m'attirait, sans que je ne sache pourquoi. Peut-être était-ce cette nuit étoilée qui semblait se profiler au-dessus de la terre aride.

Sans que je ne réalise quoique ce que soit, je me retrouvais sur mes fesses, dégringolant plusieurs marches, avant qu'on ne me stoppe dans ma chute.

— Mais ce n'est pas possible ! m'exclamai-je. Qu'est-ce qu'il me prend, aujourd'hui ?

Tout en me remettant sur mes pieds, la jeune femme s'adressa à moi d'une voix douce.

— Il ne faut pas être trop dur avec vous-même. Il va vous falloir un peu de temps avant que votre corps ne s'habitue à ce nouvel environnement. Ces pertes d'équilibres et maladresses sont tout à fait normales, conclut-elle avec un sourire.

Elle qui, jusque maintenant, semblait ne pas vouloir me prêter plus d'attention que ça, se montrait bien gentille, soudainement. Je l'observais avec méfiance, ne sachant quoi lui répondre.

— D'ailleurs, pendant que j'y pense : est-ce que c'est le chemin que tout le monde emprunte habituellement, quand il meurt ? J'ai quand même beaucoup de mal à imaginer une foule de personnes fraîchement morte, en train de descendre ces escaliers. Il y a de quoi créer des émeutes. Et puis, ce serait pour aller où ? Ceux qui ont été gentils pendant leur vie sont répartis entre le royaume des rêves et de l'amour ? Et les méchants dans les royaumes des cauchemars et de la mort ?

Du coin de l'œil, je vis Ejrine réprimer un sourire, tandis que Nicolas semblait chercher quoi me répondre.

— Ce... c'est...

— Quoi ? l'empressai-je.

— Tout le monde n'arrive pas ici. Pour le commun des mortels, une fois décédés, ils disparaissent.

J'arrêtai subitement de marcher, abasourdie par ce qu'il venait de m'annoncer.

— Mais... pourquoi est-ce que je n'ai pas disparu, moi aussi ?

— Je n'en sais pas plus que toi. Je sais juste qu'il a fallu que l'on vienne te chercher et que l'on te ramène avec nous. Il existe normalement des portails qui permettent de se déplacer plus rapidement entre les deux univers, mais ils ont actuellement hors service. C'est pourquoi nous avons pris le train à vapeur. Mais ça met plus de temps. Et nous ne sommes pas encore arrivés.

Nous nous remîmes à avancer dans le silence. Je restais légèrement en retrait, interloquée par ce que je venais d'apprendre. J'essayais de revoir ma courte vie en perspective, tentant de comprendre ce que j'avais bien pu faire pour ne pas faire partie du « commun des mortels ». Mais j'avais beau réfléchir et tenter de trouver ce qui aurait pu faire de moi quelqu'un de plus exceptionnel qu'un autre, je ne voyais pas. J'étais une personne tout à fait normale, qui s'évertuait à manger régulièrement des légumes, prendre des nouvelles de sa mère et sa grand-mère le plus souvent possible et avait tendance à ouvrir sa grande gueule sans réfléchir auparavant.

Décidément, c'était à n'y rien comprendre. 

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