Vérité

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Frôler la mort et revivre, l'expérience avait conféré à Emma une force encore jamais éprouvée. Ce qui ne tue pas, rend plus fort. En temps normal, la célèbre maxime avait le don de l'exaspérer. Elle l'avait tant de fois critiquée. La force résultait pour elle, d'une capacité de résilience et non du surpassement d'une vulnérabilité extrême, inutile à vivre. Lutter pour exister était le credo de leur enfance, une circonstance contre laquelle elle se sentait à jamais révoltée.

Pour la première fois, six jours plus tôt, Emma avait dû s'abandonner corps et âme. Ce lâcher-prise imposé venait lui accorder un répit même si elle le savait de courte durée. D'où venait alors ce sentiment optimiste, cet élan qui la projetait dans l'avenir avec la certitude d'avoir encore quelque chose à vivre ?

Emma était restée discrète sur sa maladie. Elle savait donner le change, déguiser sa voix, faire passer ses craintes pour des certitudes. Il lui semblait inutile d'inquiéter ses proches ou perturber le cours de leur existence.

Julien avait posé tant de questions insistantes qu'Emma s'était retrouvée dos au mur. À contrecoeur, elle avait fini par lui révéler la vérité. Lui seul était au courant de la récidive de la maladie et de la réalité qui accompagnait ce diagnostic : à partir de ce moment, Emma ne guérirait plus.

Julien était cependant le mieux placé pour disposer de ce secret. La mort était un questionnement de longue date. Enfant, Emma avait tenté de le rassurer avec les arguments qui la rassuraient elle-même. À la question : « où va-t-on après la mort ? », elle avait répondu : « où étions-nous avant la vie ? La mort arrivera un jour. Lorsqu'elle nous emportera, nous ne serons plus là. La mort ne nous concerne pas. Alors vivons sans nous préoccuper d'elle ».

Depuis toujours, Julien et Emma parlaient de la mort sans tabou et sans fausse pudeur. Fréquemment, ils la congédiaient avec humour, l'enveloppaient de dérision.

Emma voulait conserver sa part de liberté, d'autonomie et de décision. Pour cette raison, elle gardait ses proches à l'écart. Si elle avait mené de main de maitre l'éducation de ses frères et soeurs, elle n'avait jamais imaginé devoir recourir à leur aide.

Julien avait rassemblé toute la famille sous un prétexte inhabituel, qui n'avait pas manqué de leur paraître suspect. Les retrouvailles dans la chambre d'hôpital étaient néanmoins chaleureuses. Ils s'embrassaient avec l'attention de toujours. Dans un lieu restreint, chacun savait trouver un espace d'intimité dans un lien de solidarité.

Sans trémolo ni tristesse dans la voix, Emma expliqua la récidive de sa maladie, l'apparition de métastases mais aussi l'existence d'un traitement chargé de ralentir son évolution.

« Vous me connaissez, je ne laisserai jamais quelque chose ni quelqu'un nous gâcher la vie. J'ai besoin de votre soutien, du même soutien que vous m'apportez depuis toujours. Je souhaite aussi garder ma liberté et exercer mes choix. J'ai tenté d'écrire mes directives anticipées mais je ne sais pas quoi écrire car j'ignore ce que le futur me réserve exactement.

Emma s'étonnait elle-même de la clarté des paroles qui s'échappaient de sa bouche sans laisser de douleur au fond de sa gorge.

Si j'étais inconsciente, j'aimerais que vous soyez à mes côtés comme nous l'avons toujours été dans les circonstances aggravantes de cette vie. Je sais que vous saurez parler à ma place si des décisions médicales devaient être prises sans mon accord. Qui mieux que vous pourrait deviner mes sentiments profonds ? Peut-être qu'il serait bien que l'un de vous se désigne comme personne de confiance ? Je vois d'ici la panique des médecins en découvrant une liste de neuf personnes à interroger pour statuer sur mon avenir.»

Julien sentit les regards de ses frères et soeurs se tourner vers lui comme si cette place lui revenait de droit. Le lien singulier qui l'unissait à son aînée depuis sa naissance était admis de tous et ne suscitait pas la moindre jalousie. Il accepta cette mission avec l'assurance du soutien de ses frères et soeurs.

Un silence suivit l'aboutissement de la discussion, pas un silence de plomb, un silence qui enveloppait cette réalité pour la rendre acceptable avant que les sons rassurants du quotidien dissipent peu à peu sa cruauté.

Emma se sentit libérée d'un poids.

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