Chapitre 2 : 7:40 - 8:30

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Ana était sous la douche lorsque retentit la sonnerie du téléphone. Elle en était sortie et finissait de s'habiller lorsque le tuner de la chaîne hi-fi diffusa un bulletin spécial d'informations : "Radio Madrid. Vers 7 h 35, ce matin, des explosions se sont produites dans plusieurs trains de banlieue en provenance d'Alcalá de Henares, en gare de Santa Eugenia, El Pozo et Atocha. Le nombre de victimes est élevé, selon les services de sécurité et la Mairie de Madrid..."

Son cœur chavira et la frayeur la fit tomber assise sur le canapé, sur son portable. L'ayant récupéré sous elle, elle vit qu'elle avait un message de Diego. Seuls les derniers mots de ce message lui restèrent en mémoire : "Je suis vivant, mon cœur". Et pendant plusieurs minutes, entre des sanglots de soulagement et un hoquet irrépressible, elle resta là, hébétée, incapable de se mouvoir, le corps secoué de tremblements.

Puis, tout d'un coup, elle sortit de sa torpeur. Attrapa son sac à main, prit son imperméable au portemanteau, mit ses chaussures, sortit en coup de vent de l'appartement et se rua dans l'escalier, sans même fermer sa porte. Dans la rue, les sirènes des ambulances et des voitures de police retentissaient. Elle se planta devant le premier taxi qui apparut sur l'avenue et, pour un peu, celui-ci la renversait :

À Atocha, le plus vite possible !

Le ton était sans réplique et le chauffeur de taxi ne posa pas la moindre question.

Ça va être difficile. Il s'est passé quelque chose et les gens ont le feu au cul. Mais je peux essayer.

Merci. Vous pouvez mettre une radio avec des infos ?

Le chauffeur de taxi s'inséra entre une voiture de police et deux ambulances qui roulaient à tombeau ouvert, sirènes hurlantes, grillant les feux rouges, donnant de brusques coups de frein et faisant des embardées pour se jouer du trafic ordinaire.

En chemin, ils entendirent les premiers récits des événements. Ana fut obligée de descendre à l'extrémité du boulevard Alphonse XII parce que déjà seuls les véhicules sanitaires et de sécurité pouvaient entrer dans le périmètre délimité par des bandes plastiques jaunes et noires.

Elle allongea un billet de vingt euros au chauffeur, sans attendre sa monnaie et se retrouva sur le trottoir, désorientée, les jambes flageolantes, au bord de l'évanouissement. Elle dut prendre appui quelques minutes sur une barrière métallique pour reprendre haleine et se situer.

Elle se précipita alors sur le premier uniforme qu'elle vit et c'était un membre de la Croix Rouge, sur le rond-point même d'Atocha. L'homme, un gaillard à moustache, formé à ce type de situations d'urgence, la laissa tout d'abord se libérer de son angoisse en la prenant entre ses bras, tandis qu'elle lui disait, d'une voix hachée :

Mon fiancé est dans ce train ! Je veux le voir ! Laissez-moi passer !

L'homme prit sa voix la plus tranquille pour lui répondre :

Comment savez-vous qu'il est dans ce train ? Comment s'appelle-t-il ?

Anna plongea ses yeux dans les siens, interdite, mais elle réussit à se dominer pour répondre :

Il m'a appelée du train. Il disait qu'il était vivant. Il s'appelle Diego Pórtoles Martín.

OK. Calmez-vous. On est en train de regrouper les survivants dans la gare pour que des psychologues les aident à évacuer le traumatisme subi ; les blessés qui ont pu sortir tout seuls et ceux qu'on a déjà dégagés sont en train d'être évacués vers les hôpitaux du secteur. Mais on n'a pas encore les listes. Elles sont établies sur place au moment des entrées, dans la mesure où l'identification est possible. Je vous conseille tout d'abord d'aller voir s'il figure parmi les sains et saufs et ensuite de faire le tour des hôpitaux les plus proches. Là-bas, on s'occupera de vous. Ici, dans l'hôpital de campagne qui a été installé sur les voies mêmes, on soigne les blessés les plus graves et on essaie de désincarcérer ceux qui sont restés prisonniers des tôles, mademoiselle.

Ana n'en pouvait plus. Elle éclata en sanglots et pleura pendant un long moment à chaudes larmes sur l'épaule du type, qui lui donnait des tapes amicales. Enfin, elle eut un mot d'excuse :

Je suis désolée. Je vous empêche de faire votre boulot.

Pensez-vous ! Vous avez très bien fait. Il fallait que ces pleurs sortent le plus vite possible. Et on est là pour ça aussi. À présent, faites ce que je vous ai dit et bonne chance !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mai 2004.

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