Chapitre 3 : 7:40 - 11:00

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Diego ne figurait sur aucune liste et n'était pas à Atocha. Il s'était sorti de là tout seul, avait traversé les voies et sauté, sans savoir comment, le mur de clôture le plus proche. À présent, il marchait au hasard, la tête encore pleine du vacarme des explosions, le pantalon en lambeaux, la tête et le visage couverts de sang, à cause des éclats de verre. Il ne savait même pas où il était.

Sur son passage, les gens échangeaient des regards, sans oser ni l'arrêter ni lui parler. Lui, poursuivait son chemin sans se retourner ni regarder quiconque. Il s'enfonça dans un Parc et sentit qu'il respirait un peu mieux. Il eut envie de s'asseoir un moment sur l'un des nombreux bancs qui jalonnaient son chemin, mais les visages de plusieurs anciens qui s'étaient assis là lui firent peur et il accéléra le pas.

Il arriva auprès d'un étang où nageaient quelques cygnes. Tous étaient blancs sauf un, aux plumes noires. Cela lui sembla de mauvais augure et il obliqua à droite. Il s'approcha d'une espèce d'énorme jardin d'hiver et dans l'une de ses verrières vit un homme au pantalon en lambeaux et au visage ensanglanté qui le regardait. Il s'éloigna de là pour emprunter un sentier qui le conduisit jusqu'à une modeste grotte. Une petite cascade la protégeait de l'extérieur. Les parois les plus proches de l'eau suintaient d'humidité, mais au fond, il trouva un endroit plus sec. Il y avait même un petit banc. Il eut enfin le sentiment d'être en sécurité. Heureusement que ce matin il avait mis son anorak. Il se pelotonna du mieux qu'il put sur ce siège incommode, roula sa capuche pour poser sa tête et s'endormit aussitôt profondément.

À son réveil, un soleil pâle traversait de ses rayons le rideau de la cascade. Il s'étira pour se désengourdir et se demanda tout d'abord où diable il se trouvait. Il sentait la peau de son visage anormalement tendue du côté gauche et en la grattant avec son ongle il ramena quelque chose qui ressemblait à du sang coagulé ; son pantalon était également déchiré en plusieurs endroits. Il pensa qu'il avait peut-être été attaqué et qu'on l'avait abandonné là ; puis, tâtant ses poches, il constata qu'il avait bien son portefeuille, qui était intact, mais plus son mobile. Merde ! Son e-mode neuf qu'Ana lui avait offert pour Noël. Elle n'allait pas apprécier du tout.

Et alors, tout lui revint : sa traversée du Parc ce matin, son arrivée à Atocha, sa montée dans le train de 7 h 35, la première explosion, le bruit, la fumée, l'avalanche, son appel à Ana et enfin la sensation de tomber dans du coton. Et puis, plus rien. Rien avant qu'il ne se relève de là où il était étendu, sur les voies, au milieu d'autres corps, les uns blessés, les autres morts. Il ne parvenait pas à se rappeler s'il s'était échappé seul de ce wagon où si on l'en avait sorti. Un moment de son histoire lui manquait. Mais, par contre, il se souvenait fort bien de sa fuite à travers le Parc jusqu'à son arrivée dans cet endroit. Et alors il sut où il se trouvait : dans la grotte du Palais de Cristal, au milieu du Parc du Retiro, qu'il avait traversé le matin même.

Il rembobina le film des événements et cette fois-ci il s'arrêta tout seul au début de son message à Ana. ANA ! Elle devait être folle d'inquiétude. Il fallait qu'il l'appelle. Il chercha son mobile, à nouveau. En vain, bien entendu. Il se précipita hors de la grotte en direction de la voie la plus proche. En balayant les alentours du regard, il aperçut les couleurs de Telefónica, pas bien loin. Sortant une carte prépayée de son portefeuille, il se rua vers la cabine. 91.680.34.95.

Au bout de quatre sonneries, le répondeur se mit en marche : "Bonjour, tu es bien chez Ana, mais je ne suis pas là. Laisse-moi un message après le bip et je te rappellerai dès que possible, d'accord ?" Merde de merde ! Évidemment, elle devait être partie à sa recherche, après son premier message, et maintenant, où est-ce qu'elle pouvait bien être ? Il jeta un coup d'œil à sa montre : 7 h 36. Elle avait dû s'arrêter sous la violence du choc. Il était quelle heure, à présent ?

Il le demanda au premier passant qu'il croisa, à brûle-pourpoint, sans se soucier de la méfiance que devait lui inspirer son aspect désastreux. Onze heures ! Il avait dormi presque trois heures à la suite de l'immense frayeur qu'il avait vécue. Le plus urgent : aller chez lui, se laver, manger, car il avait une faim de loup à présent, se changer et se mettre en quête d'Ana. Elle devait être en train de faire la tournée des hôpitaux, à sa recherche.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mai 2004.

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