Prologue

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Je pense à toi tout le temps. Je pense à toi le matin, en marchant dans le froid. Je fais exprès de marcher lentement pour pouvoir penser à toi plus longtemps. Je pense à toi le soir, quand tu me manques au milieu des fêtes, où je me saoule pour penser à autre chose qu'à toi, avec l'effet contraire. Je pense à toi quand je te vois et aussi quand je ne te vois pas. J'aimerais tant faire autre chose que penser à toi mais je n'y arrive pas. Si tu connais un truc pour t'oublier, fais -le-moi savoir.
Ce serait toi, c'était toi, l'élue. Je ne voulais pas me marier parce que le mariage c'est pour toute la vie, et que toute la vie pour t'aimer me semblait un peu court. L'éternité serait un bon compromis.
Tu as été le phare qui a su me guider dans l’obscure…

Des crissements de pneus et le bruit de l'immense portail métallique constamment gardé, de l'autre côté du grillage, me firent relever le nez de ma lecture. Assise au sommet des gradins de la cour du pénitencier, livre à la main, je pus voir les autres détenues se précipiter vers la clôture sur laquelle elles s'acharnèrent agressivement en hurlant, les yeux rivés sur le fourgon qui s'arrêtait en laissant sortir les nouvelles prisonnières, enchaînées. La moitié d'entre elles se ferait dévorer en pénétrant l'enceinte de l'établissement, tandis que l'autre intégrerait probablement l'un des nombreux gangs qui s'étaient formés. Et les sélections commençaient dès leur arrivée, à la tombée de la nuit.
J'étais arrivée il y avait un peu plus de dix mois et j'avais eu droit à leur test de catégories. Finalement, je n'avais été classée dans aucune des deux, comme certaines autres, visiblement misanthropes. Après ce test, plus aucune détenue n'avait essayé m'approcher. Exceptée Dreleia, qui partageait ma cellule.
— On dirait qu'on a de nouvelles voisines, commenta une voix.
Je baissai les yeux vers les bancs du dessous que Dreleia enjambait pour me rejoindre avant de s'affaler bruyamment à côté de moi.
— À ton avis, qu'est-ce qu'elles ont fait ? me demanda-t-elle en inspectant l'extrémité d'une de ses boucles brunes.
Tandis que je reportai mon attention sur ma lecture, elle reprit.
— Je suis sûre que ce sont des infiltrées, comme d'habitude.
Elle se massa l'épaule et je pus découvrir sa Scargif, une marque qu'on nous apposait pour bloquer notre Afflux, source de pouvoirs alimentée par notre Axona, temporairement ou non. Et dans notre cas, nous rendre dociles. S'il fallait imager, on pourrait comparer l'Afflux à l'eau, et l'Axona au robinet. Sans robinet, pas d'eau, sans eau, pas de vie.
Les Axonas différaient selon les nations. Il y en avait six, résultant de l'éclat de Glalona, la nation originelle. Chaque nation cultivait un élément qui lui était propre : Awe, le Métal. Psi, le bois. Arcane, l'eau. Shroud, la Terre. Specter, le vent. Et Odium, la nouvelle Glalona, le Feu.
J'étais détenue à Specter, la nation où j'étais suis née, mais j'avais cultivé à Odium. Ce faisant, j'arrivais à manier les deux éléments, le Feu, par affiliation, et le Vent, par appartenance. Cependant, à cause des griefs que les deux nations éprouvaient l'une pour l'autre, l'usage de ces deux éléments de concert était prohibé, et passible d'emprisonnement. L'une des raisons de mon incarcération.
Je pouvais manier le Vent, puisqu'étant originaire de Specter, j'avais une Axona Feng, qui conférait une affinité avec l'air. Il en était de même pour les autres éléments : Huo pour le feu, Tu pour la terre, Mu pour le bois, Jin pour le métal et Shui pour l'eau.
Cependant, une affinité naturelle à un élément n'empêchait pas d'en manier plusieurs. En maîtriser deux était sans séquelles, et le maximum, puisqu'à partir de trois éléments, l'Axona surchaufferait et produirait un Afflux qui ne serait pas supporté par le corps. La réaction serait similaire à celle d'un empoissonnement par le sang.
— Quatre-vingt pour-cent d'entre elles se feront liquéfier pour refus d'obtempérer (elle soupira) Ça arrive tellement régulièrement, ils devraient mettre une affiche « Attention masochistes ».
Je ne répondis rien mais elle avait raison. Les nouvelles recrues étaient farouches ; elles se faisaient donc remettre à leur place par l'intermédiaire de la marque. Cela ne m'était encore jamais arrivé mais Dreleia était une habituée, et après chaque châtiment, lamentations et doléances étaient au rendez-vous.
Après un long monologue elle finit par baisser les yeux sur le livre que je lisais et s'esclaffa en lisant le titre.
— « Les Pages de notre amour » ? Sérieusement ? Tu me surprends de jour en jour, je savais que tu étais fleur bleue mais...
— Je ne le suis pas, la coupai-je.
— Alors pourquoi tu lis ces conneries mensongères et abrutissantes ?
Je ne répondis rien et elle ajouta :
— Mais je peux comprendre. Au point où t'en es t'as plus de chances de voir un ange te sortir du trou du cul que d'être libre un jour alors (elle désigna le livre d'un geste) si t'imaginer vivre d'amour et d'eau fraîche avec un Oliver Martin t'aide à ne pas perdre pied, je te soutiens à fond.
Lasse, je me relevai et quittai les gradins sous ses protestations aiguës, il serait bientôt l'heure de casser la croûte.
Au menu : une soupe gélatineuse violette. Son contenu ? Peu m'importait. Je n'avais pas le luxe d'être suspicieuse. En m'installant à l'extrémité d'une table, je baissai les yeux sur mon plat et après quelques instants, je vis du coin de l'œil quelqu'un s'installer en face de moi, je sus immédiatement qu'il s'agissait d'une nouvelle détenue. Je n'y prêtai pas plus attention mais des mouvements sur ma gauche me firent comprendre que les choses allaient tourner en sa défaveur.
— Eh minette, cria la voix nasillarde d'une chauve qui s'affala sur une chaise à côté d'elle tandis que deux autres filles chevelues lui bloquaient tout échappatoire. Tu sais que tu viens de voler ma place là ?
C'était faux.
La fille releva doucement la tête avec une expression de mépris.
— Ah ouais ?
— Ouais, fit la chauve en rapprochant son visage du sien, un sourire malsain greffé au visage. Et tu sais ce que je fais aux voleuses ?
La fille soupira et reporta son attention sur son plat , c'est alors que l'assaillante fit doucement glisser son index le long de son épaule en balayant au passage quelques mèches de cheveux noires.
— Je les punis, lui susurra-t-elle. Mais c'est elles qui décident de la manière. Que ce soit agréable ou non, le choix te revient...
— C'est moi qui suis assise à ta place, lâchai-je sans relever les yeux.
— Qu'est-ce que t'as dit ? siffla-t-elle.
Je ne me répétai pas : elle avait très bien entendu et c'était une perte de temps.
— Peut-être que je devrais m'en prendre à toi alors ? ajouta-t-elle en faisant avancer sa main sur la table.
— Vas-y, répondis-je.
— Quoi ?
Je relevai les yeux vers elle et elle se redressa.
— J'ai dit : vas-y.
Ses yeux lançaient des éclairs.
— Tu me mets au défi, pétasse ?
— Ta place c'est toutes les tables que tu as occupées ? lâcha la fille qui n'avait toujours pas bougé de son siège.
La chauve vira au rouge, et serra les poings, n'ayant visiblement jamais subi un tel affront, et encore moins devant ses sbires.
Quelques secondes passèrent pendant lesquelles je repris mon plat et la chauve finit par se relever. Elle braqua son regard sur la brune mais ne me porta pas plus d'attention.
— Tu viens de faire une énorme erreur, tu vas le regretter.
Et sur ces paroles emplies de sagesse, elle quitta notre table.
La brune tourna la tête vers moi.
— Merci pour ton aide.
— Mmh.
— C'est toi Jaïna, pas vrai ? (Je ne répondis rien et elle dut prendre ça pour un oui) moi c'est Tony. Je suis contente d'être tombée sur toi, ça aurait pu mal finir.
Voyant que je ne disais rien elle poursuivit :
— Ça doit être pratique d'inspirer la peur, non ?
Elle remua son doigt dans son bol en me regardant.
— T'es sûre que personne n'osera s'en prendre à toi, et tu peux te vanter d'être la meilleure, la mascotte. Même si être la mascotte d'une bande de criminelles ne devrait pas te flatter.
— Ça ne me flatte pas, répliquai-je.
Fière de m'avoir fait réagir, elle poursuivit en se penchant en avant, et me demanda sur le ton de la confidence :
— Dis moi, comment tu t'y es prise ?
Je relevai lentement les yeux vers elle.
— Tu sais, pour exécuter toute cette famille ? Tu l'as fait avec quoi ? Tu t'y es prise furtivement ou t'es entrée en trombe ? Ça t'a fait quoi de les massacrer un par un ? T'éprouves des remords des fois ? Ces détails n'ont pas été révélés au grand public alors quand j'ai su que je serais envoyée dans le même pénitencier que toi j'avais hâte de...
Je me levai en emportant mon plateau vide. Après l'avoir débarrassé, je quittai la cantine.
J'étais inculpée pour meurtre, en quoi était-ce aussi extraordinaire ? N'était-ce pas le cas de la majorité des prisonnières ?
Je soupirai.
Si j'avais le temps de me perdre dans mes pensées, je pouvais aussi me servir de ma frustration à des fins bénéfiques, comme les travaux manuels qui m'attendaient dans quelques minutes.
C'est alors ce que je fis.

Au milieu de la nuit, tandis que je fixais des tâches noires suspectes au plafond, des bruits sourds suivis de cris étouffés parvenant des cellules voisines atteignirent mes oreilles.
La fête de bienvenue avait commencé.

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