Chapitre 1

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Par delà mon sommeil agité, je perçus de lourds et résonnants pas se rapprocher. J'ouvris alors les yeux et me redressai sur les coudes, guettant l'arrivée de la gardienne.
Comme je m'y attendais, celle-ci s'arrêta devant notre cellule, et comme si elle ne m'avait pas vue réveillée, elle frappa sa lance contre les les métaux qui fluorescèrent au contact ce celle-ci, le bruit fit sursauter Dreleia qui jura en se cognant la tête au double lit.
— Uriwynn, appela-t-elle en lançant au passage un regard dédaigneux à ma co-détenue qui somnolait. Prends tes affaires, tu es libre.
J'écarquillai légèrement les yeux de surprise alors que Dreleia glapit en sautant sur ses pieds.
— Vous déconnez ? fit-elle à l'intention de la gardienne avant de se tourner vers moi. Tu déconnes ? Comment t'as fait ça ?
Je descendis du lit, en ayant du mal à réaliser et surtout à comprendre le sens de ces mots, et contournai Dreleia avant de ramasser distraitement quelques-uns de mes livres éparpillés au sol.
— Je ne sais pas.
Elle leva les bras au ciel avant de me gratifier d'une tape sur le dos en s'esclaffant.
— Tu pourrais avoir l'air un peu plus heureuse ? Je te ferai remarquer que tu dégages de ce trou à rat !
Je m'arrêtai et me tournai vers elle avant de la dévisager.
— Quoi ? fit-elle.
— Tu as l'air contente.
— Bien sûr ! Et j'ai l'impression de l'être pour deux là (elle posa sa main sur mon épaule) Je suis soulagée qu'une de nous deux s'en sorte. Je veux dire, regarde : j'en ai pour quelques années, et je sortirais même plus tôt si je me conduis bien. Mais toi ? T'avais aucune chance de revoir un stripteaser de ta vie (Elle hésita avant d’ajouter.) Ou... d'en voir un. Putain fais un effort, tes vingt ans tu les as passés où ? Dans un couvent ?
Elle rit à sa propre blague ce qui tapa sur le système de la gardienne qui brandit sa lance.
— J'ai dit : prends tes affaires, tu es libre. Je ne t'ai pas demandé de papoter, alors magne ton joli derrière avant que je te le marque au fer rouge.
— Eh, intervint Dreleia. C'était moi qui parlais espèce de demeurée, et je vous ferai remarquer que dans quelques minutes elle sera une citoyenne libre et qu'elle aura le droit de revenir pour vous coller un procès.
— Dreleia... chuchotai-je.
Elle me fit un signe de tête tandis que je jetais un coup d'œil à la gardienne qui exultait.
— T'as raison, répondit la gardienne d'une voix guillerette. Fais la maligne tant qu'elle est là. Parce que ça ne va pas durer.
Dreleia pouffa tandis que je ramassais mes dernières affaires avant de sortir de ma cellule. Je lui jetai un dernier coup d'œil et tournai la tête vers la gardienne qui réactionnait les barreaux.
— Je le saurai, lâchai-je.
— Tu sauras quoi, vermine ? cracha-t-elle.
— Si vous lui faites quoi que ce soit, je le saurai.
La gardienne ricana mais je vis une ombre traverser son regard. Dreleia s'appuya contre les barreaux et me donna une tape sur l'épaule.
— Et ça sera œil pour œil, dent pour dent, compléta-t-elle avec un clin d'œil.
Elle parut sur le point de répondre, mais elle tourna finalement les talons, m'intimant de la suivre.
— C'est chiant que le pouvoir se limite à l'enceinte d'un bâtiment, hein ? cria-t-elle à son intention.
Sa voix raisonna dans le bloc, et plusieurs détenues, maintenant réveillées, manifestèrent leur mécontentement de façon peu orthodoxe.
Je lui lançai un regard lourd de reproches auquel elle répondit par un haussement d'épaules. Je suivis alors la gardienne sous les regards ahuris de plusieurs captives avant de lancer sans me retourner et assez fort pour qu'elles puissent m'entendre.
— Je te rendrai visite.
Je perçus le rire de mon ex-colocataire qui me répondit :
— Va à cet endroit dont je t'ai parlé, cria-t-elle à nouveau. Tu me diras ce que t'en penses, tu verras, c'est le paradis !
Je ne répondis rien mais esquissai un léger sourire et suivis la gardienne hors du bloc.
Après quelques procédures administratives, le service de greffe procéda à une levée d'écrou et me délivra un billet de sortie. Au moment de la restitution de mes projets personnels, la garde de l'autre côté de la vitre lança sans me regarder :
— T'as de la chance que quelqu'un ait payé ta caution, personne s'attendait à te voir remettre les pieds dehors un jour (elle releva les yeux vers moi en haussant un sourcil) je savais pas que quelqu'un comme toi pouvait avoir des contacts haut placés.
Je ramassai mes affaires et hochai la tête en signe de remerciement avant de me diriger vers la sortie. Je n'avais aucun contact haut placé, alors je me doutais que quelqu'un avait mis en œuvre ma sortie en échange de mes services. C'était évident, pour chaque action il y avait une réaction égale et opposée. Ca s'appliquait aussi bien en physique que dans la vie réelle. Alors je m'attendais à recevoir une visite à tout moment.
La prison était loin de toute habitation, ce qui l'entourait n'était que routes et terre. Lorsque je me retrouvai au milieu du chemin bétonné, je fermai les yeux en inspirant l'air pur que je n'aurai bientôt plus l'occasion d'emmagasiner. Je devais aller à Vargues, la capitale d'Odium où vivait ma famille. Ma mère était venue me rendre visite au début de mon incarcération avant que les choses ne se corsent pour eux. Ils n'étaient pas très respectueux des lois, ils faisaient partie de l'un des groupes militant contre Le Primedia, le gouvernement d'Odium.
Glalona, la nation originelle, s'était inspiré des anciennes utopies et les sociétés sans classe dans lesquelles chaque citoyen avait une valeur égale et où la production était mise en commun, mais elle a rapidement avalé la majorité des colonies isolées et des villes encore debout, pacifiquement ou non. Certains, s'opposant à cette philosophie, résistèrent jusqu'au bout, provoquant conflits et paranoïa au sein de la nation, tandis que les dirigeants réalisaient que tout le monde n'était pas prêt à embrasser leur vision de l'Etat parfait. Ils prirent donc les mesures nécessaires en augmentant les moyens de surveillance afin que tous les citoyens soient constamment contrôlés. Glalona devint rapidement une dictature, leur but : centraliser et contrôler tous ses sujets et moyens de production.
Les Elsys qui étaient l'une des anciennes familles, après avoir infiltré et comploté au sein du gouvernement de Glalona, parvinrent à convaincre douze familles de se joindre à la rébellion et de soutenir leur idée de modèle sociétal différent, fondé sur la libre entreprise et la réussite individuelle. Après la grande guerre civile, la nation Glalona fut donc divisée. Le deuxième Etat prit alors le nom de Specter et fut façonné par les familles qui avaient soutenu la Rébellion. Les dirigeants de Glalona reconnurent que leur nation glorieuse appartenait désormais au passé, et ils fondèrent Odium.
Specter qui devait être une nation basée sur la démocratie, partit d'un mauvais pied à cause des dirigeants impliqués pour des motifs égoïstes de pouvoir. Entre un droit de vote limité et des familles peu disposées à partager leurs privilèges, Specter prenait le même chemin que Glalona. Le Primedia, lui, est né de la réunion des douzes familles majeures. Mais en raison de rivalités fortes, il fut décidé que seules neuf maisons auraient un siège au conseil du Primedia. Cette décision visait à maintenir un semblant de concurrence et à éviter le statu quo. Cette mesure fut, sans grande surprise, contestée. Des années durant, un mécontentement se répandit et plusieurs manifestations furent organisées pour lutter contre les condition sociales, de travail, et les inégalités. Le pouvoir toujours plus important du Primedia attisa les tensions et parmi les différents mouvements de protestation, un groupe pacifique commença à émerger, et trouva le plus de soutien à Feargate, la capitale. Les manifestants défilèrent le long de Cliff Row pour scander des slogans anti-Primedia. Mais certains se mirent à agir violemment. Des combats s'initièrent et cette manifestation pacifique tourna en chaos, ces émeutes mirent Vargas à feu et à sang.
Ma famille faisait donc parti d'un des groupes, s'opposant au Primedia, se faisant appeler "Les Chouettes".
Je me doutais que leur absence signifiait qu'ils s'étaient fait remarquer et qu'ils devaient rester dans l'ombre. Je ne leur en voulait pas, j'espérais seulement qu'ils feraient plus attention.
Perdue dans mes pensées, je pris quelques instants avant de remarquer la silhouette qui se rapprochait de moi.
— Jaïna Isalys Uriwynn ? m'interpella une voix féminine.
Je tournai la tête et aperçus une jeune femme brune d'à peu près le même âge que moi. Ses longs cheveux noirs retombaient en cascade sur ses épaules tandis qu'elle se rappochait de moi vêtue d'un manteau camel, d'un col roulé blanc et d'une jupe. Elle était ce que tout le monde pourrait qualifier de jolie fille, son visage évidemment assorti au reste de son corps : ensemble harmonieux. Lorsqu'elle fut à ma hauteur, elle me tendit sa main que je serrai en retour en continuant :
— Je me présente : Ether Draatinga. C'est moi qui ai plaidé ta cause au Primedia et qui ai payé ta caution.
Draatinga... comme l'une des douze familles fondatrices. Je savais qu'il y avait anguille sous roche, mais je ne m'attendais pas à cette espèce -là. Pourquoi avaient-ils envoyé une de leurs employées ?
— Je suis ravie de voir que tu te portes à merveille, malgré ces éprouvants mois que tu as passé, poursuivit-elle en esquissant un sourire.
— Qu'est-ce que vous voulez ? ai-je demandé de but en blanc.
Ma réponse ne sembla pas la troubler et elle répondit sans changer de ton :
— Tu ne perds pas ton temps en bavardages inutiles, pointa-t-elle en se grattant la tempe. Seulement, ce n'est pas à moi qu'il faut demander ça, je ne suis que la messagère, rien de plus. J'ai été envoyée pour te récupérer à ta sortie et te—
— Je ne suis plus en service, la coupai-je. Vous perdez votre temps.
Sur ces mots, Ether plongea sa main sous son manteau et en sortit une enveloppe.
— Je ne suis au courant de rien, répéta-t-elle. Je ne sais pas pourquoi mon supérieur a décidé de te faire sortir, il m'a juste confié une mission : t'amener à lui (elle me tendit l'enveloppe) C'est une lettre stipulant que quelques soient les demandes de mon chef, et quelque soit ta réponse, le retour en prison ne sera pas une option.
J'ouvris l'enveloppe, et ce qu'elle disait était vrai : il s'agissait bien là d'une lettre officielle signée et cachetée.
— Il ne s'agit pas là d'un chantage, ça n'engage à rien. Vois juste ça comme... une faveur. Il veut vraiment faire ta connaissance.
Je levai les yeux vers elle et la jaugeai. Elle soutint mon regard sans baisser les yeux ni les détourner.
Je ne savais pas pourquoi le clan Draatinga avait besoin de moi, mais je savais deux choses : je n'avais aucun scrupule à retourner en prison, après tout ce n'était pas comme si quoique ce soit me manquait ; et mon travail était derrière moi, alors quoique j'aie pu faire, ce n'était désormais plus réalisable.
Même si cette attestation avait l'air d'être vraie, il était tout à fait possible qu'elle soit truquée, auquel cas cela m'était égal.
Tandis que j'étais plongée dans mes pensées, Ether souffla bruyamment un nuage blanc et je remarquai qu'elle grelottait légèrement. Avant que je n'aie pu lui partager ma réponse, elle me devança :
— Écoute euh... Jaïna, commença-t-elle en glissant ses mains dans ses poches. Ça te dérangerait d'aller dans un endroit plus chaud ? (Elle marqua une pause et reprit) À moins que tu n'en aies pas envie, tu n'as peut-être pas froid et—
— Si, dis-je. Allons-y.
Elle me gratifia d'un large sourire en se dirigeant vers sa voiture.
Il s'agissait d'une Lamborghini Veneno Roadster Skydrive 2.0. Je n'étais pas très calée en voiture, mais je me souvenais qu'autrefois mon père n'avait eu de cesse de répéter depuis des années qu'un jour il serait bientôt au volant de l'une d'elles. C'était le meilleur modèle de voiture volantes existant pour le moment, et il en avait été complètement fou.
— Installe-toi, me dit Ether.
J'ouvris la portière et l'odeur du neuf, de la propreté et du cuir envahirent mes narines.
Je hochai la tête en tendant de discerner une potentielle source de poussière ou de désordre, en vain.
— Tu n'as pas eu le temps de prendre de petit déjeuner je parie, t'es partante pour un café ? me demande-t-elle.
— Oui, merci, ai-je répondu.
— Bien ! Il ne devrait pas y avoir beaucoup de monde à cette heure ci, c'est tant mieux.
Elle mit alors les clés sur le contact et démarra la voiture qui s'élança rapidement dans les airs. Je me tendis immédiatement en m'enfonçant dans le siège, tout en m'efforçant de ne pas regarder en bas.
Ether qui le remarqua, me jeta un coup d'œil inquiet.
— Est-ce que ça va ? Tu veux que j'aille moins vite ?
— Non, tout va bien, soufflai-je.
— Tu en es sûre ? Je... (elle hésita quelques instants avant de reprendre en rivant son regard sur le chemin) Tu as le mal de l'air ?
J'hésitai quelques instants avant de répondre :
— Oui.
Elle pouffa.
— Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?
— Rien, c'est juste que... je pensais que tu n'avais peur de rien.
Je gardai le silence pendant plusieurs secondes avant de finalement répondre :
— Si.
— Tant mieux (elle croisa mon regard) Ça me rassure de savoir que tu es comme tout le monde.
Je ne répondis rien et me contentai de prendre mon mal en patience.
Lorsque la voiture toucha sol, toute la pression qui engourdissait mon corps sembla disparaître d'un coup. Ether sortit de la voiture et je pris quelques instants pour calmer mon rythme respiratoire avant de quitter l'habitacle.
Je vis Ether debout devant le menu d'un café, le Burden Of Delight. Elle fronçait les sourcils comme face à un choix cornélien, elle avait l'air si concentrée que je dus presque lui frapper l'épaule pour lui signifier ma présence.
— J'espère que ce café te convient ? me demanda-t-elle.
— C'est très bien, merci.
Trois garçons passèrent à côté de nous et j'entendis l'un deux murmurer un « trop canon ». Je jetai furtivement un regard à Ether mais il s'avérait qu'elle me regardait déjà. Comme il était inutile de faire comme si je ne l'avais pas regardée, je tournai la tête vers elle.
— T'as la côte on dirait, me dit-elle avec un sourire.
— Quoi ?
— Ces mecs, ils t'ont trouvée jolie.
Je ne trouvai pas important de lui dire que c'était plus que probable que c'était elle qu'ils regardaient. Je n'en n'aurais sans doute pas eu l'occasion parce qu'elle poursuivit :
— Et ils ont bien raison, ajouta-t-elle avec un clin d'œil.
Je fronçai légèrement les sourcils. Je ne me trouvais pas particulièrement belle, et j'étais convaincue que surtout à ses côtés, je faisais bien pâle figure.
Nous entrâmes alors dans le café qui était plus rempli que ce que nous espérions. D'abord, notre présence passa inaperçue, puis une tête se retourna, et puis une deuxième, et une troisième. S'en suivit une réaction en chaîne et les murmures s'amplifièrent. Je sentis Ether me regarder du coin de l'œil sans rien dire. J'ignorai ces regards pesants tandis que nous nous approchions des tables. Lorsque nous fûmes assez proches d'un coin isolé, un type qui devait avoir la quarantaine se mit en travers de ma route et frappa la table du plat de la main en levant un doigt accusateur sur moi.
— Attends mais où crois-tu aller, Sicaire* ? Personne ne veut d'une crapule de ton acabit ! Encore moins de notre côté de la ville ! (Je détournai le regard, il dut me croire intimidée parce qu'il se rapprocha de moi) Tu fais peut-être la loi dans ton mitard, mais chez nous si tu veux être payée ce sera pour d'autres types de services.
J'entendis plusieurs hoquets de surprise. Lorsque je relevai les yeux vers lui, il flancha et se raidit immédiatement.
— Oui, il a raison, intervint une voix de femme derrière moi. Et je ne suis pas convaincue que ta chair en vaille la peine.
— Je suis d'accord, s'immisça quelqu'un d'autre. Tu ne nous fais pas peur, nous avons le Primedia pour nous protéger des personnes telles que toi.
— Ils auraient dû t'exécuter !
— Pourquoi elle est sortie ?
— Tu crois qu'elle s'est évadée ?
— J'espère qu'ils l'attraperont et qu'ils lui couperont les mains !
Je me tournai vers le reste du café qui se mura aussi tôt dans le silence. Et après quelques instants passés à examiner leurs expressions, je finis par dire :
— Veuillez m'excuser, j'aurais dû penser au désagrément que causerait ma présence ici. Je ne voulais en aucun cas nuire à votre tranquillité. Soyez tranquilles, je m'en vais, je vous souhaite de passer une agréable matinée.
Et je contournai Ether avant de quittai le café sans plus de cérémonies.
Ce quartier de la ville était réservé aux familles aisées, partisanes du Primedia, il était donc normal que ma présence en rende plus d'un malade. Je soupirai en me massant la nuque. Oui, c’était bien l'extérieur la vraie prison.
— Excusez-moi, jeune fille ?
Je tournai la tête vers une vieille dame qui me faisait signe de m'approcher. En arrivant vers elle, elle parut soulagée.
— Qu'y a-t-il ? ai-je demandé.
— Vous êtes la première personne à vous être arrêtée, de mon temps nous n'étions pas aussi pressés, nous prenions la peine d'admirer le monde qui nous entourait. Aujourd'hui ? (un voile passa dans son regard tandis qu'elle désignait les buildings d'un geste) tout n'est plus que gloire personnelle et pouvoir...
Je levai les yeux vers les passants, tous vêtues de tailleurs sur-mesure, excessivement—et inutilement— chers, avançant au pas de course, le nez sur leurs téléphones, en pleine discussion ou tout progressant tout simplement au gré du vent. Ces quartiers de la ville m'avaient longtemps fait envie, j'enviais les personnes qui y vivaient. Mais maintenant, avoir mon propre cottage était la seule chose qui me faisait envie.
— En quoi puis-je vous aider ? lui ai-je demandé.
La vieille dame ne se départit pas de sa mine triste en m'indiquant l'intérieur de son bâtiment.
— L'ascenseur est bloqué au vingt et unième étage depuis plusieurs minutes (elle secoua la tête), ces jeunes... J'interpellais de braves garçons qui m'avaient l'air assez forts pour pouvoir porter tout ceci (elle désigna plusieurs gros cartons) mais aucun d'entre eux ne s'est arrêté. J'ai essayé avec les demoiselles, sans succès...
— Vous voulez que je porte vos cartons ? ai-je demandé en lançant un regard intrigué à cet empilement de boites.
Elle me sourit tendrement.
— Oh non, non, ma jolie, je ne voudrais pas que vous vous fassiez mal pour moi. Si vous pouviez monter voir ce qu'il se passe tout là haut... Mes pauvres jambes me font défaut...
Je levai les yeux vers les interminables escaliers et jetai un autre coup d'œil au cartons.
— D'accord.
J'empilai alors les boites les unes sur les autres avant de les soulever. La vieille dame écarquilla les yeux en me voyant faire et je tentai tant bien que mal de ne pas montrer l'effort que suscitaient en moi le port de ces colis, plus lourds qu'ils n'en avaient l’air. Mais je n’avais rien de mieux à faire, tant qu’à monter voir ce qui se passait en haut, autant l’aider à ramasser quelques cartons pour lui faciliter la vie.
— Je reviens dans quelques minutes, lui dis-je.
Je déposai donc les cartons au vingt et unième étage que j'atteignis après dix minutes de calvaire. J'appuyai sur les portes de l'ascenseur et lorsqu'elles s'ouvrirent, j'étouffai un hoquet de surprise.
Les deux filles qui se trouvaient à l'intérieur s'écartèrent l’une de l’autre précipitamment, embarrassées, rougies et décoiffées. Je m'éclaircis la gorge et m'écartai des portes pour les laisser sortir. L'une des deux sortit en trombe sans oser me regarder tandis que la seconde me murmura un " Désolée " avant de la suivre. Je soupirai en portant la main à mon visage brûlant avant d’entrer dans l’ascenseur. Décidément. Il y avait d’autres endroits pour faire ce genre de choses qui n’impliquaient pas de bloquer la circulation de tout un immeuble.

J’appuyai sur le bouton du rez-de-chaussée et levai les yeux vers mon reflet. Vers mon visage rougi par l'effort et l'embarras, n'exprimant aucune émotion. Je compris pour quelle raison il m'avait été si aisé d'exceller dans ce domaine peu respectable et... pourquoi j'avais toujours eu un mal fou à socialiser. Et pourquoi ce ne serait pas moi qui occuperait un ascenseur avec quelqu’un.
Mes cheveux d'un blond polaire anormalement naturel additionnés à ma peau bien trop blanche donnaient l'impression au bleu de mes yeux de fluorescer. Et ceci était sans compter mon expression fermée semblable à celle d'un... tueur à gage.
Je soupirai et quittai l'ascenseur lorsque les portes s'ouvrirent. La vieille dame me remercia en me disant que mes parents devaient être très fiers de moi. Je la saluai poliment et me dirigeai vers la sortie.
En quittant le bâtiment, je remarquai Ether, adossée au mur, deux boîtes à la main. Lorsqu'elle m'aperçut, elle me sourit et me tendit l'une des boîtes.
— Meringues et chocolat, me dit-elle. J'espère que ça te convient ?
— Oui, c'est—
— ... Bon, merci ? me coupa-t-elle avec un sourire. Combien de fois est-ce que tu m'as répondu ça ? Tu sais dire autre chose au moins ?
Je ne répondis rien et ouvris le contenu de la boîte. En retournant vers la voiture, Ether se tourna subitement vers moi.
— Tu sais, je suis désolée pour ce qu'il s'est passé au café... s'excusa-t-elle en me regardant.
— Ce n'était pas de ta faute.
— Ils n'auraient pas dû s'en prendre à toi.
— Bien sûr que si, la contredis-je.
Ether me regarda pendant plusieurs secondes avant de reprendre.
— Ils n'avaient aucune raison de dire de telles choses, déclara-t-elle froidement.
Je regardai la vapeur du café chaud.
— Ils n'avaient aucune raison de ne pas les dire non plus (je levai les yeux vers elle) je ne me suis pas retrouvée en prison pour rien.
— Tu en es sûre ?
Les mots me manquèrent tandis que je soutenais son regard. Que voulait-elle insinuer ?
J'ouvris la bouche pour lui répondre mais elle s'exclama :
— Là bas ! Un vendeur de churros, viens !
Je soupirai en lui emboîtant le pas.
Ce vendeur ambulant devait être très attendu parce qu'il y avait déjà quatre personnes devant nous. Ether était déjà dans la file lorsque je la rejoignis :
— Eh, m'interpella un autre type, c'était bien mon jour. On était là avant.
Je me tournai vers deux garçons qui devaient me dépasser de deux ans tout au plus et leur cédai ma place. Mais dès l'instant où j'eus pivoté vers celui qui s'était adressé à moi, son expression changea du tout au tout. Ether qui n'avait rien raté à l'échange s'interposa entre lui et moi.
On était là avant, Ilberd. Lâche-la.
Cet Ilberd qui dépassait Ether d'une tête, pencha la tête sur le côté faisant basculer plusieurs de ses longs cheveux blonds soyeux sur le côté, pour me regarder en me lançant un sourire charmeur en coin.
— Désolé, je voulais pas avoir l'air malpoli, s'excusa-t-il sans une once de sincérité. Pour me faire pardonner, est-ce que tu me laisserais t'en payer quelques-uns ?
Ether se retourna vers moi avec une expression que je ne réussis pas à déchiffrer en attendant ma réponse.
— Non merci, ai-je répondu en me retournant vers l'avant de la queue qui ne comptait plus que deux personnes. Ce serait déplacé d'accepter alors qu'on ne se connaît pas.
Ilberd se plaça à côté de moi en contournant Ether.
— Raison de plus pour accepter, on fera connaissance comme ça (il se pencha vers moi) Mon offre est tout de suite plus attrayante là, tu trouves pas ?
Je lui jetai un regard en coin. En quoi cela me rendait-il plus susceptible d'accepter ? Ce type avait de toute évidence une confiance en lui démesurée, proportionnelle à la taille de ses chevilles.
— Non.
J'entendis Ether pouffer et Ilberd lui lança un regard noir avant de reporter son attention sur moi, visiblement peu enclin à me laisser en paix.
— Réfléchis-y, si tu viens avec moi on pourra—
— Commande, lui dis-je.
Un sourire satisfait de dessina sur son visage tandis qu'il toisait Ether de son regard fier. Je me retins de soupirer.
— Tu as dit que je t'avais pris ta place, expliquai-je en levant les yeux vers lui. C'est ton tour, commande.
Lorsque mon regard rencontra celui du vendeur, un éclair de panique le traversa. Ether, qui dut le remarquer posa sa main sur mon épaule en s'adressant à Ilberd.
— Ne fais pas perdre son temps au gérant, lui dit-elle en le désignant du regard. Achète ou va-t'en.
Il nous toisa de toute sa hauteur, d'une expression hautaine, arrogante et de pitié et passa sa commande. Il s'en alla ensuite en lançant un :
— Sales gouines.
Je fronçai les sourcils et entendis Ether soupirer.
— J'en commande quatre chacune ?
Je hochai la tête et le vendeur les prépara non sans me lancer plusieurs regards furtifs. Lorsque ce fut fait, nous nous éloignâmes en direction de la voiture.
— Qu'est-ce qu'il a voulu dire ? ai-je fini par demander.
— Qui ça ?
— L'autre mec.
— Oh ! fit-elle en levant les sourcils. Tu ne sais pas ce que ça veut dire ?
— Si, lui répondis-je. Mais pourquoi est-ce qu'il l'a dit ?
Ether croqua dans son churro en haussant les épaules.
— On a toutes les deux repoussé ses avances et il n'est pas habitué à ce que des filles le rejettent, expliqua-t-elle. C'est sûrement pour ça.
— Pourquoi vous l'avez repoussé ? ai-je demandé.
Elle ricana puis répondit par un nouveau haussement d'épaules en baissant les yeux vers son chocolat qu'elle porta à ses lèvres.
— Tu peux me tutoyer tu sais, on a quasiment le même âge. Et ce n'est pas mon genre (Elle me regarda.) et toi ?
— Ce n'est pas quelque chose qui m'intéresse.
Ether pouffa.
— J'aurais parié là dessus.

Lorsque nous entrâmes dans la voiture, un nœud d'appréhension se forma dans mon ventre. Je n'avais pas mangé grand chose, et je remerciai le ciel pour ça.
— Alors ? me demanda Ether avec hésitation.
Je me tournai vers elle.
— Tu as pu réfléchir ? Est-ce que tu me suis ?
Je la regardai pendant plusieurs secondes avant de reporter mon regard sur la route.
— Ne vole pas trop vite.
Elle ricana en posant son gobelet vide.
— Je veux bien rouler (elle me regarda avec un sourire) Je peux bien faire ça.
— Merci, dis-je.
Elle me jeta un rapide coup d'œil et je savais qu'elle voulait relever ma brève réponse, mais elle ne le fit pas.

※Sicaire : Terme littéraire ou historique désignant un tueur à gage.

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