Chapitre Cinq - l'oracle Onirien - Partie Deux

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Orgonne était toujours aussi calme lorsqu'Ikari et Ikki posèrent le pied dans la ruelle bordant l'habitation de l'oracle. La magicienne mena la marche vers les écoles de la ville. Au détour d'une allée, ils passèrent devant une sublime fresque finement taillée dans le marbre. Le jeune garçon s'en approcha étonné : le mur semblait détailler l'histoire des oniriens avec l'intervention récurrente d'une femme majestueuse au regard fixé droit devant elle. Le sculpteur avait particulièrement travaillé ses yeux, c'était comme s'ils étaient capable de transpercer l'âme des oniriens et y sonder leurs pensées. Ikki questionna sa camarade :

" Est-ce que c'est...

— Lef, oui. La déesse des émotions. Certains Oniriens disent que c'est d'elle qu'ils ont obtenu leur savoir et que son sang coule en eux, ça expliquerait leur lien étroit avec les forces psychiques...

— Ça me fait penser aux azyraliens. Eux aussi se disent proches d'un dieu... tu penses que c'est vrai ?

— Difficile à dire, les dieux ne communiquent pas beaucoup.

— Mais ils existent.

— C'est vrai. Pour autant, je ne pense pas que le sang d'une déesse coule dans les veines des Oniriens. Leur histoire est certes liée à celle de Lef, mais il est impossible de savoir où commence le mythe. "

Ikki haussa les épaules.

" Les mythes partent toujours d'un fond de vérité non ?

— Qui sait ? " conclut sa camarade avec un sourire.

Ils traversèrent la zone de résidence ainsi que l'ancienne zone culturelle de la ville avant d'arriver, enfin, devant les prestigieuses écoles d'Orgonne. Dans cette zone, le brouillard était absent et Ikki s'arrêta, subjugué devant la beauté des lieux. Des dizaines d'architectes avaient dû se succéder pour aménager tant de places et de jardins. Les murs des bâtiments étaient ornés de fresques, semblables à celle qu'ils avaient vu sur leur chemin, et qui dépeignaient de majestueuses scènes d'assemblées. Pour parachever le glorieux tableau de ces académies, des fontaines aux eaux chantantes et d'immenses statues se dressaient par dizaines vers le ciel.

À côté de ces géants au noble éclat blanc, le garçon et sa compagne ressemblaient à deux fleurs solitaires, plantées au beau milieu d'un jardin verdoyant.

" C... C'est là que tu as fais tes études ? bégaya-t-il.

— En effet. À une école nommée Eréna, c'est là-bas que j'ai rencontré Aune et Simus.

— Tu habitais ici ?

— Non je viens des îles de Kiaas, je suis unildienne. On m'a envoyé ici quand j'étais petite pour apprendre la magie. Mon peuple a lui aussi de puissants liens avec les forces psychiques, c'est pour cela que je suis venue étudier auprès des meilleurs. "

Ikki hocha la tête en fixant le bracelet doré qu'elle portait au bras droit, celui qu'il avait vu lors de son engagement dans la Pointe Astrale et sur lequel était gravé des armoiries. Tout comme Lyann, Ikari ne semblait pas être issue d'un milieu modeste.

Ils entrèrent à Eréna et y demandèrent Simus. Installés dans le hall d'entrées, ils attendirent quelques minutes avant que, enfin, l'homme demandé par l'oracle vienne les voir.

Simus était un homme d'âge mûr au visage bienveillant surmonté d'une touffe de cheveux noirs. Sa longue robe de mage était quelque peu semblable à celle de son élève, bien qu'un peu plus sombre. Il détailla les deux membres de la Pointe Astrale de ses yeux gris et prononça d'une voix quelque peu éraillée :

" Bienvenue à Orgonne mes chers amis. Ikari, cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vu, et je suppose que ce jeune homme est l'un de tes nouveaux camarades ?

— Je suis contente de te revoir Simus ! Et voici Ikki, un camarade comme tu l'as deviné.

— Ah... la fameuse Pointe Astrale, enchanté ! "

Le jeune garçon serra la main du professeur, étonné par le nombre de contact de la Pointe Astrale. Le professeur continua :

" J'imagine que vous n'êtes pas là uniquement pour discuter. Que puis-je faire pour vous ?

— Nous venons de chez Aune, elle requiert ta présence à notre réunion.

— L'oracle ? Bon... Si c'est important je peux bien quitter l'école pendant quelques heures.

— Ça l'est. Nous avons besoin que tu expertises des amulettes.

— Ikari, je veux bien vous aider si je le peux, mais mes connaissances concernent plutôt les peuples de Sylliade.

— Justement, ça pourrait t'intéresser. De ce que l'on sait, de telles amulettes ne devraient plus exister... "

Simus fronça les sourcils et observa attentivement son ancienne élève. Ill déclara avec prudence :

" Cette histoire ne me dit rien qui vaille... mais très bien, je vous accompagne.

— Merci Simus ! répondit Ikari.

— Attendez-moi ici, je vais juste chercher quelques affaires. "

Ikki était satisfait : maintenant que Simus avait accepté de venir, la réunion allait avoir lieu. Il ne savait pas pourquoi ce que le professeur trouvait d'intéressant aux amulettes mais lui et les autres allaient enfin le savoir. L'orgonnois les abandonna quelques instants et revint avec un chapeau sous un bras et un livre dans l'autre.

" Mes notes nous serons utiles. Je prend aussi mon chapeau, le soleil tape si fort en ce moment... "

Et en effet, ils reprirent leur route sous un soleil ardent que même le brouillard ne pouvait entraver. L'après-midi distribuait sa chaleur et le trajet du retour parut plus long au jeune garçon, mais peut-être était-ce juste parce qu'il était impatient d'arriver. À côté de lui, Ikari et Simus discutaient de l'époque où la magicienne habitait à Orgonne. De toute évidence, ils avaient noués des liens très étroits.

" Tu étais une élève brillante, disait l'aîné. Les mages maniant la psychée avec autant d'aisance sont rares, tu fais honneur à ton peuples.

— Mais je n'ai jamais pu comprendre le fonctionnement de la magie du Temps ! répondit Ikari avec un sourire plein d'humilité. Et ce n'est pas faute d'avoir essayé.

— Ah certes, mais les Magies Primordiales sont difficiles à maîtriser pour quiconque n'a pas d'affinité avec elles à la naissance...

— Magies Primordiales ? répéta Ikki. Comme l'Espace et la Lumière ?

— La Création, corrigea Simus. "Le Flux de la Lumière" est une appellation erronée qui n'est admise par aucune académie de Sylliade. Mais en effet, ce sont bien des formes de magies dites "primordiales" aux côtés du Temps et du Vide.

— Sauf qu'il n'y a pas de mages pour ce dernier.

— Grands dieux non ! Ce serait un peu comme essayer de bâtir une maison sans matières premières : totalement absurde. Enfin, la remarque est pertinente : il faut bien définir le Néant avec nos maigres connaissances... "

Le professeur soupira en épongeant son front.

" Mais assez parlé de ces choses. On sent que l'Été arrive : le brouillard est presque inexistant ! D'ailleurs ça n'a pas l'air de pousser les gens à sortir de chez eux, il n'y a pas un chat...

— Si, fit remarquer Ikari, quelqu'un vient. "

Des pas résonnèrent dans l'allée, précédant l'apparition d'une silhouette rendue trouble par l'opacité de l'air. Elle s'arrêta à quelques mètres d'eux sans qu'Ikki puisse distinguer son visage encapuchonné. Son cœur bondit dans sa poitrine : c'était étrange, ils étaient seuls, tout était silencieux. Quelque chose dans la tête du jeune garçon lui intimait de faire demi-tour, un frisson parcourut sa nuque mais il refusa d'agir sans ses compagnons.

" Qu'est-ce que c'est ? " demanda le professeur.

Quelques instants passèrent. Derrière le capuchon s'éleva soudain une voix masculine :

" Vous êtes de la Pointe Astrale. "

Ce n'était pas une question mais une affirmation. Une affirmation où pointait une menace des plus froides. Ikki tâta son flanc et n'y trouva pas la poigne de son épée, il se souvint, furieux, qu'il l'avait laissé chez l'oracle. Ikari était également sur la défensive.

" Qu'est-ce que...

— Vous avez notre salut. "

L'inconnu sortit alors un couteau et fonça droit sur la jeune femme qui créa instinctivement une barrière psychique. Ikki recula, trop paniqué pour réagir. L'homme se désinterressa d'Ikari et lui bondit dessus. Le garçon fut projeté au sol en évitant non sans mal le poignard de son assaillant. Il lutta quelques instants avant d'être sauvé par Simus qui projeta leur adversaire un peu plus loin.

" Tu vas bien ? demanda-t-il.

— Ou... Oui. "

L'aggresseur s'était déjà relevé et se préparait à un nouvel assaut. Cette fois, Ikki prit les devant et généra un trait de flamme dans sa direction. Stupéfait, le jeune mage vit sa cible condenser de l'eau et balayer le feu avec autant d'aisance qu'une étincelle. Il n'eut pas le temps de trouver une parade : un poing d'acier vint le ceuillir en plein ventre et le jeter à terre. Sa tête percuta le sol et il ne ressentit plus rien.

**

Un son distordu tira Ikki de son sommeil. Il leva sa tête chancelante avec la sensation de s'être fait écraser par un cheval, tout était flou autour de lui.

Le souvenir de sa chute apparut soudain dans son esprit et il se redressa en manquant de tomber par terre. Il était installé dans un canapé, la rue avait disparue autour de lui et il remarqua la lueur diffuse du crépuscule à travers une fenêtre : il était de retour chez Aune de Fele.

" Ikki, ça va ? "

La voix de Lyann sonna étrange à ses oreilles, sa tête inquiète entra dans son champ de vision. Il balbutia :

" Je... qu'est-ce que je fais là ? Où est le type qui nous a aggressé ?

— Ikari t'as ramené après qu'elle et Simus aient réussi à le maîtriser. répondit Nelei en s'approchant. Elle est en train de l'interroger avec Thanguron. T'es sûr que ça va ? Tu nous as fais peur.

— Je vais bien, j'ai juste mal à la tête... "

Il entendit une porte claquer et Lyra se joignit au groupe.

" Je ne sais pas qui c'était, mais il leur a donné du fil à retordre.

— Ils sont blessés ?

— Rien de grave mais ça m'inquiète : d'habitude Ikari ne revient qu'avec des égratinures... "

Ikki hocha la tête et se réinstalla plus confortablement.

Cet homme avait contré son sort avec une facilité déconcertante. Bien sûr, sa magie n'était pas infaillible mais même les mages du fort ne lui avaient pas opposer autant de résistance. Il avait été mis à terre trop rapidement, si Ikari et Simus n'avaient pas été là, il serait probablement mort...

" Putain c'était qui ce type ? murmura-t-il, effaré.

— Je ne sais pas, répondit Lyann, mais ça n'augure rien de bon...

— Il n'a rien dit avant l'attaque ? demanda Nelei.

— Il a parlé du salut de quelqu'un. Non... de plusieurs personnes. "

Les autres le regardèrent, mal à l'aise. Lyra marmonna :

" Mais alors... est-ce que ça serait... "

Le grincement d'une porte qui s'ouvrait l'interrompit dans son discour. Leur chef vint à leur rencontre, pensif.

" Thanguron, fit Nelei, qu'est-ce que c'était que ça ?

— Un problème. "

Il se tourna vers Ikki :

" Tu te sens mieux ?

— Oui, mais je me demande ce que cet homme nous voulait...

— Il voulait attaquer la Pointe Astrale et je suppose qu'il a dû reconnaître Ikari. Toi, il ne savait pas que tu faisais parti du groupe.

— Comment pouvez-vous le savoir ?

— Nous l'avons interrogé pendant que tu étais inconscient.

— Et il a accepté de répondre ? s'étonna Lyann.

— Nous ne lui avons pas laissé le choix, Ikari est entrée dans sa tête pour y trouver des réponses. Il est hors d'état de nuire maintenant. Nous l'avons enfermé dans une pièce à part pour pouvoir tenir notre réunion en paix.

— Et... et quand est-ce qu'on va la faire alors ? risqua Nelei.

— Tout de suite, je suis venu vous chercher pour ça. Avec cet interrogatoire, nous en savons bien assez pour mettre au point les derniers détails.

— "Avec cet interrogatoire" ? répéta Lyra. Alors cet homme faisait bien parti du groupe que l'on cherche ?

— En effet, et cela complique les choses. Ikki, tu dois être là malgré ton état : plus que les autres, tu as le droit de savoir pourquoi cet homme t'as attaqué. "

L'elfe leur fit signe de le suivre.

" Les autres nous attendent. "

Les quatre membres de la Pointe Astrale le suivirent non sans échanger des regards fébriles.

**

Menés par l'elfe, Ikki, Nelei, Lyra et Lyann entrèrent dans un grand bureau. Le long des murs, des étagères pleines de livres encadraient des tables couvertes de parchemins vierges. Au centre de la pièce trônait une autre table, grand et bel ouvrage de verre où s'étaient déjà assis leurs compagnons ainsi que Aune et Simus. Là, penché sur une carte, le professeur étudiait le vaste archipel de Sylliade avec attenton. Ikki remarqua une autre carte accrochée au-dessus d'une cheminée et couverte de cercles et de symboles qu'il ne comprenait pas. La lueur du feu ronronnant dans la cheminée et celle tamise du coucher de soleil venaient se fondre dans le tapis vermeil, l'ambiance était pesante.

" Vous voici, les salua Aune, je vous en prie installez-vous.

— Maintenant que nous sommes tous réunis, commença Mirila, nous allons pouvoir tenir la première véritable réunion de la Pointe Astrale. Mais il faut d'abord clarifier un point : nous allons aborder un sujet grave. L'attaque d'aujourd'hui le prouve. Il est possible qu'en apprenant ces informations, vous reveniez sur votre engagement. Nous aurons le temps d'en discuter après.

— Alors nous allons enfin connaître ce groupe qu'on cherche tant ? demanda Lyann.

— En effet, répondit posément Thanguron, il est temps pour vous d'apprendre ce qu'est le Cercle d'Onix.

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