Les mailles du tricot

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 La bouilloire s’activait dans le salon en lambris de mes voisins. Dehors, il pleuvait averse. J’étais revenue du travail à vélo, affrontant le vent chargé de gouttes froides. Lorsque j’ai atteint la maison, ruisselant de la tête au pieds, je me suis rapidement changée avant de retrouver Qadir. On entendait la pluie s’abattre sur les velux. A l'affût d’un choix toujours difficile, j’effectuais ma promenade olfactive en ouvrant chacune des boîtes de thé disponibles sur l'étagère. Qadir collectionnait les échantillons en provenance d’Inde et d’autres pays ou il avait mis les pieds, ou même certains envoyés par des amis dispersés à entre Asie et Europe. Depuis mon emménagement, nous avions pris l'habitude de nous retrouver pour boire le thé lorsque je rentrais du travail. Nous nous installions soit chez moi, où je trouvais les lieux encore trop vides pour m’y sentir proprement à l'aise, soit chez lui où j'appréciais particulièrement l’ambiance feutrée, sur le tapis entouré de coussins chatoyants. Apres un instant d’hésitation, j’optais pour un thé noir du Cashemir parfumé à la rose. Sur la table basse, mon ami a déposé la lourde théière en fonte, ainsi que deux jolies tasses dépareillées. Il m’a confié celle en porcelaine, ornée de motifs floraux délicats roses et verts. La lumière de la lampe faisait scintiller le liseret or de cette tasse qu’il savait être ma favorite.

 J’ai remarqué trois pelotes de laine gisant sur le tapis, reliées à un début d’ouvrage.

— Ca alors, je ne savais pas que tu tricotais !

— Je ne suis pas expert comme Jhalak, ma sœur, m'a t-il répondu, mais elle m’a suffisamment appris pour confectionner des projets assez simples.

 J’ai eu une moue d’admiration. J’aurais aimé lui soutirer plus d’informations sur sa sœur et sa famille en général, mais je savais qu’il ne fallait pas y aller avec de gros sabots. Avec mes amis afghans, en France, je m’étais rendue compte qu’il valait mieux ne pas se montrer trop curieux concernant leur histoire au-delà des frontières françaises. Du moins les premiers temps. Plus tard, viendrait un moment qu’il jugerait opportun pour se livrer.

— Qu’est-ce que tu es en train de réaliser ?

Lopapeysa, a-t-il prononcé avec son accent indien. Il s’agit d’un pull traditionnel islandais, avec de la laine locale et des motifs simples sur le haut. Je crois qu'à mon rythme, il sera prêt pour l’hiver.

 Sa voix possédait un grain tout à fait singulier que je cherchais à identifier. Elle n’était pas très grave, mais vibrait de manière légèrement rocailleuse. Comme si un minuscule grain de sable circulait avec l’air au fond de sa gorge. Le ton qui se voulait calme et mesuré, était cependant teinté d’une irrésistible joie enfantine avec laquelle je me sentais en phase.

— Veux-tu me montrer comment tu t’y prends ?

 Son visage s’est animé d’un sourire contenu entre ses lèvres et pommettes. Il m’a regardé furtivement dans les yeux avant de porter la tasse fumante à sa bouche. Puis saisissant les deux aiguilles, il s'est attelé à l’ouvrage d’un geste rapide et sûr. Je le regardais en savourant chacune des gorgées qui me réchauffaient de l’intérieur.

— On dirait que tu as envie d’apprendre, a-t-il fini par proposer en riant.

 Son téléphone connecté à une enceinte, il a pris un instant pour choisir la toile musicale de ces instants. Le titre était dans une langue que je ne parvenais pas à reconnaître.

— C’est un groupe iranien que des amis écoutaient à l’époque où nous vivions dans une grande colocation de migrants à Athènes, a-t-il expliqué.

 Une mélodie rythmée a retentit doucement. J’appréciais tout de suite le dépaysement offert. Qadir a entrepris de me présenter les différentes étapes du point de tricot. Il me montrait une suite de gestes avec la plus grande clarté. Sous mon regard fatigué mais attentif, le fil de laine se faufilait entre ses grands doigts bruns. Je prenais les aiguilles à mon tour en essayant de reproduire. J’ai opéré plusieurs tentatives en m'emmêlant les pinceaux. Il souriait d’un air gentiment moqueur, mais sans perdre patience.

— C’est un peu compliqué, ai-je fini par avouer en lui rendant l’ouvrage.

 J’ai fait un saut dans mon appartement et suis revenue dans la minute qui suivait, munie d’un carnet d’écriture et d’un livre que j’avais entamé quelques mois plus tôt dans l’avion. Comme je revenais toujours exténuée de mes journées de travail, je n’avais jamais pris le temps de poursuivre la lecture. Mais ce soir-là, le climat était propice à faire voguer mon imagination dans les univers livresques. Lire ou bien écrire. Au creux de cette ambiance douillette, j’étais soulevée par des élans de poésie. La scène présente, d'une simplicité délicieuse, m'invitait à retransmettre le flot de sentiments qui m’habitaient sur le papier. Qadir poursuivait son enchaînement de fils en chantonnant. De mon côté, j’ai ouvert mon carnet de voyage pour y déposer de l’encre à nouveau. Mon écriture se trouvait engourdie par les longs mois de trêve. La voix de la chanteuse iranienne me ramenait à des souvenirs disparates. Je cherchais l’extrémité du fil afin de fixer ma rêverie sur le papier.

 Nous sommes restés ainsi côte à côte, silencieux et investis dans nos activités respectives, jouissant d'une compagnie bienveillante.

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