Couper court

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Note aux lecteurs : Cela fait longtemps que dans mon fichier personnel de rédaction, j'ai remplacé le prénom de Bilal par Dalil qui signifie "guide, mentor". Pour chaque chapitre que je postais, je prenais soin de maintenir le nom de départ utilisé sur scribay pour ne pas embêter les lecteurs avec un changement qui pourrait être désagréable à vivre si je me mets et votre place. Aujourd'hui, cependant, je me dis qu'il est peut-être temps de vous mettre dans la confidence et ainsi m'alléger d'un travail de remplaçage fastidieux. En espérant que vous cette nouveauté ne soit pas trop contrariante... Bonne lecture !

 Le peigne était à nouveau coincé dans ma tignasse indémêlable. J’étais en train de pester dans la salle de bain lorsque l’idée a retenti. À ce stade, autant se débarrasser de cette chevelure qui ne ressemblait plus à rien, abîmée par le port du bonnet, le vent et l’eau soufrée qui coulait dans la douche. Cela m’avait déjà effleuré l’esprit plusieurs fois auparavant, j’étais curieuse de la tête que j’aurais, sans pour autant avoir l’audace de sauter le pas.

 Au travail, j’ai fait part de mon plan à Dalil.

 “Ravi d'entendre ça ! Avant que tu m’en parles, je me suis moi-même déjà dit qu’une coupe courte te siérait à merveille. Je m’en charge quand tu veux ! Tiens, disons ce soir, je n’aurai qu’à passer prendre mes ciseaux et ma tondeuse et on s’installera dans ton salon.

— On verra une prochaine fois pour tes talents dans ce domaine si tu veux bien, car pour une première, j’avoue avoir la trouille. Je ferais plus confiance à un vrai coiffeur.

— Les coupes courtes, ça me connait ! Tu ne sais pas à combien de jeunes hommes j’ai coupé les cheveux, ainsi qu’à mes sœurs, avec un soin supérieur à beaucoup de professionnels.

— Dalil… Pas cette fois.

— Comme tu voudras ! Je te souhaite bonne chance pour un trouver un salon de coiffure où tu ne paieras pas le prix d’un billet d’avion.

— Allons, toujours les grands mots !

 Le soir même, j’ai fait un tour dans mon quartier pour regarder les prix affichés en vitrine des salons de coiffure. Dalil avait à peine exagéré sur les tarifs. À cette époque, mon esprit d’étudiante et de voyageuse sans le sou me mettait encore beaucoup d’obstacles, de fait que j’ai remis la décision à plus tard.

 Le jour suivant au déjeuner, mon collègue traînait du pouce sur facebook devant son assiette vide, lorsqu’il s’est exclamé: “Regarde, Juliette, j’ai trouvé ce qu’il te faut ! “Waleed coiffure, 3000 couronnes la coupe courte, téléphonez au 7609211”. Il est basé à Selfoss. J’appelle ?

— Selfoss, c’est un peu loin, non ?

— Trente-cinq minutes en voiture. Je t’amène, ça nous fera voir du pays !

— Envoie-moi l’annonce, je verrai ça ce soir.

— Tssss, sacrée Juliette, toujours besoin de réfléchir indéfiniment… Tu pourrais faire preuve d’un peu de courage au lieu de laisser des choix en attente parasiter ton esprit. C’est non seulement néfaste pour ta santé mentale, mais dans le cas éventuel d’une future pilote, ca fait peur !

 Comme d’habitude, il savait où viser. J’ai saisi mon téléphone et tapé le numéro, puis, une fois la tonalité en route, un réflexe de panique m’a poussé à tendre le téléphone à Dalil.

— Rendez-vous ce samedi à 14h30, a-t-il déclaré après un bref entretien avec l’auteur de l’annonce.

 Le jour J, Dalil m’a conduite à Selfoss où nous avons mangé des hotdogs au bord de la splendide rivière qui traversait la ville avant de nous trouver sur le lieu de rendez-vous. Un jeune homme nous a ouvert la porte du garage où était installé le rudimentaire salon de Waleed. Nous étions invités à nous asseoir sur deux chaises en plastique tandis que le coiffeur était en train de terminer la coupe du client précédent. Observant les lignes tracées de part et d’autre de la coupe rase du jeune blond, je commençais à redouter le résultat de cette entreprise sur ma propre tête. “T’inquiète pas, au pire ça repousse vite” m’a chuchoté Dalil pendant que le jeune se levait en fouillant ses poches pour payer la somme en liquide. Un coup de balai sur le plastique qui recouvrait le béton sous les deux chaises roulantes, et c’était mon tour de revêtir la cape noire.

 “Que puis-je faire pour vous, demoiselle ?” a-t-il demandé avec un sourire tout à fait aimable. J’ai tendu mon téléphone avec la photo d’une coupe courte féminine que j’avais pris soin de dénicher le soir précédent. “Ça va vous changer, a-t-il commenté avec une moue d’approbation. Eh bien allons-y, c’est parti !”. Et les coups de ciseau ont attaqué dans mon dos. Waleed, en coiffeur digne de ce nom, a vite embrayé la conversation. Âgé d’une quarantaine d’années, son cou et une partie du visage rougis par une cicatrice de brûlure laissaient imaginer un passé difficile, quoi qu’il rayonnait une joie de vivre épatante. Son attitude m’aidait à me détendre à mesure que ma tête commençait à s’alléger. Alors qu’il discutaient entre eux, car Dalil avait, fut un temps, foulé l'Ouzbékistan dont ce monsieur était originaire, je calculais combien d’années partaient avec toutes ces mèches. Un centimètre devait équivaloir à un mois d’après un lointain souvenir bien ancré. C’était donc trois ou quatre années de ma vie qui s’éparpillaient au sol, époque de mes études et grands voyages, et j’allais renaître ce jour-là, débarrassée d’un poids.

 — Ça vous plait comme ça ? s’est enquis Waleed, un sourire de satisfaction qui ne demandait qu’à être validé.

 Un nouveau client est rentré s'asseoir derrière nous. J’ai tourné la tête de chaque côté, consultant le regard des deux hommes dans le miroir. Mon apparence était tellement nouvelle que je n’avais encore aucun avis dessus.

— Eh bien, je suppose que oui… qu’en dites-vous ?

— Ça vous rafraichit ! Vous avez beaucoup plus d’allure que tout à l’heure, a-t-il commenté.

— C’est bien, a dit Dalil.

 La transaction effectuée, nous avons serré la main du brave coiffeur avant de partir.

 Dans la voiture, je me suis regardée à nouveau dans le rétroviseur.

— Je ne sais pas trop ce que j’en pense, ai-je avoué. Sincèrement, trouves-tu que ça m'aille ?

— Ça ne te sied pas mal. Mais les côtés sont inégaux.

— Je crois que je ne suis pas fan de cette mèche devant non plus. Ça rend bien sur la photo que je lui ai donnée, mais sur moi, je trouve que c’est bizarre.

 En arrivant chez moi, j’ai accepté que mon ami essaie quelques arrangements supplémentaires. “Oups”, a-t-il lâché après un coup de ciseau qui avait manifestement dérapé, car je sentais tout à coup plus de froid à cet endroit de mon crâne. J’ai saisi le miroir pour constater les dégâts. “Ce n’est rien, je t’arrange ça tout de suite. Donne-moi une minute” a fait Dalil avant de s’éclipser pour revenir avec une tondeuse empruntée aux voisins. J’ai soupiré, ne sachant si je devais rire ou pleurer. “Ce sera satisfaite ou remboursée, tu as ma parole”. La tondeuse vibrante a passé autour de ma tête jusqu’à ne laisser que quelques millimètres sur les côtés et la longueur d’une phalange sur le dessus de la tête.

— Bravo, j’ai vraiment l’air d’un garçon maintenant.

— Tu rigoles ! Je te trouve parfaite. Un vrai pilote !

— Non mais ! Tu parles, elle a bon dos ton expérience professionnelle. Allez, terminé les sottises, tu me dois deux mille cinq cent couronnes.

 Ce soir-là, nous nous sommes quittés avec une accolade, liés une fois de plus par une expérience que je n’étais pas prête d’oublier.

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