Embrassons-nous

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 Mon vol était à trois heures du matin. Dalil m’a donc déposée à la gare routière à minuit pour que je prenne la liaison menant à l'aéroport. Dans la voiture, il m’a fait cadeau de deux objets importants pour lui.

— Ceci est un cadeau d’un ancien étudiant pilote que j’ai entraîné en Allemagne, a-t-il dit en me tendant une petite figurine d’aéronef en bois sur lequel était peint en couleurs : “Thank” “You” sur chaque aile. Et ça c’est un petit manuel de français - islandais que Léonore avait oublié dans ma voiture. Je n’ai pas l’habitude de m’encombrer d’objets, mais en tous cas, ceux-ci signifient beaucoup pour moi. Comme notre rencontre, c’est pourquoi que je te les confie.

 Alors que nous allions nous séparer dans la station de bus, il a tout à coup adopté une attitude embarrassante.

— Tu vas beaucoup me manquer, sincèrement. Puis-je te donner un baiser avant de partir ? Mes lèvres sur les tiennes. Comme ça, une fois dans l’espace-temps. Pour sceller notre amitié...

— Ah ! Par pitié Dadji, ne me fais pas ce coup-là ! Ne me provoque pas maintenant avec ce genre d’humour. On ne sait jamais sur quel pied danser avec toi.

— C'est pour de vrai. Je ne te parle pas de mêler nos salives, Dieu m'en garde ! Je te propose un baiser symbolique, à la manière des présidents russes. Comme ça, on reste amis et on se quitte en sachant qu’on se reverra.

— Tu me testes encore pour savoir si je sais enfin dire non ? Eh bien c'est non. Voilà.

 Face à un refus si net, mon drôle d’ami a fait mine de plaisanter. Puis il s’est décidé à partir avec une accolade moins forte que ce qu’elle aurait pu être.

 Une fois seule dans le bus, j’éprouvais des sentiments confus, et la sensation d’avoir vécu une semaine exceptionnelle. J’avais rencontré ce personnage si singulier à qui j’avais laissé le soin d’orchestrer la majeure partie de mon séjour. Un ancien pilote indien qui avait parcouru autant de kilomètres et vécu autant d’aventures folles qui l’ont finalement mené sur cette île. À trente-huit ans, il fait sa vie ici, simplement, employé dans un magasin de matériaux de construction. À côté de ça, il apportait son aide et son temps aux voyageuses ouvertes et à l’écoute de ses incessants bavardages. Un homme riche préoccupé avant tout par le bien des autres, mais que j’avais pu entendre échapper des paroles à caractère raciste. Nous avions partagé beaucoup, et même eu des conversations intimes. Il prétendait avoir eu sa dose d’aventures avec les femmes. Cependant, son comportement avec moi demeurait ambigu, même s’il faisait passer ça pour de l’humour. J’avais dû faire preuve de vigilance à plusieurs reprises car ses intentions s’avéraient parfois douteuses. Notamment à cause des ressemblances qu’il percevait entre Léonore et moi, et de la continuité qu’il s’inventait entre leur aventure et notre rencontre.

 Les premiers jours, pensant que cette rencontre resterait ponctuelle et circonscrite dans ce voyage, je m’étais sentie protégée. Mais depuis que j’avais en tête de revenir dans sa ville pour y travailler et qu’il avait dit vouloir venir chez moi en France, j’avais dû changer de perspective.

 Je me disais aussi que s’il avait été un homme moins âgé et plus attirant physiquement, je n’aurais probablement pas réagi avec autant de résistance à ses approches. J’avais accepté de passer du temps en sa compagnie et d’écouter ses discours tantôt hilarants, tantôt empreints d’idées que je trouvais révoltantes. Ces derniers avaient été minoritaires. Je faisais donc le choix d’emporter une opinion positive sur lui.

 Finalement, j’étais à la fois enchantée de ce que nous avions fait durant mon séjour, mais déçue par ses tentatives importunes au moment des au revoir. Malgré tout, je comptais déjà sur son aide pour trouver du travail et un logement dans les mois à venir. Il fallait donc que je l’accueille dignement en France. Les nombreux services qu’il m’avait rendus me faisaient sentir quelque peu redevable.

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