Chapitre 4 - Notre Dame de Thines

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Fin juillet, dans les Cévennes, la chaleur est insupportable jusqu’à 18h. Alexandre et Lenka restaient dans le gîte climatisé, lisant de la littérature estivale, « La reine des Cèdres » pour elle, « Trois pintes et un café » pour lui. A 18h, ils émergeaient de leur léthargie pour se promener dans le village, faire quelques courses, réserver un restaurant pour le soir, prendre un verre dans un bar. Le flot de touristes ne cessait jamais dans cette petite ville. Alexandre proposa de partir tôt le matin pour aller visiter la célèbre église de Thines, avant que la chaleur et les touristes ne les importunent.

La vallée pour accéder à ce hameau serpente le long de la rivière pendant plusieurs kilomètres. Les parois sont escarpées et l’on s’enfonce dans la montagne sans croiser la moindre habitation jusqu’à un panneau annonçant qu’on ne peut pas aller plus loin. Merci de vous garer et de poursuivre à pieds. Le sentier pédestre est peu commode mais agréable. La température à 8h du matin restait tout à fait supportable. La Thine circulait modestement sous le pont, petit filet d’eau alimentant des flaques éparses. Après seulement vingt minutes de marche, ils arrivèrent à l’église. Immense, imposante, surprenante tant par ses dimensions que par ses matériaux. On aurait cru à une église byzantine, avec des pierres bicolores, et des semblants de fresques à l’intérieur. Elle dominait la vallée que le soleil inondait de ses rayons brûlants. Lenka et Alexandre admirèrent le paysage. La beauté tient à peu de chose, c’est parfois juste un moment, un instant précis, qui nous permet de l’approcher. Ils rentrèrent dans le frais de l’église. Deux couples de quinquagénaires en tenue de randonneurs étaient déjà là, lisant les panneaux explicatifs. « Bonjour mesdames et messieurs, ce vous êtes en avance pour la messe ! » plaisanta Alexandre. Un des hommes rigola en répondant » On ne la ratera pas comme ça ! ».

Le jeune homme avança vers le choeur, plutôt sobre par rapport au reste des lieux. Lenka se pressa à ses côtés. Ils s’assirent sur un banc du premier rang.

« Lenka, ma chérie, comment te sens-tu ?

- Je suis très heureuse, Alex. Ce sont de magnifiques vacances. On avait bien besoin de se ressourcer. C’est très beau ici. »

Il soupira. Puis il lui saisit les mains et la regarda droit dans les yeux.

« Lenka, pourquoi tu m’as menti ? »

Le visage de la jeune femme changea de physionomie. Elle ne comprenait pas. « Qu’est-ce que tu racontes ? »

« Lenka, je sais tout. Cela n’a pas été facile de l’accepter mais hélas, les preuves sont formelles. »

Il se releva et lui faisait toujours face. Elle avait les larmes au bord des yeux.

« Tu n’es pas tchèque, ma chérie. Tu es russe. Et c’est toi qui as informé le services russes de la présence de Morozov à Prague, c’est toi qui leur as fourni l’adresse du manoir hôtel. Personne d’autres que l’Ambassadeur, le conseiller et moi n’avions l’information. Personne à part toi. Parce que je te faisais confiance. Parce que je pensais que tu aimais vraiment Morozov. Parce que l’idée venait de toi, c’est toi qui m’as suggéré ce nom pour une rencontre. Ce pauvre Morozov qui était en haut d’une liste de personnes à éliminer. Tu lui as tendu un piège. Tu as profité de moi pour tendre un foutu piège à Morozov et le faire assassiner. »

Lenka le regardait en tremblant. Le visage d’Alexandre s’était durci, son œil bleu paraissait noir. Une force nouvelle émanait de sa personne. Lui le petit bibliothécaire paraissait tout d’un coup effrayant.

« Tu es devenu fou, Alex... »

Mais il continua de parler posément, sans tenir compte du malaise de Lenka.

« C’était bien joué, j’avoue. Mais, nous avons immédiatement su que la fuite ne pouvait venir que de chez nous. Et plus précisément, de toi. Vois-tu, il est indéniable que ton niveau de tchèque est irréprochable. Ta couverture comme doctorante à Prague se tenait totalement. Et ta thèse est prometteuse, et je te soutiens dans ce travail de recherche. Mais ta mère est slovaque comme je suis papou. Mais ce n’est pas ça qui t’a trahi ma chère.

- Tu as vu ma mère… tu as bien vu…, bégaya Lenka apeurée.

- J’ai vu une dame dont je ne comprenais pas les trois quarts des propos. Cela aurait pu être n’importe qui. Mais ce qui t’a trahi, Lenka, c’est que tu parles en dormant. »

Lenka sursauta. Son visage changea complètement. Elle se leva brusquement et fit face à Alexandre.

« Qu’est-ce que ça prouve, ça ? »

Alexandre se rassit. Il était à bout.

« Dans ton sommeil, tu parles russe, ma chérie. J’ai mis du temps à m’en rendre compte, mais oui, malgré tous tes entraînements pour paraître une bonne Tchèque, ton inconscient t’a trahie. Tu parles russe dans ton sommeil. »

Lenka pleura, murmura un « Chistliva, Sacha ! » et partit en courant dans la nef vers la sortie. Mais les quatre randonneurs la retinrent. « Mademoiselle, désolé, vous allez devoir venir avec nous. » Ils sortirent en la maintenant fermement entre eux. Lenka se tourna vers Alexandre qui était resté assis sur le banc, la tête entre ses mains. Il entendit le dernier homme dire « C’est bon, on n’aura pas raté la messe ».

C’était des agents de la DST, « surveillance du territoire », qui avaient mené cette opération. Tous les trajets d’Alexandre en France avait en partie servi à préparer cette opération, une fois que toutes les preuves avaient été rassemblées. Il n’avait pas voulu savoir quel rôle Lenka occupait réellement au sein des services russes. Sa responsabilité ne faisait aucun doute. Il se sentait trahi, et complice également. Sentiments confus. Blessure profonde. Malgré tout ce que Lenka avait pu faire, il était profondément amoureux d’elle. La dénoncer lui avait été insupportable. Une déchirure. Qui pouvait ressortir indemne d’une telle situation. Il avait l’âme pilée et l’amour-propre dévasté.

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