Chapitre 1 - Penang

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Son bureau donnait sur le vieux fort de Georgetown, avec la mer à l’horizon. L’Alliance française de Malaisie, fort modeste en dimension, bénéficiait d’un emplacement privilégié depuis qu’elle avait récupéré les locaux d’un ancien magasin de tissu.

Alexandre Lartimon, son directeur depuis deux ans, y appréciait la sérénité de l’endroit, la vue apaisante dont il jouissait de son bureau, et la gentillesse de ses collègues, expatriés ou non. Organiser les cours de français, préparer des soirées francophones, faire vivre le français au-delà des frontières hexagonales, tout cela le passionnait depuis longtemps.

A Penang, il coulait enfin des jours heureux. A trente-neuf ans, il occupait un poste de direction enviable. Sa famille lui manquait parfois, il est vrai. Quelques soirs, la solitude lui pesait plus que la touffeur des lieux. Mais il ne parvenait pas à se lasser de sa vue sur l’océan indien et venir travailler dans ces conditions lui semblait un luxe dont il souhaitait jouir encore longtemps.

Vers dix heures, ce matin-là, Layala, à l’accueil de l’Alliance, l’appela sur son téléphone.

« Alexandre, bonjour, il y a une dame qui voudrait vous parler. Madame Jodovan… Non ? Attendez, comment vous dites que vous vous appelez madame ? Jdanova ? Ok, merci. C’est madame Jdanova. Elle me dit qu’elle travaille au centre culturel russe de Singapour. Est-ce que vous pouvez la recevoir ? »

Alexandre avait bien quelques menues affaires à préparer, mais rien qui puisse servir d’excuse à refuser d’accueillir son homologue russe. Il s’étonna tout de même qu’elle n’ait pas prévenu de son arrivée. Ils auraient commandé un teh tarik avec du roti canai. La ventilation brassait un air tiède, le teh tarik froid s’imposait. Ou alors, il aurait pu solliciter Puri qui tenait un restaurant français où on pouvait trouver des croissants à peu près corrects avec du bon café. Cela aurait été plus convenable, sans doute. Il n’eut pas le temps de finir son inventaire de la gastronomie protocolaire que Layala était déjà dans l’encadrement de la porte.

« Bonjour, est-ce que vous voulez que je vous apporte quelque chose ? On doit avoir du thé.

- Merci Layala, du thé, ça ira très bien, si madame Jdanova est d’accord. »

Layala ressortit et laissa la place à une jeune femme aux longs cheveux noirs. « Du thé, cela me conviendra tout à fait » répondit-elle dans un français impeccable, avec une légère pointe d’accent russe.

Elle posa son sac sur un fauteuil et s’approcha d’Alexandre qui était resté pétrifié.

« Lenka ? » souffla-t-il sans y croire.

Le jeune femme eut un petit haussement des épaules, tourna un peu dans le bureau et choisit de se mettre à la fenêtre, de regarder la mer, toujours en silence.

« Mais qu’est-ce que tu fiches ici ?

- D’après toi, Alexandre ?

- Te venger. »

Lenka se retourna vers lui dans un grand éclat de rire. Elle se détendit et vint s’asseoir sur le deuxième fauteuil en osier. Sa beauté illuminait la pièce, mais Alexandre la dévisageait avec méfiance.

« Je ne m’appelle plus Lenka, pour commencer. Je suis redevenue Iulia Jdanova.

- Peu importe. Que me veux-tu ?

- Calme-toi, Alex. Je suis un peu déçue à vrai dire. J’aurais pensé que tu aurais été un peu content de me revoir. »

Alexandre faillit s’étrangler, mais aucune parole ne sortit de sa bouche. Tout un flot de souvenirs ressurgit dans sa tête, tous se bousculaient avec fracas. La psychologue lui avait appris à construire des murs pour éviter que le passé ne revienne le hanter, pour aller de l’avant, mais face à Iulia, cela se fissurait à grande vitesse. Il sentit les vieilles passions l’inonder. La colère, la trahison, la honte, mais aussi, l’amour. Il devait lutter contre ce dernier, de toutes ses forces, ne pas laisser rejaillir la flamme de cette ancienne histoire.

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