Jour 6

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Rebelote. Il est cinq plombes du mat', et le gros con alcoolique fait son boucan d'avant dodo. Il est bourré complet, et à travers quelques jurons, on arrive enfin à comprendre qu'il est espagnol. Dans son coin, le japonais bizarre prépare ses affaires, car lui vient tout juste de se lever. Dans un anglais approximatif, l'espagnol lui tape la causette, d'un chuchotement plus fort que les cris d'une femme qui accouche. "You're sure that you not have the coronavirus, dude ?", demande l'ivrogne. "No no, I'm telling that I am Japanese, not chinese, man". L'incompréhension entre les deux est totale, mais a au moins le mérite d'être comique, donc je m'emmitoufle sans broncher.

- You are leaving Austria ? ask l'ivrogne du sud.

- To France, répond l'autre.

- Whatever you do man, don't go to Italia. They are all going to die in this country.

Le japonais ne sait que répondre et préfère simuler un rire. Moi, je tourne la tête vers mon rital à moi, et voit qu'il me regarde avec consternation, le sang chaud à nouveau, souhaitant avoir un petit fusil mitrailleur dans les mains. M'enfin bon, j'ai pas envie que la journée commence maintenant, alors j'me rendors, tranquille.

Quelques heures plus tard, le rituel du lever commence. Léo rage beaucoup sur ce qu'il s'est passé ce matin, et ce faisant, nous allons à un petit Spar pour acheter de quoi grignoter ce midi. Léo me dit qu'il a cherché sur Internet, et qu'il a trouvé la vraie adresse de la vraie maison de Beethoven qu'on peu visiter. C'est à l'autre bout de la ville, donc j'hésite un peu à le suivre. Mais bon, cette ville commence à me saouler avec ces gens trop gentils et ces grands bâtiments, alors je le suis.

Pour aller là-bas, il faut prendre le tram-way. Je me porte volontaire pour jouer le guide, et on se prend un premier tram-way. Ils sont marrant leurs tramways. Il leur donne un look vieillot, on dirait des vieilles charettes, mais bon, ça leur donne un p'tit côté old school, qui est la marque de fabrique de Vienne j'ai bien l'impression. A l'intérieur, les gens sont aussi coincés que dans les transports français; personne sourit. Mais bon, j'ai pas trop le temps de regarder les têtes de cons autrichiennes, car faut que je me concentre sur notre trajet.

Au bout de quelques stations, on descend. Là, il faut prendre un autre tram, mais manque de pot, on en trouve pas. Léo commence à bouillir, il râle. Il me dit que j'suis nul, con, et que mon sens de l'orientation est pourri car je suis un sale polak lyonnais de ses couilles. Il est chaud aujourd'hui Léo. Je me concentre, lui dis d'aller se faire foutre, et après le torrent d'insulte, on collabore enfin, et le tram s'offre à nous. On monte, parés pour trente minute de traversée de la ville.

En regardant Vienne défiler devant moi, je confirme encore mon avis que cette ville est trop majestueuse, que c'en est stressant, et que y'a aucune petite rue qui fait tout le charme des grandes villes. Tout se ressemble, c'est que de la perfection bien faite, y'a rien de raté. Au moins en France, quand tu visite une ville, y'a quartiers pourris, bien moches, mais sans eux nos beaux quartiers ne seraient pas si beaux. Hé, c'est que c'est de la stratégie d'être l'une des plus grosses attractions touristiques.

Pendant que la tram roule, avance, enfin je ne sais même pas comment cette saloperie fonctionne, Léo me fait goûter notre dernier achat touristique; les chocolats Mozart. Bah oui, car comme Vienne est le repaire du capitalisme à l'état brut, il fallait bien commercialiser Mozart. Bizarre qu'ils aient pas faits des chocolats Hitler. Donc on goûte la sucrerie chocolatée, et, une fois en bouche, la désilusion est à l'image de la ville. C'est fade, bof, mais pas assez dégueulasse pour être pas bon. Ma foi, ça nous apprendra à être des sales touristes.

Le tram arrive à son terminus, qui du coup, est là où l'on descend. Concentré, je regarde mon téléphone pour voir le trajet à faire, et là, une jeune femme nous interpelle. Dans un anglais hésitant, elle me montre le tram, et bredouille "Glasses". Je regarde ce qu'elle pointe, et admire les portes se fermer, et le tram partir avec mes petites lunettes noires. Adieu ma p'tite paire. Je l'avais de plus acheter en Italie, quand j'y étais allé avec Léo ; peut-être bien que c'est un signe ?

Un signe que l'Italie c'était mieux oui ! Me v'là sans lunettes, dans un froid pas possible, avec Léo qui morve, et toujours sans ce putain de soleil qui passe jamais ici. La marche est longue, et j'ai mal aux pieds car mes chaussures sont pourries. Lorsqu'on arrive près du musée, on réalise qu'il ferme dans trente minutes. Par chance, il rouvre à quatorze heures, mais en attendant, faut tuer le temps.

En regardant un peu la carte, on réalise que le Danube n'est pas loin. Vu qu'on voulait le voir mais qu'on avait failli à notre tâche, on se motive pour se retaper trente minutes de marche, et voir ce fameux fleuve. On traverse un petit bout de banlieue qui est loin de ressembler à nos cités décrépites, puis on arrive vers une zone très autoroutière, qui pue l'essence et la crasse, et après avoir traversé un petit pont. On se retrouve sur une piste cyclable.

On longe donc le chemin en évitant les vélos qui eux ont l'air consternés de nous voir marcher sur leur plate-bande. Mais on esquive bien, on dit "sorry", puis enfin, on arrive vers un grand pont, à côté duquel passe de grandes rangées de bagnoles. Mais on marche sur le pont, et ça y'est, enfin, on est au dessus du Danube. Il est grand, il a l'air froid, j'aimerai pas y tomber, mais surtout, il est moche, il a l'air crado. On dirait un enfant de la Saône et du Gange, franchement, j'y pisserai même pas. On rage un peu avec Léo, évidemment, puis on fait demi-tour déçu. Le Danube, c'est moche et ça pue, et y'a que des cyclistes qui vous engueulent en allemand.

On arrive, au bout de trentes minutes de marche dans le froid horrible de cette ville invivable avec, je le rappelle, mes putains de chaussures à la merde qui me niquent les pieds, jusqu'au musée Beethoven. Mais il est encore trop tôt, diantre, alors on s'pose dans un parc pour gosses, et on fait notre pause-bouffe.

On s'installe sur une table de camping, et Léo sort l'Opinel, le pain pas bon, le brie industrielle, et on mange. Alors qu'on essaie de se régaler de notre pitoyable repas, les nuages se noircissent, et nous voilà submergés par une pluie de grêlons, qui mouillent notre pain, rouillent notre Opinel, et tapent nos têtes. Y'a nulle part où s'abriter dans ce putain de parc, et un peu saoulés par cette matinée pourrie, on continue de manger, comme si de rien n'était, lançant seulement des "Aie" quand l'une des petites boules glacées s'infiltrait dans notre cou.

Après un quart d'heure de caillassage céleste, on a fini de manger, et on part de ce parc pour enfants pourri. Je m'sors un petit désert qu'on trouve qu'à Vienne, une barre chocolatée à la banane, et découvre, déçu, en mordant dedans, que c'est seulement un bonbon type banane Haribo enrobé de chocolat; autant dire que du sucre.

On arrive cependant au musée Beethoven, et on se fait notre petite visite. L'endroit est très calme, très peu de gens sont là, et l'endroit est intéressant. Mais bien que le lieu soit bien conçu, j'en ai ma claque des musées. J'en ai ras le cul de lire des textes, qu'on m'explique pourquoi ça ou ça est incroyable, alors je bâcle ma visite, et au bout d'à peine deux heures, je prie Léo pour qu'on s'barre.

On est tous les deux bien claqués. Bordel, et Alicia qui voulait nous inviter ce soir...

J'ai plus de batterie sur mon portable, alors Léo devient le guide pour rentrer. On se dirige vers un métro, nous faisant découvrir le prix exorbitant de leur ticket, ainsi que leur absence de dispositif pour empêcher les gens de frauder. Dans la rame, les gens sont aussi pressés qu'en France, mais ce qui me sidère le plus, c'est de voir qu'il y a le journal disponible à plusieurs endroits, et que personne ne l'a encore abîmé. Mon Dieu, ces gens sont trop respectueux, ils doivent forcément faire des trucs pas nettes le soir quand ils sont seuls.

De retour à l'auberge, la motivation est au plus bas. On s'parle bas, on prend juste chacun un café, et on lit. Ca m'avait manqué de lire, et c'est peut-être le manque qui me rendait ronchon. Enfin bon, le soir arrive, et il est notre dernier à Vienne. Je contacte Alicia, motivant par la même ocassion Léo pour qu'il vienne ce soir à la soirée Drum'n'Bass qu'elle nous a proposé. Il est moyen chaud, et de toute façon, quelques minutes plus tard, Alicia me dit qu'elle ne sortira pas, car elle en a trop pris hier, et a encore la gueule dans la bassine.

Ma foi, ça nous déçoit pas tant que ça. Je repense à Daniel, me disant que c'est quand même triste qu'on l'ait pas revu. Léo veut une soirée tranquilou, et j'avoue le suivre sur l'idée. Après concertations, on décide quand même d'aller se faire un petit restau' pour finir notre voyage en beauté. On s'prend pas la tête, et on va à "Bistro Chef", là où on avait pris notre premier repas dans la capitale autrichienne. L'ambiance est cool, mais la bouffe est dégueu, et les proportions sont démesurés. On finit pas tout, on paye trop cher, et on rentre, blasé, juste bon pour pioncer un bon coup, hâte d'être à demain pour rentrer chez nous, car je pensais pas dire ça un jour, mais le pays commence à me manquer.

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