Jour 5

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Cette nuit, fût aussi bonne qu'elle fût brève. Alors que le noir complet occupait tout l'espace de notre chambre, que le soleil envisageait à peine à se lever, bref, à cinq heures du matin, la porte s'ouvre. Un mec rentre, complétement bourré, et démabule dans la pièce avec des pas de pachydermes.

Le bruit me réveille, mais j'suis encore dans le coltard. Aucune idée de la gueule qu'a le nuisible, mais l'ouïe suffit à comprendre qu'il a plusieurs litres qui sont passés dans le gosier, et qu'il galère à enlever son jean. On l'entend sautiller, manquer de chuter, et sous ses actions aléatoires, il prend la peine de s'excuser par des rots tonitruants et rebutants, laissant deviner la future visite de l'ami vomi.

Au bout de cinq minutes de brouhaha nocturne, le mec a réveillé toute la chambre, mais il s'en fout, car il a enfin réussi à se coucher. J'entends marmonner le rital à côté de moi, et bien que ces mots ne me sont pas audibles, je devine les noms d'oiseaux avec lesquelles il appelle l'alcoolo. Mais alors que la chambre s'apprétait à retrouver son calme ensommeilé, le troubleur se relève, et court s'enfermer aux toilettes. Il respire fort, grogne, rote, pète, se met à chier un torrent coliqueux sous un crépitement de siphon de chantilly. Je fous mon oreiller sur ma tête, trop faible pour lutter, et essaie de retrouver de la sérénité malgré l'odeur de merde. Un énorme rot se fait entendre, et Léo lève le buste, son regard sévère préméditateur d'assasinat pointé vers les toilettes. Il croise mon regard, et me lâche un "Mais c'est quoi ce type ? C'est pas un humain ça."

Au bout de quelques minutes, le soi-disant humain sort, sous des reniflements de chiens. Je ne le vois toujours pas, mais Léo est face à lui, et il lui sort en anglais qui faut pas être un gros con comme ça. Le mec s'en branle, part se coucher, et Léo refait de même, le sang bouillant prêt à lui gicler à la gueule.

Deux heures plus tard, nous nous réveillons à nouveau. Il est sept heures du mat', et la plupart des gens de la chambre préparent leurs affaires pour leur escapade touristique de la journée. Léo a la tête dans le cul, et j'essaie d'émerger de ma nuit tandis qu'il me décrit le monstre de cette nuit par tous les noms d'oiseaux qu'il connaisse, m'en apprenant au passage quelques uns.

Avant de descendre, on s'lave, et j'essaie de dissuader Léo de ne pas pisser dans le sac de l'alcoolo, qui lui dort comme un bébé dans son lit, en caleçon, ronflant, laissant aux yeux de tous son tatouage tribal prenant tout son dos, et sa raie du cul. Dans l'ascenseur, Léo m'a dit que lorsque je me suis endormi, le mec avait pas fini son cirque, car il a tapé la causette avec un japonais qui dormait dans le lit à côté du sien. Apparemment, il lui aurait demandé s'il était chinois, et malgré l'explication du japonais sur ses origines, le gros con ne voulait rien comprendre, et aurait demandé bien une vingtaine de fois si le touriste asiatique n'avait pas le Coronavirus.

En bas, l'auberge se réveille normalement, sous des musiques populaires allemandes de même qualité que nos musiques populaires française, mais cette fois, on n'y reste pas, car on a décidé de se bouger le cul.

On bouffe jusqu'à une espèce de boulangerie/sandwicherie, et on se boit un café avec des croissants, tout en définissant notre objectif du jour. Après la journée de looser qu'on s'est tapés hier, on est motivés, et Léo décide qu'on ira visiter la maison de Beethoven. J'suis chaud, alors on paye la grosse boulangère blonde, et on part pour une marche d'une heure à travers la ville.

La maison se trouve dans un coin isolé, dans la rue (ça va de soit) Beethoven, assez excentré. La marche est un peu chiante, Léo ne se remet toujours pas de l'épisode de la veille, et en profite pour rager sur la quartier des affaires, allant à l'encontre de toutes ses idées. Moi j'essaie de profiter, de zyeuter les gens qui passent, et ce faisant je finis mon paquet de tabac.

L'heure se passe dans la traversée de quartiers plutôt pourris de la ville, mais quand même garnis des somptueux bâtiments à l'architecture Viennoise gothiques, qui devient presque lassante tellement elle est omniprésente. On arrive dans la rue Beethoven, qui, aussi curieux cela soit-il, est une petite rue de merde, où il n'y a rien, et qui franchement, ne donne pas envie d'être voisin du grand compositeur. Le GPS nous indique un bâtiment, et arrivé au point indiqué, on se retrouve devant un incroyable immeuble de merde. Il est moche, pourri, à chier, et de plus, rien sur sa devanture ne fait allusion au fait que c'est ici que se trouve l'ancien appartement de Ludwig.

Evidemment, comme c'était l'idée de Léo d'aller là-bas, je me fous de sa gueule. Le rital aime pas qu'on se foute de sa gueule, et il rage un peu, tentant même une claque que j'esquive de justesse. Il est grognon, et essaie de trouver la réponse à cet énigme sur Google. Moi, je veux me rouler une clope; mais j'en ai plus.

Après quelques minutes d'isolement, Léo revient vers moi, et me dit qu'il a trouvé l'adresse de la vraie maison de Beethov'. Tout en plaçant quelques allusions discrètes à son récent échec, je le suis, pour vingt minutes de marche.

En chemin, j'achète du tabac; écarquillant les yeux quand la buraliste m'annonce que le paquet ne coûte même pas cinq euros, moi qui tendait déjà un billet de dix. On continue la marche, et ce faisant, on arrive à une grande place magnifique, centrée par une immense statue majestueuse. A droite de la place, un incroyable palais ancien transformé en musée d'histoire naturelle. A gauche, la même chose, mais en musée d'histoire de Vienne. Et au centre, un accordéoniste, avec un masque de tête de cheval, ce qui a le don d'attirer les touristes, mais sans les encourager pour autant à donner de la pièce.

On se concerte un peu, et avec Léo, on décide de faire escale par le musée d'histoire naturelle avant de visiter les locaux à Beethoven. L'endroit est vraiment vaste, et à chaque fois qu'une pièce se finissait, on se rendait compte qu'il y en avait dix autres, et que la batisse était haute de quatre étages. On apprend des choses, je vois des mamouths, des dinosaures, des trucs sur l'espace, des animaux empaillés, et même parfois des petites nanas aux airs intello qui, vous le savez, me font craquer.

C'est grand. Très grand. Trop grand. Au bout d'un moment je me fais chier, et je ne regarde plus que les nanas, au détriment des poissons empaillés. Je râle un peu, je fais des blagues pourries, dans le but seul d'enlever à Léo son intérêt pour les choses qu'il voit, et qu'il ait envie de sortir lui aussi.

Au bout d'une heure, je parviens à ma tâche. On passe par la cafétéria du musée, où Léo est tenté par un petit expresso. Du moins, jusqu'à ce qu'il découvre leur prix de trois euros, et s'indigne comme un syndiqué. Je prends mon rital en colère par les épaules, et l'emmène dehors, même si le fait que le ciel soit gris le fasse autant rager.

Dehors, on grignote vite fait des sandwichs dans un parc qui ressemble à tous les autres parcs de Vienne. Il caille, et je regarde les gens. Une bande de jeunes est posée dans l'herbe, et fume un joint. Une petite enceinte diffuse de la techno de drogué, et pas loin, une petite grand-mère à l'air jovial lit un livre sur un banc. Je ne parle pas autrichien, donc je ne sais pas si ce que j'interprête est vrai, mais il me semble bien avec les trois mots germaniques que je maitrise, que l'un des jeunes fumeurs s'est levé vers la grand-mère, pour lui demander si la musique ne la dérangeait pas. Chose à laquelle la grand-mère a eu l'air de répondre que leur musique ne la dérangeait nullement, avec un sourire que même ma propre grand-mère ne m'a jamais porté.

Mon Dieu que ce pays est bizarre. Déjà, les feux rouges, c'était quelque chose, mais alors là. Des jeunes, qui fument de la beuh en public avec de la musique de drogué, et qui prenne la peine de savoir si leur activité ne gêne pas la petite vieille d'à côté ? Mais où sont nos weshs de France ? Le rapport n'est pas sain là ! En France, si des weshs se mettent à fumer du shit dans un parc en mettant du Jul à fond, jamais il ne leur passerait à l'idée de savoir si cela gêne la vieille à côté. Et si toutefois cela leur venait à l'esprit, la vieille n'aurait pas répondu cela. Non, elle aurait d'abord méprisé du regard le wesh de par son accoutrement, puis lui aurait sévèrement dit de partir, avant qu'elle n'appelle les flics, le tout en votant pour le Front National dès que l'occasion se présenterait à elle.

Mais bref, alors que je pars dans mes scénarios alternatifs non pertinents, avec Léo, nous marchons. Nous traversons le quartier touristique, nous amusant à comparer le prix des expresso dans les attrape-touristes, avec un record de quatre euros cinquante le petit café dans un bar bondé, de touristes évidemment.

Enfin, on arrive devant la deuxième maison de Beethoven. Si je l'inventais, ça ne serait pas drôle, mais encore une fois, nous tombons devant un bâtiment pourri, mais sur lequel cependant, il est bien écrit que Beethoven a vécu ici. Malgré tout, l'appartement n'est pas ouvert au public, et de toute manière n'a pas l'air intéressant, alors je me fous de la gueule de Léo, car c'est drôle. Lui s'énerve, et moi, je lui dis que je ne sais pas comment il fait pour être aussi con. La tension est palpable, alors comme pris d'une pulsion, il cherche le bar le plus proche, car il veut un café.

On trouve un petit bar, où l'expresso n'est pas cher. C'est le genre de rad d'étudiants de gauche militant, et un peu partour sur les murs est écrit qu'ici on aime pas les nazis, les flics, et les gens pas tolérants. Ma foi, ces petits guerriers de la bonne morale sont sympas, et on boit un caf', avant de se jeter une pinte dans le pif. Léo s'isole un peu, et décide de reprendre sa lecture de "L'assomoir". Moi, je sais pas trop quoi foutre, donc je fais chier Léo. Il gueule, et me dit que j'ai qu'à voir avec Alicia si elle vient ce soir. Bonne idée, je prends contact avec elle.

En attendant sa réponse, je vais fumer, je lis aussi, j'appelle un pote pour lui souhaiter bon anniv', puis je rejoins Léo. Alicia m'a répondu, me disant qu'elle ne viendrait pas ce soir. On est un peu dégoûté quand même, mais bon. Il est encore tôt, et on a rendez-vous au Down Under (le bar où on a rencontré Daniel et Alicia) à vingt heure trente.

On réfléchit, et on s'dit que pour passer le temps avant une cuite, autant boire un coup. On quitte le repaire de gauchistes, pour retrouver le pub irlandais dans lequel on était allé avant le concert de Mozart. On picole notre Guiness en parlant de choses et d'autres, puis direction le "Down Under".

On marche un peu, il fait toujours froid, et la nuit est tombée. Vienne ne s'est pas encore réconcilié avec le soleil aujourd'hui. On arrive au bar. Sur la devanture, une affiche annonce un concert. Là me vient un souvenir, où Alicia m'expliquait que le nom de groupe voulait dire "Lisa pleure" en français, et que ça avait pas l'air fun. On entre, prend une bière et, effectivement, "Lisa pleure", outre la surprise d'être un grand chauve musclé, n'avait rien d'intéressant.

Dans le bar, aucun signe de Daniel. On a beau chercher partout, on ne le voit pas, et au bout d'une bière, on décide d'en prendre une autre, parceque quand même c'est Daniel. On picole, mais au bout de la deuxième, on commence à en avoir ras-le-cul. Autour de nous ça braille autrichien, et avec l'ambiance étouffante d'un bar, et l'alcool qui toque à ta tête, c'est plus si rassurant de ne pas comprendre le moindre mot qui se prononce autour de toi. On en a marre, on remballe, et direction l'auberge pour une deuxième soirée de la loose, sous le signe du lapin posé par Daniel.

On marche un peu, et alors qu'on débat devant un snack pour savoir si on prend à bouffer là, mon portable vibre. C'est Alicia. Elle me demande si on est au bar. Après quelques messages, on la rejoint, et elle nous dit avec le sourire qu'elle a changé d'avis, et qu'au final elle voulait encore se bourrer la gueule ce soir.

La soirée commence vraiment à ce moment alors. On picole, des gens nous payent des bières, et Alicia nous fait rencontrer un gros panel de gens. Y'a un mec, à l'air trop jovial pour être vrai, qui demande à ce qu'on l'appelle Koko. A côté de lui, une viennoise asiatique dont j'ai oublié le nom, et un autre mec dont j'ai oublié le nom, mais qui, dans mes souvenirs, était très bel homme.

On discute, les autrichiens se foutent de ma gueule car j'ai une marinière et un béret, et on s'amuse bien. Un mec arrive, plus âgé que nous, et lorsqu'il apprend qu'on est français, se met à essayer de nous parler dans notre langue. Il raconte sa vie à Léo, et j'en profite pour partir avec les autres pour fumer.

Dehors, la bande discute, mais en allemand. Je pige rien, et essaie juste de deviner ce que veulent dire certains mots, mais au bout d'un moment, je réalise que cela ne sert à rien car je leurs fais juste dire "J'ai fait caca dans ma culotte", mais dans ma tête. Alors que je comprends que je suis immature, Alicia me parle d'une soirée à laquelle elle va demain, me proposant de nous inviter Léo et moi. Y'a des gens, qui sont naturellement cools, et ça fait bizarre de se dire que l'humanité a pas créée que des spécimens foirés.

Retour à l'intérieur, Léo est toujours avec le quinquagénaire qui lui raconte sa vie. C'est assez marrant, pour moi du moins, car Léo, lui, tire la gueule.

Ca picole, ça rit, et je fais ma première blague sur Hitler dans son pays d'origine. C'est l'éclate, et pourtant Léo en a marre, et veut se barrer. Moi je suis chaud, n'ai aucune envie de partir, et de plus, un mec vient de me proposer une partie d'échec en picolant. Léo part donc sans moi, et je me lance dans le jeu contre le rockeur autrichien qui demande lui à ce qu'on l'appelle Baloo.

L'alcool descend, car Baloo est vraiment fort, et moi vraiment nul. Au final, il passe plus de temps à m'apprendre les règles qu'autre chose, et alors que la partie se termine sur une défaite cuisante pour ma pomme, la barmaid nous dit de partir.

Flemme de rentrer à pied, Alicia me file une application d'espèce de chauffeur Uber, et j'en prends un pour six euros qui me ramène à l'auberge en quelques minutes, et surtout à l'abri de ce froid que je ne supporte plus.

Il est une ou deux heures du matin. Léo m'ouvre la porte, et alors que j'essaie de rire, lui me dit qu'il veut pas rigoler. Apparemment, le japonais de notre chambre est arrivé en pleine nuit à son tour, bourré lui aussi, et a allumé toutes les lumières en faisant un boucan pas possible, réveillant ainsi tout le monde. Léo et lui se sont engueulés, et le rital a encore son sang en ébulition. Moi j'écoute l'histoire, en m'en battant un peu les couilles, et en arrivant dans la chambre, on voit le japonais ivre affalé dans son plumard, ronflant et rotant comme l'autre connard de la veille, dont le lit est vide. Léo rage, souhaitant que ce japonais ait au final le coronavirus. Moi j'm'en branle, je me suis bien amusé, et j'suis bourré. Demain, c'est notre dernier soir, et normalement on refait la même, alors je succombe au soleil, bercé par les rots et les ronflements de mon colocataire nippon.

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