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Les rayons du soleil transperçaient les fins rideaux à motif floral. Marie Lefèvre tentait tant bien que mal de se couvrir de la lumière, mais en vain. Il devait lui rester encore une dizaine de minutes avant que son réveil ne l'incite à se lever. Mais la lumière du jour l'avait en partie extirpée d'un lourd sommeil, ainsi que la voix puissante de sa fille, Eloïse, en bas des escaliers.

— Maman, où est ma veste en cuir ? Je vais être en retard ! vociféra la jeune fille de dix-sept ans.

— Faites des gosses ! rétorqua à voix basse Marie, encore endormie.

Marie Lefèvre était une mère célibataire de trente-six ans. Elle partageait son temps entre son activité de détective privée et son rôle de mère, qui, avec les années, lui demandait beaucoup d'énergie. Eloïse, sa fille unique, venait d'avoir dix-sept ans. En pleine crise existentielle, elle menait parfois la vie dure à Marie. Par chance, elle était une jeune fille conciliante et respectueuse. Consciente que sa mère ne menait pas une vie facile, Eloïse l'aidait autant qu'elle le pouvait. Elles avaient une relation très fusionnelle ; elles arrivaient à se comprendre sans même parler, juste en se regardant.

Mature pour son âge, Eloïse savait analyser les situations et les personnes de son entourage avec précision, une capacité transmise par sa mère. Elles avaient toutes les deux cette sensibilité, cette empathie envers les autres qui les rendaient différentes. Elles arrivaient à capter les émotions, les intentions des gens en peu de temps et parfois sans parler. Malheureusement, il y avait le revers de la médaille ; elles absorbaient toutes les émotions et parfois en souffraient. Doublé d'un romantisme exacerbé, Marie et Eloïse voyaient l'amour comme un livre de Jane Austen ou de Charles Baudelaire.

— Tu as regardé dans le dressing ? rétorqua Marie du fond de son lit.

Eloïse, bien décidée à obtenir une réponse plus précise et à réveiller par la même occasion sa mère, fonça dans la chambre de Marie, toujours emmitouflée dans ses draps en flanelle.

— Penses-tu que j'ai déjà regardé ! Et comment ça se fait que tu es encore au lit ?! lança la jeune fille étonnée de voir sa mère encore au lit à sept heures du matin (ce qui était rare).

— Ma chérie, mon réveil sonne à dix premièrement, et deuxièmement, je fais ce que je veux. Je suis ta mère, et troisièmement, ce ne sont pas mes affaires. Tu devrais savoir où tu ranges tes vêtements, qui normalement devraient être dans ton armoire !

— À quoi ça sert d'être détective si on ne cherche pas ?! rétorqua Eloïse en levant les yeux au plafond.

— Merci de réduire mon métier à ça, ma chérie. J'adore ton esprit de synthèse ! Sache que je n'ai pas fait une formation juste pour chercher les vêtements de ma fille chérie, qui n'a pas de tête et qui attend après sa mère pour trouver. Et que veux-tu pour le petit déjeuner ? répondit Marie amusée en extirpant péniblement de son lit.

Eloïse, aussi attentive aux détails que sa mère, ne pouvait s'empêcher de regarder chaque fois que Marie avait le dos nu les cicatrices qui couraient le long de son dos. N'étant pas une détective privée, elle ne demandait jamais l'origine des marques, juste le regard de Marie lui suffisait pour comprendre qu'il s'agissait d'un sujet sensible.

— Comme d'habitude, des œufs avec de la cannelle et du bacon.

— Mon dieu, comment tu peux manger salé au petit matin ? Ma fille n'est pas normale !

— Maman, beaucoup de gens mangent salé le matin ! et c'est mieux que des cochonneries saturées en sucre. Ah, et ton téléphone pro a sonné, un certain Olivier Teil, j'ai laissé sonner.

Marie laissa échapper un long soupir qui en disait long sur cet Olivier Teil. Il s'agissait d'un journaliste pseudo-investigateur aimant le sensationnel et l'ostentatoire susceptible de faire vendre. Cela faisait quelques temps qu'il rodait autour de Marie afin d'avoir une interview exclusive sur son histoire et son parcours professionnel. Son objectif était de la disséquer tel une pauvre créature vouée à la science afin d'appâter ses lecteurs avides de nouvelles croustillantes. À plusieurs reprises, elle l'avait éconduit avec tact, mais maintenant elle ne prenait plus la peine de répondre.

Elle faisait déjà l'objet de multiples commérages. Une femme détective privée, de surcroît mère célibataire, elle devenait une attraction ainsi que sa fille, qui était souvent questionnée sur la profession de Marie. Marie, avant de devenir détective privée, avait songé à une carrière dans les forces de l'ordre. Mais elle voulait servir, aider son prochain différemment. Elle avait débuté sa formation peu de temps après la naissance d'Eloïse. Elle rêvait de changements dans sa vie et aspirait à plus que d'être assignée à faire du café ou des impressions dans une agence de recrutement. Elle voulait surtout quitter son ex-mari William, avec qui elle avait passé une partie de sa vie enfermée dans un appartement à Grenoble.

— Tu as bien fait, c'est une véritable plaie ce type ! Ce qui l'intéresse, c'est de savoir comment je fais pour résoudre mes enquêtes et comment je gère ma vie privée, ce qui ne le regarde pas, et encore moins ses lectrices ménopausées qui raffolent des commérages et des histoires people ! Et par-dessus le marché, quand je le croise, il passe son temps à reluquer ma poitrine.

— Peut-être qu'il veut simplement coucher avec toi ! rétorqua Eloïse d'une voix amusée.

— Jamais de la vie, il est répugnant, misogyne, sexiste et grossier. Autant rester toute seule. Finis de t’habiller tu vas être en retard.

Marie, d'un pas lourd, alla jusqu'à la cuisine avec nonchalance. Une fois levée, elle se devait d'être totalement disponible et opérationnelle pour sa fille et ses clients. Elle arrivait habilement à jongler entre sa vie de mère célibataire et sa vie professionnelle sans que l'une empiète sur l'autre. Eloïse avait décrété un jour que Marie, sauf en cas d'appel urgent, ne devait parler de boulot à la maison. Elle voulait et, à juste titre, dédier la maison à la famille et au repos. Combien de fois avait-elle entendu les parents de ses amis se disputer à propos du boulot de l'autre ? Consciente que Marie pouvait s'absenter de longues heures lors d'une affaire, elle voulait profiter de chaque seconde de libre quand sa mère était à la maison.

Marie, tout en préparant le petit déjeuner, en profitait pour observer Eloïse qui semblait particulièrement nerveuse. Sans même lui parler, elle savait que quelque chose n'allait pas. En plus d'être une bonne détective aux sens de l'observation aiguisé, elle avait une capacité hors du commun.

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