Chapitre 1

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La ville du futur de cette nouvelle est inspirée du projet « Paris Smart City 2050 » de l’architecte belge Vincent Callebaut.

Les arches voutées de la Cathédrale s’offraient à elle comme le squelette d’une bête pestilentielle. Ambruine sentait son haleine brûlante raser sa carapace. Des bourdonnements vrombissaient dans son crâne. La jeune femme tombait en chute libre dans les entrailles de roches. Bientôt, les liens d’acier qui barraient la verrière se dessinaient dangereusement en dessous d’elle. Ambruine tournoyaient sur elle-même à n’en voir que le ciel menaçant et le toit d’ardoise qui miroitait les nuages. Elle ferma les yeux, brisa la serre et s’enveloppa de la noirceur de l’édifice. Un instant plus tard, elle sentit son corps ralentir par la tendresse d’une large feuille protectrice, puis le sol abrupt la réceptionna durement. Ses poumons se comprimèrent par le choc. Ses doigts cherchèrent à tâtons le dispositif de décompression de son casque. Au travers des acouphènes qui brutalisaient ses oreilles, le timbre d’une voix résonna un peu plus loin. Ambruine se leva de suite. Son cœur tambourinait dans ses tempes.

– Reculez ! cria-t-elle. Je suis armée !

Ses ongles ratissaient le système. De l’autre main, ses phalanges s’accrochaient à son pistolet. D’un coup sec, Ambruine décompressa son armure. D’un second, elle retira sa coiffe. Son revolver se pointa aussitôt sur son assaillant. Surprise, la jeune femme se prit le pied dans une racine.

« Rendre à la nature ce que nous lui avons dérobé », l’édifice de la Cathédrale Notre Dame d’Amiens s’inscrit dans le projet de la COP 201. Les imposantes pierres du VIIIe siècle permettent de garder cet écosystème urbain 25 °C en dessous des températures extérieures...

Ambruine baissa sa garde. En face d’elle, l’hologramme d’une jeune femme tournoyait sur elle-même empreint d’une fausse joie et ponctuant ses phrases d’un rire niais. Ses phalanges se desserrèrent autour de la crosse de son arme et la rangèrent de son étui. Elle souffla, puis s’allongea, épuisée, dans la mousse fraîche. Ambruine posa ses doigts sur ses oreilles. Elle était surprise de ce silence. Même la guide dématérialisée, prise par son discours utopique, se retenait de briser le répit des statues écroulées, des vitraux colorés et de la nef étouffée par les hautes plantes qui s’arc-boutait comme protectrice au-dessus d’eux. Seuls quelques puits de verres par-ci, par-là, rayonnaient au travers des toitures. Ambruine leva la tête pour observer l’épaisse feuille de bananier qui avait amortie sa chute. Quelques bananes vertes s’amoncelaient sur le bout de la branche. La jeune femme s’en lécha les lèvres.

Au thermomètre 23 °C, à l’extérieur 48 °C ! Vous vous rendez compte ? Incroyable, non ?

La voix nasillarde de l’hologramme lui tapait sur le système. Ambruine se releva et retira son armure. Sur sa carapace en chitine, des morceaux de verre, de bois et des bosselures décoraient sa surface noirâtre et lisse. Ce matériau, imitant la carapace des insectes, se trouvait plus fin et plus résistant que l’acier. Ambruine se souvenait, que petite, elle prenait les scarabées dans ses mains et venaient à les lâcher à une hauteur de plus de trente fois leur taille. Bien que méfiante, la jeune femme avait fait de même aujourd’hui. Son cœur bourdonnait dans sa poitrine. Ses poumons vrombissaient dans sa cage thoracique. Ses doigts tremblaient tant qu’elle peinait à se défaire de son armure. Sans aucun doute, Ambruine était en vie. Elle se découvrit de sa cuirasse pour dévoiler sa robe pailletée, ses escadrilles rouges et ses bracelets scintillants à son poignet.

Allez ! Suivez-moi, jusqu’au Chœur de la Cathédrale, au cœur de l’Histoire du Siècle Maudit...

Des bruits d’oiseaux mimèrent le passage des spectateurs sur le chemin et des ombres chinoises sillonnèrent la rosace de verre qui faisait face au parvis.

- Je vais me faire repérer, moi ! chuchota, mécontente, Ambruine.

La jeune femme s’empressa de cacher son attirail dans un buisson et attacha son revolver à sa cuisse grâce à une sangle de cuir. Elle retira ses talons qu’elle porta d’une main et posa ses pieds nus sur la mousse. Les plantes venaient à chatouiller les siennes. L’humidité spongieuse qui perlait sur ses mollets lui ferait passer le goût du sel sur sa peau. Ses bras nus picotaient légèrement par la fraîcheur de l’endroit. La guerrière avança, contemplative, dans cette forêt de taillis verdoyants, d’arbrisseaux fiers, de fleurs colorées, de broussailles magnifiques...

Au détour de ce rhododendron, arrêtons-nous...

Ambruine accéléra le pas. Les détecteurs activaient la femme holographique et ses frasques sensationnelles à chaque bourgeon qu’elle croisait. La jeune femme atteignit les escaliers en colimaçon qui reliaient la nef à la tribune. À dix-sept mètres au-dessus du sol, les iris marron d’Ambruine se confrontèrent à l’orgue cuivré. Son reflet dans le métal donnait à sa peau claire des allures de statues de bronze. Ses narines aquilins, habillées d’une petite bosse en son centre, dévoilaient d’elle, son nez, jadis, fracturé. Elle prit un temps pour se pencher sur la boiserie de la tribune, puis se retourna, confiante, vers une porte gravée. Le battant était déverrouillé et elle sortit par l’arrière de la Cathédrale. De suite, les pavés brûlants lui grignotèrent les orteils. La jeune femme s’accrocha aux pierres chaudes et se laissa descendre le long des arcs-boutants. En quelques minutes, elle rejoignit un menu jardin d’herbe grillée. Elle attrapa d’une de ses poches un mouchoir en tissus pour s’essuyer le front. La chaleur l’écrasait. Le petit îlot de fraîcheur qui l’entourait n’avait de reposant que l’ombre des arches photosensibles. Ambruine leva sa tête. D’impressionnantes arcades blanches se tordaient au-dessus de la ville, cernées de maille comme d’une toile d’araignée d’où sortaient des lianes verdoyantes. Les structures serpentaient entre les buildings de pierre massive, gris et sans originalité.

- Bienvenue dans le jardin de la Cathédrale ! s’exclama l’hologramme. Les arcades photosensibles ne cesseront de nous impressionner. Ces arches sont disposées en deux couches. Le centre se vide d’air pour faire circuler notre réseau de transport en commun. L’extérieur est alimenté par un système d’hydratation pour les plantes grimpantes puisé directement dans nos réserves souterraines. Gardez en tête : « Objectif Carbone Négatif » !

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