Chapitre 58 - 1953*

8 minutes de lecture

Chapitre 58

Pour être honnête, je n’ai pas vraiment de souvenirs de la suite de la soirée. Paulo nous a raconté que Max a vomi dans les escaliers de l’immeuble, que nous avons mis trois heures à monter les quatre étages, que j’ai eu le fou rire toute la nuit parce que ma tante avait beaucoup gueulé…

Le matin au réveil, j’ai un mal de crâne hallucinant. Je pue l’alcool à trois kilomètres, j’ai une haleine de phoque et la chiasse. Forcément, quand on boit trop, il faut l’évacuer, par en haut ou par en bas. J’ai fait les deux…

C’est le jour du grand départ. Après avoir dit au revoir à mes cousines que je ne reverrai probablement pas avant Noël, ma tante nous dépose à Orly afin de prendre un avion pour Bordeaux.

Une fois largués tous les trois dans l’aéroport, l’excitation est à son comble ! Paulo a hâte de rentrer, car demain, il s’échappe camper une semaine au Pays basque avec ses potes. Max veut rapidement retrouver Agathe alors que moi, je ne pense qu’à une chose : partir surfer !

Marion est en vacances en Corse, Jimmy en Bretagne, et mon compère Dylan, au pèlerinage gitan des Saintes-Maries-de-la-Mer. Seule ma planche m’attend impatiemment !

Nous passons le portail d’embarquement sans soucis. Mon mal de crâne ne me quitte pas. Nous nous précipitons pour acheter du Coca-Cola, rien de tel pour les lendemains de cuite, ça rince la tuyauterie ! Chacun muni de notre bouteille, nous faisons la queue pour régler quand Max me demande :

— Tonio, Action ou Vérité ?

— La partie n’est pas finie ?

Je ne suis même pas certain que ce soit son tour, mais j’ai déjà envie d’accepter le défi, ça m’occupera pendant le vol où je vais une fois de plus me retrouver ceinturé.

— Elle se termine à Bordeaux ! précise Paulo qui avance dans la queue.

— OK, bah Action jusqu’au bout ! Soyons fous !

— Demande à la caissière si elle a de faux seins ! me provoque Max en souriant.

— Oh putain, t’es con ! je lui réponds avant d’éclater de rire.

Il me surprend encore une fois. Il est là, bien présent, de nouveau vivant et réjoui. Il devient peu à peu l’acteur de sa vie, et ne se contente plus d'en être le spectateur

Il y a beaucoup moins de rivalité entre nous et ça me rassure. D’ailleurs, on se marre bien quand on est tous les deux.

— Il ne va pas le faire, me provoque Paulo en sortant un billet de dix euros pour régler nos boissons.

— Bonjour, six euros, s’il vous plaît, nous demande la caissière en uniforme blanc et rouge, concentrée sur son travail.

— Tenez !

— C’est des faux seins que vous avez ? je la questionne le plus innocemment possible.

Je montre du doigt son décolleté qui gonfle sa chemise dont les boutons sont prêts à céder. Max cache immédiatement son visage avec ses mains pour rire. Je le regarde convulser devant moi et je ne peux m’empêcher de me marrer aussi. Paulo, qui se retient, me met une tape derrière la tête en s’excusant pour moi :

— Désolé madame, il est jeune et impoli ! Vous avez une très belle poitrine !

— Bon, sortez de là, les gosses ! s’énerve-t-elle en saisissant que l’on se fout tous les trois de sa gueule. Vous voyez bien qu’il y a du monde, non ?

Au même moment, les haut-parleurs précisent que l’avion pour Bordeaux est à l’heure et que nous allons embarquer. Nous nous mettons dans la file de voyageurs.

— Paulo, Action ou Vérité ?

— C’est la fin du jeu ! me répond-il, stimulé par notre départ imminent. Action, merdeux !

— Dès que tu croises une hôtesse, tu lui demandes si elle suce !

— Bordel, il va se faire refouler ! m’informe Max en éclatant de rire.

— Ouais, il a raison ! approuve Paulo qui cherche toujours une excuse pour refuser. Trouve autre chose !

Il me tourne le dos afin de se défiler, mais je m’approche de lui pour le provoquer.

— Dégonflé ! Moi, je l’aurais fait !

— Bon, OK, on s’en fout, après tout ! soupire-t-il.

Nous avançons lentement, tous les trois côte à côte, en observant les hôtesses de l’air qui contrôlent les billets et les papiers. Je passe le premier, suivi de Max. Nous attendons avec impatience le tour de Paulo. Alors qu’il tend son document à la dame hyper maquillée en uniforme, il lui murmure droit dans les yeux sans lâcher carte d’embarquement :

— Tu suces, princesse ?

L’hôtesse force pour arracher le billet des mains de mon frère, puis elle vérifie qu’elle a bien entendu :

— Pardon, je n’ai pas compris !

Le visage de la femme reste fermé et concentré sur la carte qu’elle scanne.

— Non, rien ! refuse-t-il de répéter.

— T’as quel âge, mon grand ? demande-t-elle en tendant le morceau de papier.

Elle toise Paulo de haut en bas, très sérieusement.

— Dix-sept ans ! murmure-t-il impressionné.

— Alors je te conseille de monter rapidement dans l’avion, de t’asseoir, de mettre ta ceinture et de la boucler ! Tu vas être bien sage, OK ?

— OK ! approuve mon frère en lui souriant bêtement pendant que Max et moi nous esclaffons de le voir si soumis.

Mais son Action est loin d’être finie, car des hôtesses, il y en a partout…

À la porte d’entrée, l’une d’entre elles nous accueille gentiment :

— Bonjour, bienvenue à bord !

Elle ne sait pas encore qu’elle est tombée sur trois adolescents dévergondés et intenables à l’idée de rentrer chez eux.

— Tu suces ? lui lance Paulo.

À ces mots, nous nous esclaffons de manière ingérable. Max marche en se maintenant le ventre, prêt à se rouler par terre, et moi, je n’arrête pas de m’essuyer le visage tellement je pleure. Paulo a des secousses semblables à une crise d’épilepsie, sauf que c’est une crise de rire…

Au milieu de l’avion, pour aider les voyageurs à trouver leurs places, une nouvelle hôtesse regarde nos billets et nous indique :

— Vos sièges sont un peu plus loin !

— Tu suces ? s’esclaffe encore Paulo en guise de réponse.

Bien entendu, nous finissons par nous faire rapidement repérer par l’équipage, et celui-ci nous oblige à clôturer notre partie sous la menace du chef de cabine de nous débarquer immédiatement. Après trois semaines passées à l’autre bout de la France, nous préférons renoncer à notre jeu pour ne pas prendre le risque de rester coincés sur Paris un jour de plus.

De retour à la maison, l’ambiance est tendue. Mon père a eu vent de nos derniers exploits et c’est Paulo qui s’en prend, une fois de plus, plein la gueule. Après une longue altercation, celui-ci finit par comprendre que mon paternel n’aura aucune indulgence envers lui. Il décide donc de nous abandonner et de partir camper sur le champ.

En ce qui me concerne, la première chose que je fais en arrivant est de préparer ma planche ! Mais mon vieux me refroidit aussi vite. En colère que mon aîné lui ait tenu tête, il entre en trombe dans le garage et sans me saluer, il m’indique fermement :

— Tu ne vas pas surfer ! Du moins, pas tout seul !

Je ne tiens pas compte de son ordre. Je rentre ma planche dans sa housse et vérifie que j’ai bien mon pot de wax dans la pochette. Je lui réponds sans le regarder :

— Non, je vais rejoindre des potes !

— Qui ? demande-t-il, méfiant, être parfaitement au courant que tous mes amis sont partis pour les vacances.

— Bah, je sais pas, des gars !

Il suit tous mes mouvements, les mains sur ses hanches. Il commence à m’énerver. Je soupire fortement et me dirige vers le fil à linge pour prendre une serviette de plage.

— T’as quinze ans, tu surfes pas tout seul ! T’as vu le temps pourri qu’il fait ? insiste-t-il en me montrant les rafales de vent à l’extérieur. La mer est déchaînée et les marées sont descendantes.

— J’ai mon portable et j’ai vérifié la météo, demain, il fait beau !

— Je t’ai dit non ! me coupe-t-il.

Il a le don de me foirer mon retour en quelques secondes ! Max entre à ce moment-là dans le garage. Je fonde tous mes espoirs sur lui…

— Max, tu viens surfer, demain matin ?

— Oui, si tu veux ! accepte-t-il en me sauvant la mise.

— Je ne surfe plus tout seul ! je lance à mon père.

Je lui tourne le dos pour plier ma serviette et chercher ma combi.

— Branleur, t’as intérêt de m’écouter ! me rétorque mon vieux.

Le lendemain matin, à la première heure, Max et moi sommes sur nos planches. En pleine saison touristique, la côte Atlantique est envahie de vacanciers. Il ne fait pas très beau, le temps est un peu couvert, mais la plage est chargée de monde. Je ne reconnais personne de mon lycée ou de mes potes surfeurs, tous sont partis avec leurs parents. Pour les plus âgés, ils campent plus au sud dans les Landes ou au Pays basque. Paulo est allé les retrouver hier soir. J’en profite tout de même pas mal, jusqu’à ce que Max me lâche pour aller voir Agathe qu’il a quittée depuis plus d’un mois. Je reste seul sur la plage, comme un pauvre con, sans ami. Je décide de surfer quand même malgré l’interdiction paternelle : après tout, qui le lui dira ? Je rencontre un groupe de surfeurs que je ne connais pas et je squatte avec eux tout l’après-midi, jouissant de l’océan qui m’a tant manqué.

Le soir, en attendant le bus, Jenny, qui était venue camper avec nous en juillet, me rejoint à l’arrêt. Nous nous saluons et rapidement, nous entamons la conversation.

— Ça va ? me demande-t-elle en posant son sac à côté de ma planche.

— Ouais et toi ?

Je me pousse sur un côté du banc où je suis assis pour lui faire une place, ravi de trouver une connaissance. Son teint bronzé fait ressortir ses yeux verts.

— Nickel ! Tu es tout seul ?

— Ouais !

— Moi aussi ! Mes amies sont parties en vacances !

— La même. Et ton mec, Ashton ?

— Il m’a plaquée pour la chaudasse, Withney ! Tu vois qui c’est ?

— Parfaitement, je dis en me souvenant de la façon dont elle m’avait allumé dans le vieux château.

Le bus arrive et nous montons tous les deux à l’intérieur. Nous continuons de parler des gens de notre lycée. Jenny passe en Première ES. Je ne l’appréciais pas, car elle avait tendance à me donner des ordres et à me dominer, en pensant que comme je suis plus jeune qu’elle, je ne suis pas en mesure de prendre des décisions. Au final, je suis surpris que notre discussion soit sympathique. Ça m’arrange bien, je n’ai qu’elle pour occuper mon temps libre.

En descendant du bus, elle me propose de la retrouver demain, ce que j’accepte avec plaisir.

— Si tu veux, tu viens vers midi, on mangera chez moi !

Les parents de Jenny sont restaurateurs et à cette saison, ils sont très pris. Mais il y a de quoi bouffer pour dix chez elle, tandis qu’à la maison, c’est tout le contraire. En dînant avec Jenny, j’évite la corvée cuisine ! Je suis donc ravi de l’avoir rencontrée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Antoine COBAINE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0