Chapitre 49 - 2095*

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Chapitre 49

La soirée s’est mal terminée pour moi. Paulo a embrassé Alice en deux temps, trois mouvements. D’ailleurs, j’ai une belle collection de photos du couple enlacé. Marion est ravie de recevoir ces petites informations compromettantes qu’elle va rapidement transmettre à sa sœur. Je me marre à l’idée que « Paufie », bah, c’est déjà fini ! En même temps, je ne suis pas surpris. J’aurais parié ma planche de surf que Paulo ne tiendrait pas une semaine loin d’elle. Il a pété les records puisque ça fait à peine 48 heures que nous sommes arrivés.

Cet abruti réussit tous ses coups. Il parvient même à me ruiner toutes mes chances de pécho. Putain, grâce à lui, je me retrouve avec ce putain de vernis à ongles sur les mains et les pieds. C’était hilarant sur le coup, mais là, ce matin, je ne ressemble vraiment à rien. Ma voix n’est toujours pas réapparue et j’ai l’air d’une gonzesse manucurée par un nain de jardin de quatre ans.

— C’est quoi, cette nouvelle invention ? me questionne ma tante dubitative en regardant mes doigts saisir une chocolatine pendant le petit-déjeuner.

— Un pari avec Paulo. T’as pas du truc pour l’enlever ?

— Non, tu le gardes vingt-quatre heures ! me coupe Clo en faisant signe à sa mère de ne pas m’aider dans le nettoyage du rouge vif qui m’encombre.

— Vas-y, je ressemble à rien avec ça ! je râle la bouche pleine.

Je désespère en regardant mes doigts. Je n’ai honte de rien, mais je dois admettre que ça va être difficile de séduire une meuf avec une voix de phoque et du vernis à ongles. Je suis beau, mais tout de même…

— De toute façon, je n’en ai pas ! m’avoue ma tante.

— Je vais demander aux voisins !

Je scrute rapidement l’horizon autour de notre emplacement.

— Ouais, vas-y, celui-là, il devrait bien te recevoir ! se marre Louise en regardant par-dessus ses lunettes de soleil en direction du chalet ennemi.

Aucune pitié pour moi ! J’ai fait le tour des environs et à chaque fois que j’ai réclamé une goutte de dissolvant, une de mes cousines a supplié que l’on ne me vienne pas en aide. Je suis condamné à garder cette merde sur moi toute ma vie, du moins, jusqu’à ce que ça parte. Ma tante a honte de me trimballer comme ça, c’est toujours ça de gagné ! D’ailleurs, histoire de l’embêter encore plus, Laura m’a fait deux couettes et prêté un paréo. J’ajoute à ma dégaine une bonne touche de féminité dans mes manières et tout le monde se marre.

Le soir de mon anniversaire, je tente de partir habillé ainsi au restaurant, mais tata me coupe net dans mon élan.

— Ho, la tahitienne ! Tu me sors ton attirail de bonne femme pour te travestir en homme ! Carnaval, c’était en mars !

Je souffle mes quinze bougies cette année. C’est toujours mieux que quatorze, mais pas aussi bien que seize… Mes frères et mes cousines m’ont prévu une surprise, mais aucun ne balance d’indice sur le projet nocturne qu’ils me réservent. Je dois patienter jusqu’à ce que ma tante dorme profondément et ronfle à en faire trembler les murs de son mobil-home. Et attendre n’a jamais été mon fort…

Vers minuit et demi, nous sommes enfin libérés du joug de l’adulte et libres comme des sauvages à qui l’on ouvre la porte de leur cage après des années de détention.

Les températures ne sont pas descendues en dessous de vingt-huit degrés depuis que nous sommes arrivés, y compris les nuits. Comme je l’avais prévu, je vis en maillot depuis plusieurs jours. Mes frères quittent leurs chambres en short de bain également, ce qui me surprend, surtout de la part de Max qui nous fait un défilé de mode à chaque sortie.

Nous rejoignons mes cousines qui ricanent au coin de l’allée, dans la pénombre. Paulo prend la direction de la piscine et je devine très vite ses intentions lorsqu’il se faufile derrière la haie de fusains qui longe la palissade du grand bassin.

Les filles, qui ne sont pas très téméraires, restent appuyées au grillage avec leurs téléphones pour filmer la scène.

Paulo escalade en premier le large portail blanc sécurisé. J’observe ses gestes agiles pour pouvoir l’imiter. Max le suit et se hisse facilement de l’autre côté de la barrière.

— Allez, bouge ton cul avant qu’on ne se fasse repérer, Ducon ! m’invite gentiment mon Paulo.

— J’arrive ! je chuchote.

Je pose mon pied gauche sur la serrure du portail puis je me projette dans les airs pour escalader la barricade. Une fois en haut, j’élève mon deuxième pied pour m’asseoir sur le portail et laisser mes jambes pendre dans le vide, avant de sauter dans l’enceinte de la piscine. En me tombant sur la terrasse, j’accroche mon short de bain au coin de la palissade et je le déchire sur la longueur.

— Merde ! je râle en observant la grande fente qui part du bas du maillot et remonte sur ma cuisse. C’était mon préféré !

— Ça fait quatre jours que tu le portais ! se moque Paulo. Au moins, t’es bon pour en changer !

— Mais je l’aimais bien !

Je fais une moue et vérifie s’il ne pourrait pas être recousu.

— Quatre jours, t’es généreux ! renchérit Max. Je ne l’ai pas vu avec autre chose depuis le début des vacances ! C’est-à-dire deux mois !

— Mais qu’est-ce que ça peut vous foutre, bordel ?

— Rien, c’est sûr que tu croules pas sous le linge sale, toi ! ajoute Paulo en s’engageant dans l’escalier du plus grand des toboggans du camping.

— C’est donc ça, votre surprise ?

Je lève la tête pour contempler le sommet, flatté par la pleine lune.

L’excitation de mes frères s’empare de moi tandis que je gravis le gigantesque escalier métallique du toboggan bleu. Mon maillot déchiré sur le côté remonte jusqu’à ma fesse droite et me donne l’allure sexy d’une Miss France le jour de l’élection. La fente s’amplifie à chaque marche que j’escalade.

Une fois au sommet, Paulo me laisse l’honneur de descendre le premier. Je m’assois dans l’eau et me tiens aux rebords.

— Attends ! m’arrête Max en posant sa main sur mon épaule. On y va tous les trois en même temps !

— Surtout, vous ne criez pas, sinon, on va se faire repérer ! nous menace du doigt Paulo, qui commence à flipper.

Dans une telle situation, je n’imagine jamais le pire, sinon je perds tous mes moyens. J’agis comme si tout était normal, en l’occurrence : faire du toboggan dans un camping endormi, sans surveillance, en plein milieu de la nuit…

Paulo s’installe derrière moi, et Max en troisième position.

— C’est parti ! lance Paulo en me bousculant vers l’avant.

— Non, attendez !

Je décide finalement de me mettre à genoux pour m’élancer la tête la première.

— Ho, Ducon, c’est interdit dans ce sens-là ! me reproche Max en me claquant les fesses. T’as pas lu les panneaux ?

— Vous êtes surveillants de baignade ? Non ! je me moque de mes deux abrutis de frères. Et ils ne sont pas là ! Donc, je fais comme je veux ! C’est MON anniversaire !

Aucun d’eux n’ose me contredire. Je me prépare ainsi à plat ventre dans le filet d’eau qui m’invite à partir. Je sens Paulo et Max hésiter, puis finalement, le premier se met à genoux derrière moi pour m’attraper par les chevilles et m’installe la tête vers le bas.

— Max, fais pareil que moi, lui ordonne-t-il pour qu’il nous suive dans notre folie.

Le toboggan est très élevé. Il n’a pas de loopings ou de virages impressionnants, juste un dénivelé très raide, quasiment à pic. Paulo m’a en partie descendu dans le vide pour se faire de la place et je réalise que c’est complètement insensé de se jeter la tête la première… De toute façon, il est trop tard pour revenir en arrière, car je sens mes deux frères me propulser.

Nous prenons rapidement un maximum de vitesse dans la pente abrupte du toboggan géant. J’ai le temps de me protéger en mettant mes deux mains devant moi. Avec la vitesse, j’ai beaucoup de mal à garder la tête hors de l’eau qui filtre autour de nous. Je bois même une ou deux fois la tasse. Je sens les doigts de Paulo toujours agrippées fermement à mes pieds. J’étouffe un cri de joie mêlé à mon angoisse. Mon estomac devient léger et remonte jusqu’à ma gorge avec une sensation soudaine de nausée, mais mon supplice s’achève précipitamment puisque mon cerveau s’éclate d’un coup sec contre la surface dure de l’eau du grand bassin. Le reste de mon corps suit le mouvement et je suis projeté dans les profondeurs de la piscine, étourdi. Les mains de Paulo ont disparu.

Le choc m’a rendu sourd, mais le réflexe de survie est suffisamment intense pour que je donne un bon coup de pied sur le sol carrelé du fond de la piscine. Je sors quasi immédiatement la tête de l’eau pour reprendre ma respiration et chercher mes deux imbéciles de frères qui me sont rentrés dedans au moment de leur chute. Le visage de Paulo apparaît en premier, balançant par la même occasion ses cheveux en arrière. Max remonte également à la surface, essoufflé, en secouant la tête.

Nous regagnons la terrasse, hilares, nous bousculant tous les trois devant les téléphones de mes cousines qui nous filment. Mis à part le groupe de jeunes que nous côtoyons depuis quelques jours et qui vient de nous rejoindre, personne ne bouge aux alentours de la piscine.

Cette chute folle m’a retourné le cerveau.

— On recommence, les gars ?

— Non, on va se faire pécho ! refuse immédiatement Paulo.

— Une autre fois, Paulo a raison ! confirme Max. On s’arrache !

Je suis déçu. Vraiment. Ce ne serait que moi, je passerais la nuit à faire toutes les pirouettes possibles et imaginables sur ce toboggan, comme descendre allongé sur un transat. Cette idée est définitivement fun !

— Paulo, cap ou pas cap de retourner la piscine ? je le provoque en balançant une chaise longue qui coule aussitôt au fond du grand bain.

— Merdeux, t’as toujours des plans à la con ! constate Paulo, hésitant à me suivre dans ma démence.

— T’es pas cap ? je continue en jetant un parasol dans le petit bain.

— Paulo, t’es pas obligé… tente Max pour nous arrêter.

— Cap ! le coupe Paulo en saisissant le coffre de rangement en plastique dans lequel se trouvent toutes les bouées.

Au final, tout y passe, la chaise du maître-nageur, les frites, ballons et matelas gonflables, quelques bains de soleil et parasols…

Une fois l’espace détente délivré de tout le matériel de bronzage et de sport, nous regagnons le portail pour quitter rapidement les lieux.

Nous rejoignons tranquillement notre Q.G., l’aire de jeux pour enfants, en buvant au goulot de quelques bouteilles alcoolisées.

Notre petit groupe ne sait pas se déplacer en silence. Évidemment, bien qu’encore muet, je ne suis pas le dernier à chahuter. Une nouvelle fille vient d’intégrer l’équipe et celle-là, je compte bien la séduire. Je suis conscient d’être ambitieux, elle doit avoir une piètre opinion de moi ce soir. Je dois être réaliste, je parle toujours comme un vieux phoque qui couine et j’ai du vernis rouge explosé aux mains et aux pieds. J’ai essayé de le gratter avec un couteau, mais le résultat est désastreux. Désormais, j’ai un maillot fendu qui laisse entrevoir ma fesse droite pour parfaire mon look actuel.

D’ailleurs mon frère Paulo ne trouve rien de mieux que de m’arracher le peu de short de bain qu’il me reste. En tirant un coup sec, celui-ci cède et me voilà illico presto, totalement à poil, sur les impasses goudronnées du camping. Tout le monde sait qu’il en faut davantage pour me gêner, je l’ai déjà dit, je ne suis pas pudique, et puis maintenant, Popol est connu jusqu’à Nice.

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