Chapitre 50 - 1628*

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Chapitre 50

Contraint et forcé, je me tiens à carreau la journée. Je suis limite attaché à ma tante que je ne quitte pas d’une semelle. Impossible de continuer ma petite guerre avec le voisin qui la reluque de plus en plus. Ça va faire cinq jours que je suis l’ombre de tata, à devoir attendre qu’elle ait fini sa sieste l’après-midi pour bouger, alors qu’elle a déjà ronflé jusqu’à douze heures ! Pour moi qui ne suis pas un grand dormeur, je vis un enfer. Mes frères et mes cousines ont le droit de se rendre à la piscine seuls, pas moi. Ils ont l’autorisation de skater à volonté, de traîner avec nos potes, de sortir jusqu’à vingt-deux heures trente, de boire un coup au bar, d’aller à la plage en navette… Pas moi !

Mais aujourd’hui, alors que tout le monde se prépare pour assister au feu d’artifice de Cannes, elle me fait la surprise de lever enfin ma punition !

— Bon, si tu me promets d’être correct, de ne plus emmerder le voisinage, et d’obéir à tes frères et tes cousines, je veux bien te rendre un peu de liberté !

J’analyse ses paroles avant de m’engager. Je suis le prisonnier de la cellule quatre cent neuf et je reçois une libération sous conditionnelle. Il est clair que je ne vais pas contester, mais ce qu’elle me demande est insupportable ! Être raisonnable, en pleines vacances, alors que ma bande déconne à longueur de journée. C’est comme si l’on me tendait une glace au chocolat avec un supplément de chantilly. Je ne refuserais pas ! Donc oui, j’accepte son contrat, sans lui préciser que j’y ai rajouté quelques clauses faites maison.

— OK, merci ! je réponds en remarquant que ma voix est en train de réapparaître progressivement.

— Tu es prêt ? On part dans cinq minutes, conclut tata en rentrant dans le mobil-home pour réunir tout le monde.

Je saisis la clef de la fourgonnette neuf places pour aller m’asseoir tout au fond, sur la banquette la plus éloignée de ma tante. Clothilde vient s’établir à côté de moi, alors que Laura et mes frères s’installent sur les sièges du milieu. C’est Louise qui pilote. Elle est en conduite accompagnée. D’ailleurs, je trouve qu’elle se débrouille vraiment bien !

— Pourquoi t’as pris ton skate ? me questionne Max. On t’a dit que c’était interdit sur les trottoirs de Cannes !

— Non, mais c’est quoi cette ville de merde où on ne peut pas skater tranquille ?

— Arrête de te plaindre ! me rembarre Laura. On part sur la croisette ! Y a des stars internationales !

— Qu’est-ce qu’on en a à foutre des people !

Je suis complètement indifférent à son argument.

— C’est clair ! approuve Clo en éclatant de rire. On s’en bat les couilles !

— Depuis quand t’as des couilles, toi ? je la questionne en me marrant avec elle.

La deuxième mauvaise surprise de Cannes est l’impossibilité de se garer. Nous sommes au cul à cul avec tous les véhicules de touristes qui, comme nous, souhaitent bouffer au resto et voir le spectacle pyrotechnique.

La Porsche de derrière s’impatiente et colle le pare-chocs de notre fourgon, ce qui met la pression à Louise qui conduit. Étant totalement à l’arrière, avec Clothilde, nous observons le chauffeur de la caisse qui fait le malin derrière ses Ray-Ban aviateur. Il gesticule en levant ses mains au ciel et semble gueuler.

— Il n’est pas content, l’autre con, je fais remarquer à ma tante qui le scrute depuis son rétroviseur.

— Ouais, et bien si ça continue, moi je vais le calmer ! s’égosille tata en baissant la vitre de sa portière. Non, mais pour qui il se prend, ce blaireau ?

Louise est arrêtée à un stop. Pas très à l’aise dans les embouteillages de plus en plus denses, elle n’arrive pas à s’engager. La Porsche se met à klaxonner. C’est le coup de trop. Ma tante passe sa tête par la fenêtre et hurle en direction du flambeur :

— Oh, Ducon ! Tu vois pas que c’est une conduite accompagnée ? T’as jamais appris à conduire, toi ? T’as jamais été jeune ? Non mais tu crois que klaxonner, ça va l’aider à avancer plus vite ? Alors tu fermes ta grande gueule et tu fais comme tout le monde : tu attends !

Mais le gars ne semble pas vouloir se laisser rabaisser ainsi…

— Il détache sa ceinture ! j’informe ma tante. Je crois qu’il va descendre de sa caisse. Je n’ai pas le temps de finir ma phrase que mes deux frères ont déjà sauté à l’extérieur et bloquent la portière du mec, l’empêchant de sortir.

Je ne veux pas être en reste. Je pousse Clothilde dehors pour rejoindre Max et Paulo qui, très calmement, recadrent le petit Cannois prétentieux qui ose à peine entrouvrir sa fenêtre de peur de se prendre un mauvais coup.

— Tu vas la fermer, ta grande bouche, oui ? le menace Paulo.

Paulo est du genre bagarreur. Il ne se laisse jamais marcher sur les pieds. Il a tendance à tout régler avec ses poings, ce qui lui vaut pas mal d’ennuis au lycée. Comme il est très grand, avec ses un mètre quatre-vingt-dix, et baraqué, il impressionne vite l’adversaire. Max, bien que plus calme, est toujours le premier à le défendre.

— Nous, on te refait ta caisse ! enchaîne Max qui appuie ses deux bras sur le toit de la voiture.

— Tu comprends ce que je te dis ou pas ? dit Paulo, enflammé.

— Je t’emmerde, sale con ! tente de placer, sans grande assurance, le crétin.

— Ouais, et bien tu vas pas m’emmerder longtemps, s’énerve Paulo qui entreprend de remuer la Porsche tout en bloquant la portière.

Je me mets côté passager et j’aide Paulo à malmener la bagnole dans tous les sens, en appuyant à chaque à-coup, ce qui commence à faire flipper le conducteur.

— Oh, oh, oh ! C’est bon, les jeunes !

— C’est bon, quoi ? l’interroge Paulo en me faisant signe de m’arrêter.

Je m’emballe toujours, j’étais parti pour soulever la voiture et la retourner… Non, peut-être pas, mais je trouvais ça bien d’agiter une Porsche comme on secoue son Orangina !

— Bah, oui, c’est bon ! répète le connard. On a compris !

— J’espère bien que tu as compris, Ducon, et que tu vas arrêter de nous coller au cul ! lui rétorque Paulo en lâchant la portière.

Une fois que nous sommes tous remontés à l’intérieur du fourgon, Max m’interpelle :

— Tonio ? T’es parti en maillot ?

Je ne saisis pas ce qu’il demande. Je rattache ma ceinture sur mon torse nu.

— Quoi ?

— On va bouffer au resto ! me fait-il remarquer. T’as pris un truc pour t’habiller ?

— Mais, il fait super chaud, j’en ai pas besoin ! je râle en haussant les épaules.

Max est toujours tiré à quatre épingles. Pour se rendre au feu d’artifice et manger à l’extérieur, il nous a sorti son pantalon bleu marine Ralph Lauren et son polo blanc. Une vraie gravure de mode, et puis, à côté, il y a moi, avec ma vieille paire de Converse noires et mon short de bain turquoise. Je n’ai même pas de haut, puisqu’il fait trente-cinq degrés.

— Tonio, me demande ma tante. Ne me dis pas que tu n’as pas au moins un T-shirt à te mettre ?

J’hésite à lui répondre franchement et je fais semblant de chercher sur le siège à côté de moi ce que je n’ai pas. C’est sûr qu’elle va encore me sermonner et probablement me punir à nouveau. J’y peux rien pourtant, ce n’est pas une nécessité de se vêtir avec une chaleur pareille.

— Mais je t’ai demandé avant de partir si tu étais prêt, et tu m’as affirmé que oui.

Ma tante s’est retournée et comme tous les autres passagers, elle me fixe.

— J’étais habillé, c’est l’été ! Il fait chaud ! Un maillot me suffit.

— Tonio, on est à Cannes ! insiste-t-elle désespérée. Aucun restaurant ne va t’accepter torse nu !

— Bah, on fait comment ?

Je ne comprends vraiment pas où est le problème. Torse nu, torse nu, mais moi, je passe ma vie comme ça ! Ma tante commence à gigoter à l’avant du fourgon. Elle lève le bras droit puis le gauche, se dandine encore et finit par retirer un semblant de tissu orange qu’elle me balance à l’arrière.

— Tu n’as qu’à enfiler le débardeur que j’avais sous ma chemise !

Je réceptionne et déroule son textile froissé. Je le porte à mon nez pour sentir son puissant parfum de vieille.

— Hey, mais je mets pas ça, moi ! je me révolte aussitôt en découvrant l’horreur. C’est en dentelle, c’est pour les femmes !

— Non, mais mon coco, je ne te laisse pas le choix ! La prochaine fois, tu penseras à t’habiller !

Afin de clore la conversation, ma tante me tourne brusquement le dos. Me voilà en train d’enfiler son marcel orange fluo en tissu ajouré pour arpenter La Croisette de Cannes. Je venais juste de me débarrasser de mes ongles rouges ! C’est beau, un mec en débardeur, avec du poil sous les bras…

Bien évidemment, je deviens la risée de toute ma tribu qui me surnomme désormais Toniotte. Je dois avouer que j’aime bien être l’attention principale du groupe, et cette tenue me permet d’en rajouter.

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