Chapitre 48 - 1388*

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Chapitre 48

Tu es partie et aujourd’hui, c’est l’anniversaire de ta mort, si peu de jours avant mon propre anniversaire… Quelle ironie du sort ! Je prends conscience que j’ai survécu jusque là, sans ta présence, mais rien ne peut combler le vide que tu as laissé. Le déchirement et le chagrin font désormais partie de moi, tu me manques tellement.

L’an dernier, j’étais resté un mois privé de ma voix, sans être capable d'émettre le moindre son. Il paraît que c’est dû au traumatisme de ton départ, si brutal et inattendu. J’espère que cette fois-ci, ça durera moins longtemps. Il faut juste que j’arrive à franchir cette putain de journée. Il ne s’agit que d’une petite date banale qui reviendra tous les trois cent soixante-cinq jours. Ça ne devrait pas être insurmontable, bordel !

Paulo vient s’allonger à côté de moi sur le sol, dans la chambre de notre tente. Nous restons quelques instants muets, à regarder le plafond de la moustiquaire tandis que je serre les dents pour ne pas lâcher la moindre larme.

S’il croit que je vais rompre le silence, il se fourre le doigt dans l’œil ! C’est lui qui a choisi de me suivre, il n’a qu’à parler. Et puis de toutes les manières, je n’ai plus de voix ! Maintenant, c’est Max pointe le bout de son nez. Calmement, il enjambe Paulo, puis moi, et vient se coller contre la toile qui menace de s’effondrer.

C’est une chambre pour deux, pas pour trois ! Nous sommes serrés tous les trois les uns contre les autres dans ce cocon inconfortable et étouffant, et pourtant bien douillet en cet instant. Encadré par l’amour fraternel que ces deux abrutis me témoignent aujourd’hui par leur simple présence, je survis, grâce à eux. Ils ne sont pas débordants d’affection, et tant mieux, mais ils sont là, attentifs. Paulo est même plutôt bon pour déceler la tristesse qui me ronge parfois. Je culpabilise de ne pas leur rendre cette délicatesse, en tant que petit dernier bien égoïste qui se concentre sur sa propre douleur.

— Ça va ? demande Max, inquiet, en nous regardant tous les deux.

Et je ne trouve rien d’autre à faire que d’éclater de rire nerveusement, en observant leurs visages soucieux.

— T’es trop con, toi ! m’insulte Paulo en se tournant sur le côté pour mieux nous voir.

— Quoi ? je le questionne presque aphone, tout en fixant le ciel de la tente.

Je n’ai pas envie de regarder mes frères, je crains d’être de nouveau débordé par mes émotions.

— Ce matin, tu pouvais pas rester tranquille et fermer ta gueule, pour une fois ?

— Bah non !

Je soupire et je me mords l’intérieur de la bouche pour ne pas rire trop fort. Je repense à l’autre connard qui fait du rentre-dedans à ma tante.

— J’ai eu une idée pour ton anniversaire, mais c’est pas le moment d’attirer l’attention de tata sur nous ! Alors, essaie de rester un peu discret…

— C’est pour le truc que tu m’as dit ? interroge Max en rigolant.

Les yeux pétillants, il se redresse pour frapper avec complicité dans la main de Paulo qui approuve en arquant les sourcils.

— Dites-moi !

— Non, refuse Paulo en me tapotant le ventre affectueusement. Tu verras ça dans deux jours ! C’est une surprise.

— Rho, j’aime pas les surprises…

Je soupire et lève les yeux au ciel. Je ne suis pas du tout patient.

— Tu ne seras pas déçu, me rassure Paulo en s’agitant pour sortir de la tente le premier.

Il saisit sa serviette et nous invite à aller à la piscine où nous passons une grande partie de la journée.

Vers minuit, nous recommençons le même rituel que le soir précédent. Le camping est calme, et mes frères et moi sommes complètement excités par l’idée de cette escapade illégale. Nous sommes parvenus à convaincre nos cousines de se joindre à nous, et elles se révèlent être à la hauteur du défi. Elles ont réussi à sortir du mobil-home sans réveiller ma tante qui ronflait. Nous retrouvons à l’aire de jeux la petite bande de jeunes.

Rapidement, je tombe sous le charme d’Alice, l’une des filles les plus âgées. C’est une jolie blonde, assez franche et naturelle. Toujours direct, j’affiche très tôt ma faiblesse pour ses beaux yeux bleus, en m’asseyant tout près d’elle. Sans filtre, je lui fais la conversation.

— Et sinon, t’as un mec ?

Je me rends compte que je lui rentre dedans trop vite. Ma question la surprend et la fait sourire, d’autant plus que je suis obligé de forcer sur ma voix encore absente. Mais au moins, je saurai à quoi m’en tenir. Si elle répond que non, je continue la conversation, et si elle me réplique que oui, je me rabats sur sa pote…

— T’es plutôt brut de décoffrage, toi ! se rebelle-t-elle en éclatant de rire.

Elle découvre dans la pénombre toutes ses dents parfaitement alignées, ce qui finit de me séduire.

— Dis-moi !

J’insiste, amusé qu’elle pose sa main sur mon épaule pour me chuchoter à l’oreille :

— T’as quel âge ?

Elle me le demande si bas qu’au final, je peux lui raconter n’importe quoi… Personne ne saura. Je décide donc de lui mentir. Après tout, c’est pour la bonne cause.

— Seize !

— J’en ai dix-sept ! se vante-t-elle en me toisant.

— J’aime les vieilles !

Le contact est plutôt bien établi. Je me rapproche un peu plus pour continuer notre conversation.

— Je suis célibataire, lâche-t-elle à haute voix en direction de Paulo qui lui retourne son plus beau sourire en recrachant la fumée de sa cigarette.

Bordel de merde. Je crois rêver. J’ai l’impression d’assister à un coup de foudre. Tant qu’ils y sont, ils ont qu’à baiser direct.

— Paulo, Action ou Vérité ? je lance pour rompre le charme.

S’il s’imagine qu’il va me piquer la meuf que j’ai choisie pour mes vacances.

— Vérité ! me lâche ce dégonflé en continuant de faire de l’œil à Alice.

— Quel est le dernier SMS que tu as envoyé à Sophie, aujourd’hui ?

Paulo est scié, cassé en plein mode séduction. Il me fusille du regard. Bah ouais, blaireau ! C’est les vacances et toi et Max, vous avez tous les deux une meuf à la maison.... Je me passe mon majeur sous le nez pour l’achever.

— Euuhhh ! commence-t-il en se raclant la gorge.

— Max, lis pour lui, on sait jamais, il est capable d’inventer !

Ce dernier, assis à côté de lui se penche sur l’écran, mais Paulo se recule pour l’empêcher de voir. J’en déduis qu’il a des choses intéressantes à cacher.

— Non, c’est bon, je suis pas comme ça ! se vante mon aîné. Donc, en fait, c’est une photo…

— Ah, une photo de quoi ? questionne Clothilde aussi curieuse que moi.

Nous échangeons un regard entendu. Elle sait que j’ai l’habitude de fouiller les téléphones de mes frères.

— De moi ! avoue Paulo en faisant circuler son portable.

— De toi, comment ?

Ma cousine est une véritable fouine. Comme moi, elle espère que le cliché est embarrassant. Mais non, pas du tout, c’est juste Paulo, tout beau et bronzé, bien photogénique, qui sourit bêtement.

— Bah, lis ton message d’avant !

Je tiens vraiment à le ridiculiser. Après avoir longuement soupiré, Paulo cherche à nouveau dans son téléphone.

— Oh, t’es chiant ! bougonne-t-il. Bonne nuit ma chérie. Je t’aime. Voilà !

Il hausse les épaules en soutenant le regard d’Alice qui ne réagit pas. Pour détourner leur attention, je saisis un petit caillou par terre et je le jette dans la direction de Paulo qui le rattrape au vol.

— T’es même pas romantique ! je lui reproche.

— Parce que tu l’es, toi ? Tonio, Action ou Vérité !

— Moi, toujours Action ! je fais, sûr de moi, me frappant le torse avec force.

— Tu dois te vernir les ongles des mains et des pieds pendant vingt-quatre heures !

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