Chapitre 26 - 2018*

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Chapitre 26

Lorsque la musique s’arrête, je suis essoufflé et j’ai la tête qui tourne. Paulo est déjà en train de s’envoyer une rasade de rhum cul sec. J’en déduis que sa dispute avec Sophie doit être sacrément sérieuse. J’adore quand il se met dans cet état, ça part toujours en couille, ce n’est pas mon frère pour rien ! Jimmy et Dylan s’éclipsent pour fumer dans leur coin, pendant qu’Agathe, installée sur un canapé, sermonne Max au sujet des dégâts qu’il a causés un peu partout. Tout le monde est occupé, sauf la petite Mégane qui semble sérieusement s’ennuyer. J’attrape la vodka orange et la lui tends en m’asseyant entre elle et Agathe. Il ne faut jamais baisser les bras, toujours persévérer. Mégane me regarde du coin de l’œil et accepte la bouteille sans rien dire. Je prends ça comme un signe d’approbation et j’essaie de trouver un truc intéressant pour lancer la discussion.

— T’es belle !

À ce moment précis, rien d’autre ne me vient vraiment à l’esprit, à part une formule mathématique et ce compliment totalement con, mais véridique…

— Ta gueule, Speed ! m’interrompt-elle aussitôt. Tu perds encore des points dans mon estime !

— Et j’ai atteint quel score ?

Je la taquine avec mon petit sourire en coin. J’aime bien embêter mes amis, je pense même que je suis né pour les emmerder. Je ne m’ennuie jamais, par contre, qu’est-ce que je peux ennuyer les autres…

— Tu es déplorable, crache-t-elle calmement en buvant une gorgée de ma bouteille. Je préférerais encore sortir avec Ashton qui vient de gerber qu’avec toi et ton air supérieur qui font chier tout le monde.

Au moins, c’est clair de sa part ! J’observe sa bouche pulpeuse et ses dents alignées qu’elle découvre en articulant sa phrase. Les dents… C’est tellement obsessionnel chez moi ! Mon orthodontiste m’a traumatisé. C’était un bourreau perfectionniste qui m’a torturé pendant deux ans avec des bagues en haut et en bas. Un jour, il m’a fait si mal, cet abruti, que je l’ai mordu !

Je tente une approche pour embrasser Mégane tandis que nous nous envoyons des piques en nous observant. Bien qu’ivre, je vois dans ses yeux les signaux qu’elle me lance. Elle joue avec une mèche de cheveux en se caressant les lèvres. Son regard cherche à me sonder. Je continue de la taquiner pour essayer de la séduire. Quand une fille me plaît, je n’ai pas peur de me faire rembarrer.

— J’espère que je suis suffisamment bourré pour ne jamais me souvenir du râteau que tu es en train de me mettre !

— T’inquiète, si tu ne t’en rappelles pas, je me chargerai de te rafraîchir la mémoire !

— Super, sinon, tu peux me repasser ma bouteille ? je lui demande en tendant ma main. Je n’ai plus qu’elle à galocher ce soir !

Au moment où je prononce ces mots, Ashton arrive en courant dans notre QG, suivi de deux autres lycéens affolés.

— Bordel ! Les gars, il y a une voiture qui vient de se garer en bas du château !

— T’es sûr ? demande Agathe inquiète.

— Oui !

— Ouvre le volet doucement ! ordonne Jimmy à Dylan.

— Éteignez toutes les bougies, fait Max.

Tout le monde est pris de panique et je n’arrive pas à retenir au fond de moi le fou rire qui me secoue en les observant.

— Mais ta gueule, Speed ! gronde Paulo.

— Oh, putain ! C’est trop drôle ! C’est vos têtes qui me font marrer !

Je les vois tous morts de peur. Certains sont tétanisés et scrutent l’extérieur entre deux volets alors que les autres s’affolent en soufflant sur toutes les chandelles…

— Chut ! râle Agathe en me foudroyant du regard.

— Oh, c’est bon, ils vont pas nous faire un deuxième trou au cul !

Je suis affalé sur mon canapé qui sent la poussière et je me tords de rire.

— Ta gueule ! renchérit-elle. Max, dis à ton frère de la fermer, bordel !

— Tonio ! Ferme-la !

— Je la ferme si Agathe me le demande poliment et gentiment !

Je les taquine, toujours hilare, en me tenant le ventre avec les mains.

— Chuuut ! nous impose Ashton. Les mecs sont rentrés !

— S’ils sont rentrés, on est cuits, les gars !

J’explose de rire de plus belle.

— Mais ferme-la ! gémit Mégane en me frappant sur la cuisse.

— Quoi ? je la questionne. Tu veux qu’on descende comment ? On est faits comme des rats !

— Tonio, s’il te plaît ! me supplie Agathe.

Je soupire un grand coup et attends patiemment comme tous les autres dans le silence, sans bouger.

Sans bouger ? Non, pas vraiment, car je ne sais pas rester immobile. Je commence donc à allumer et éteindre mon briquet, de manière régulière. Jour, nuit… Jour, nuit… Jour, nuit… Le bruit de pas résonne, monte d’un étage. Ils semblent être justes au-dessous du nôtre. Jour, nuit… Jour, nuit… Jour, nuit… Personne ne me reproche quoi que ce soit et ça me déclenche à nouveau une crise de rire jusqu’à ce que Mégane me redonne une tape. Elle paraît vraiment anxieuse. J’emprisonne sa main avec la mienne contre ma cuisse et elle ne tente pas de la retirer. Je sais pertinemment que ce n’est pas pour céder à mes avances, mais simplement pour chercher à neutraliser le briquet que je tiens.

— Il y a quelqu’un là-haut ? questionne un des intrus.

Personne ne bouge et pas une latte du vieux parquet ne craque. Je serre mon briquet plus fort et Mégane essaie de me l’extirper avec ses ongles. Sa façon de gérer le stress est tellement opposée à la mienne, et mon cerveau est si embrouillé, que cela devient un jeu pour moi. Je me rapproche un peu plus d’elle et l’enveloppe de mes bras.

— Speed, arrête ! chuchote-t-elle contrariée, ce qui évidemment m’amuse.

— Chut, je lui souffle à l’oreille.

— Speed, t’es chiant !

— Je sais, tout le monde me le répète tout le temps !

— Chut, fait-elle en s’immobilisant brusquement.

Nous restons comme ça figés et enlacés, sa main toujours prisonnière de la mienne sur mon briquet. J’adorerais lire dans ses pensées et connaître ce qu’elle ressent pour moi. À force d’entendre les autres dire qu’elle me kiffe, je me pose des questions. Peut-être que je lui plais vraiment. Je la devine de moins en moins tendue contre moi, mais je ne bouge pas. J’aime bien être proche d’elle ou des filles en règle générale. Leur contact me rassure et m’apaise.

— Nous savons qu’il y a du monde là-haut ! Nous vous laissons cinq minutes pour descendre !

Mégane s’effondre contre moi et je sens son cœur battre contre mon torse. Dommage que je sois bourré ! Ils tombent mal ces gars qui tapent l’incruste en se prenant pour les justiciers du château… J’aurais pu pécho ce soir.

— Faut y aller, craque Jimmy.

— On est coincés de toute façon, approuve Ashton.

— OK, c’est parti, commence Max en se plaçant le premier en haut des escaliers, prêt à descendre.

J’allume mon portable et découvre Paulo ivre mort à côté de moi. Mon fou rire revient en imaginant la tête que mon père va faire lorsqu’on va rentrer. Mégane s’agrippe à moi quand je me lève et sa main ne quitte pas la mienne, elle doit vraiment avoir la trouille… Paulo tangue et se redresse ; nous descendons les escaliers en pierre, tous en file indienne.

Deux rayons de torches nous aveuglent. Je m’engage le dernier les marches, avec Mégane qui flippe comme une malade accrochée à mon bras. Paulo ne tient pas debout et moi, j’ai les idées plutôt embrumées. Deux gars de mon village que je connais bien nous font aligner contre le mur du couloir. Ils se prennent véritablement pour des flics, le plus jeune nous menace même avec un revolver en tremblant. Ils ont dû entendre le raffut que l’on faisait pendant le pogo et penser qu’ils avaient affaire à des cambrioleurs.

— Vous savez que vous êtes dans une propriété privée ? demande le gros moustachu.

Ils n’ont pas l’air très futés. Le petit brun aux cheveux gras a vraiment une allure de truand avec son blouson en cuir noir, sa boucle d’oreille et ses tatouages sur chaque doigt. Le plus grand n’est guère mieux, il est impressionnant par sa corpulence, très musclé et son regard de tueur nous détaille tous les uns après les autres.

Aucun des quinze lycéens n’ose répondre. Le silence s’installe et les deux hommes échangent un coup d’œil. Le plus petit range son pistolet dans la poche de sa veste, son air paniqué disparaît.

— Bon, il semblerait que vous soyez tous mineurs… Qu’est-ce que vous foutiez là ?

— Rien, on visitait ! tente d’articuler Paulo à moitié avachi sur la dernière marche de l’escalier.

— Toi, tu ferais bien d’éviter de faire le malin ! tranche aussitôt l’un des deux perturbateurs de notre super soirée. Ça ne m’étonne pas que les fils Arand soient de la partie !

— Les fils Arand, tu sais ce qu’ils te disent ! j’ajoute immédiatement pour prendre la défense de mon frère.

— Tonio, arrête, bordel ! me coupe Max en m’assassinant du regard.

— Quoi ?

Énervé par les deux cow-boys qui attaquent ma famille, je provoque mon frère, pendant que Mégane me secoue pour m’obliger à abandonner.

— Tais-toi ! intervient Max alors qu’il me fait les gros yeux.

Mais je ne compte pas me laisser impressionner, malgré la situation qui ne joue pas en notre faveur. Les deux faisceaux lumineux de nos geôliers éclairent le corridor. Chaque son émis résonne dans le château désormais trop silencieux.

— On va prendre vos noms et on les donnera aux propriétaires, poursuit l’un des deux individus. Il verra s’il porte plainte ou non !

— Ah, Jimmy, le fils du maire, pas étonnant non plus ! se moque « la moustache » qui arrête le rayon de sa torche dans la gueule de mon pote.

— Tout le gratin est réuni, ici !

Les deux gars s’autocongratulent de leur prise et affichent un sourire satisfait.

— Je t’emmerde, fait Jimmy qui se dirige soudain vers la sortie, tout en faisant un doigt aux deux mecs.

J’explose de rire en le voyant faire, alors que Mégane me pince. Sacré Jimmy ! J’ai tellement envie de faire comme lui.

— Toi, tu la fermes ! me menace l’un des gars.

— Sinon, tu me tires dessus avec ton jouet ?

Après tout, je peux le provoquer. Car si ça se trouve, il n’a pas d’autorisation de détention d’armes, et puis il n’est ni policier, ni gendarme, ni le propriétaire des lieux…

— Bon, on va se calmer, on prend juste vos noms et vous déguerpissez ! nous rassure le moustachu qui sent que ça va tourner au vinaigre.

Nos noms ? Je me dis qu’ils ont le mien, du coup je me dégage de l’emprise de Mégane pour me casser tranquillement à la suite de Jimmy.

Dehors, nous nous asseyons tous les deux pour fumer une cigarette contre un muret en pierre, face à la vieille bâtisse abandonnée, en attendant que tous les autres sortent. La lune gibbeuse nous laisse apercevoir deux chauves-souris qui tournoient au-dessus de nos têtes. Leurs rondes régulières dans le ciel sont fascinantes. Alors que je respire l’air frais, je reprends petit à petit mes esprits.

— Faut qu’on y retourne chercher tout le matos !

— J’ai ma chaîne là-haut et mes clopes ! me répond Jim.

— Y a que ça de toute façon ?

— Ouais, après y a que des cadavres de bouteilles et des mégots ! fait-il en soulevant les épaules pour signifier que l’on s’en fout.

— On décuve et on avise demain, non ?

— T’as raison !

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