Chapitre 25 - 1846 -

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Chapitre 25

Ce soir encore, nous retournons dans l’ancien château. Au fil des visites, le petit groupe du départ s’agrandit et le modeste salon du haut n’arrive plus à contenir tout le monde. Nous avons déplacé les vieux canapés au milieu de l’immense grenier, ainsi que quelques matelas trouvés dans les chambres. Cela fait une salle sympa, éclairée par de nombreuses bougies. Le plafond mansardé permet d’apercevoir la magnifique charpente en bois avec ses poutres probablement centenaires. Les planchers, bien que très poussiéreux sont en bon état. Nous pouvons aisément courir et sauter dessus sans risquer de passer au travers. D’ici, nous avons une vue à 360 degrés sur l’extérieur, mais pour éviter de nous faire remarquer, nous laissons les seize fenêtres et volets fermés.

Cet endroit chargé d’histoire devient notre QG. Les lycéens vont et viennent en attendant les résultats du bac. Ce soir, nous avons mis la musique et je subis une véritable torture en entendant les paroles des chanteurs à la mode. Il y en a un, en particulier, qui a sorti son nouvel album et qui suscite l’unanimité auprès de la gent féminine avec son costard rose et sa coupe imitation surfeur des années 80, c’est Harry Styles. Je vais d’ailleurs m’abstenir de critiquer tout haut son clip raté de Sign of the times, dans lequel il nous produit l’effet d’un mauvais superhéros avec un trucage bidon… Bref, Marion kiffe et moi je meurs.

Il est minuit passé quand mes deux frères créent la surprise en débarquant avec leurs tendres conquêtes. Agathe me dit à peine bonjour depuis la séance du Cap ou pas Cap et ça me donne le fou rire.

— Pourquoi tu ris en regardant ton ancienne crush, me questionne Marion alors que je m’étrangle avec une gorgée de vodka orange.

— Je suis en train de penser à un jeu qu’on pourrait faire !

— Quoi ?

J’ai beaucoup de mal à répondre à mon amie. Je tousse et me tords de rire à la fois, complètement affalé sur un divan qui pue la poussière. Marion, assise contre moi, me tape dans le dos pour m’aider à respirer quand j’arrive enfin à lui exprimer mon idée :

— Un poker !

— Tu veux jouer aux cartes ?

— On pourrait faire un poker déshabilleur ! je m’esclaffe en imaginant Agathe à poil.

— Non, mais t’es complètement bourré ! Tes frères vont te tuer !

Je lève un œil vers eux, un peu inquiet, s’il découvre l’état d’ivresse dans lequel je me suis engouffré. Finalement, je me rends compte qu’ils sont tous les deux occupés à trinquer avec leurs coéquipiers de rugby. Je suis stupéfait de constater qu’ils n’en ont absolument rien à cirer de moi et cela m’arrange terriblement. Cette nuit, je m’autorise à franchir toutes les limites. Contrairement à eux, Marion s’énerve et me secoue en s’agrippant à mon T-shirt pour me faire réagir.

— Tais-toi ! Change de musique, ça pue, ton truc ! je lui ordonne en détachant ses mains de moi.

— Change de musique toi-même, me rétorque-t-elle. Et arrête de boire, c’est n’importe quoi !

Elle s’écarte de moi, contrariée. Pour me provoquer, elle monte le son de sa merde qui me donne le cafard. Elle reste plantée derrière la sono à me défier du regard. Finalement, je capitule et je décide de me lever pour rejoindre Jimmy et Dylan qui doivent être en train de se défoncer dans un coin du château. Pour une fois que je n’ai pas mes frères sur le dos, il n’est pas question que je me laisse enquiquiner par ma pote prude et sage comme une image. Je compte bien profiter de cette liberté nouvelle et totale qui s’offre à moi pour la nuit.

Je titube sur le plancher qui tangue sous mes chaussures. Je m’aide de mes mains pour longer les cloisons, car j’ai beaucoup de mal à me repérer dans le noir à cause de tout l’alcool que j’ai avalé.

— Hey mec ! m’interpelle Jimmy, assis avec Dylan contre un mur au fond d’un couloir. Oh bordel, tu t’es mis minable, ce soir !

— Ouais !

Je rigole en m’affalant par terre contre lui. Je ne parviens pas à garder les yeux ouverts, ce qui n’est pas vraiment essentiel, étant donné l’obscurité. Je hume l’odeur de la weed qui se dégage du joint de mes amis.

— Paulo va te tuer s’il te voit !

— M’en fous !

— Tu devrais arrêter de boire, pour dessaouler un peu !

Je tire une énorme bouffée sur le pétard qu’il me tend. Cette nuit, j’ai décidé que j’étais libre ! Libre d’agir comme je le désire, car je n’ai personne sur le dos. Aucun de mes frères ne me privera de mes droits ce soir, ils sont occupés ailleurs.

Entouré de mes potes qui se retournent la tête, je sombre dans les vapeurs de la beuh. Les basses de la musique cognent dans ma poitrine, la fête bat sont plein, tout est réuni pour que je passe un excellent moment porté par l’effervescence ambiante.

Je n’ai de comptes à rendre à personne, cette soirée est juste parfaite. Plus rien n’a d’importance, je rentre dans une mécanique où je n’arrive plus à dire autre chose que :

— M’en fous !

— Oh putain, Speed ! T’es défoncé grave ! se marre désormais Dylan.

— M’en fous !

Mes deux amis ne savent pas vraiment s’ils doivent me prendre au sérieux ou si je me moque d’eux. Les voir ainsi, inquiets pour moi, me donne un fou rire ingérable.

— Bon, ok ! T’as pas envie de gerber, au moins ? s’affole Jimmy.

— Non, ça va ! je marmonne en mimant une nausée les deux mains sur ma bouche.

— T’es con, rit Dylan.

Marion débarque dans la pièce pour m’annoncer :

— Tonio, je dois rentrer ! Ma sœur s’est engueulée avec Paulo ! Elle veut partir, du coup !

— Non ?

Je rigole de plus belle, en imaginant le couple se déchirer pour je ne sais quelle raison.

— Bon, de toute façon, tu t’en fous, t’es bourré ! me reproche-t-elle.

— Ouais ! Mais tu t’en vas pas, je la supplie en lui prenant la main.

— Si Sophie rentre, je rentre, j’ai pas le choix ! À demain !

— Attends !

Je l’attire contre moi et elle se baisse pour être à ma hauteur.

— Quoi ? dit-elle en coinçant ses cheveux derrière ses oreilles.

— Fais-moi un bisou !

— T’es bourré !

— M’en fous !

Je tends mes lèvres vers sa bouche. J’ai terriblement envie de ce baiser, maintenant. J’ai besoin de prouver aux autres que des filles s’intéressent à moi. Je veux leur montrer que je ne suis pas le petit puceau dont ils se moquent. J’en profite au passage pour exaspérer Jimmy et le rendre jaloux.

Et puis, au fond, cela me rassure de savoir que je plais à Marion. Je m’accroche à elle, sans la quitter des yeux, pour le lui faire comprendre.

— Il bloque là-dessus ! intervient Jimmy en haussant les épaules. Il n’arrête pas de dire « m’en fous » !

— Marion, allez ! Fais-moi un bisou !

D’une main, je tourne son visage vers le mien et Marion finit par craquer. Elle me colle un smack rapide. J’aspire sa lèvre inférieure pour savourer ce bisou et lance un sourire narquois à mes deux potes qui n’en reviennent pas.

— Toi, t’es un malin, commente Jimmy en tirant sur son pétard.

— Au fait, Paulo se bourre la gueule, donc il devrait pas trop t’emmerder ! m’informe Marion.

— M’en fous !

— Super ! me félicite Marion, le pouce levé. Salut !

Elle fait une moue réprobatrice avant de s’échapper.

— T’es trop con, Speed ! me reproche Dylan qui lance un sourire désolé à Marion.

— M’en fous !

— Bon, moi je me casse, ajoute Jimmy. T’es trop chiant quand t’es comme ça !

— Je suis en manque d’affection, les gars !

Je souhaiterais les retenir pour continuer à les emmerder un peu… Dylan fronce les sourcils en se retournant sur moi. Il apprécie Marion et a de l’admiration pour elle. Marion est différente de la majorité des filles. Elle n’a jamais embrassé d’autres mecs que moi et elle n’a pas honte de clamer haut et fort qu’elle ne sortira qu’avec le garçon qu’elle aime. Il me trouve probablement injuste avec elle. Mais je suis tellement ivre que je ne me rends compte de rien.

Jimmy se lève pour s’apprêter à rejoindre le groupe.

— Va te taper Mégane, il paraît qu’elle te kiffe ! se fout de moi Dylan.

— Depuis mon mot tendre, elle me parle même plus ! Hey, les gars, vous voulez pas faire un pogo ? je propose en m’accrochant au mur pour m’aider à me mettre debout.

La soirée me semble tellement triste et molle alors que pour une fois je n’ai pas de chaperon. C’est trop chiant ! J’ai besoin de bouger, sinon je vais continuer à me défoncer.

— Oh, putain ! Vas-y ! On monte le son à fond ! Ça va exploser sa mère ! approuve Dylan qui sort son iPhone pour chercher un truc qui déchire.

Nous finissons par nous mettre d’accord sur The Trooper d’Iron Maiden. J’augmente le volume de la mini-chaîne au maximum, puis Jimmy, Dylan et moi commençons à sauter partout en nous rentrant dedans au son de la musique. Nous sommes très vite rejoints par la plupart des mecs présents à la soirée. C’est un jeu très masculin et les filles s’écartent de nous, car elles ont peur de prendre un mauvais coup. Même si je ne suis pas le plus petit en taille, j’avoue que je ne suis pas le plus costaud et je m’envoie bouler plusieurs fois contre les murs ou dans un canapé, mais c’est trop bon. La musique violente et le rythme agressif me font tout oublier.

Paulo est totalement saoul. Lui qui d’habitude défonce tout le monde par sa force, roule par terre au moindre coup. Les autres en profitent et je me marre. Le pogo dure le toute la chanson. Jimmy, en poussant Dylan un peu fort, explose une porte, et Max, qui mime un guitariste avec un manche à balai, casse tout sur son passage : quelques vitres, une glace et un magnifique lustre. Ça fait un bout de temps que je ne l’ai pas observé dans cet état et n’en reviens pas qu’il se lâche ainsi. Je suis heureux de le voir reprendre vie, j’ai envie de partager sa joie et décide de me joindre à sa folie dévastatrice. Je démarre avec lui une course poursuite frénétique sur les canapés, sans me soucier des gens assis qui râlent et n’hésitent pas à nous mettre des coups.

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