Chapitre 21 - 1852*

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Chapitre 21

Plus tard, en début d’après-midi, je décide de rendre visite à Marion. Cette dernière me fait la tête à cause de ma réaction après notre tentative avortée, d’autant plus qu’entre temps, elle a appris par Jimmy que j’avais embrassé Dakota. Elle est toute seule chez elle et m’ouvre froidement la porte.

— Salut, tu veux quoi ? m’accueille-t-elle avec réserve.

Son attitude glaciale contraste avec la température extérieure : quarante degrés au soleil.

— Salut, je viens te gratter l’amitié !

Je lui décoche mon sourire charmeur qui la fait quelque peu craquer.

— T’en as pas marre ? soupire-t-elle.

— De quoi ?

— De m’emmerder ?

— C’était con ! Excuse-moi ! Je t’ai apporté des cerises pour me faire pardonner, je réplique en gardant pour moi le fait que je les ai piquées à mon voisin.

Je lui dirai quand elle les aura toutes englouties…

— Je suis à la piscine, tu viens ? me propose-t-elle.

Marion choisit de croquer les plus rouges du panier. Elle les trie méthodiquement par taille et par couleur. Je l’observe se régaler et sa bouche qui commence à se teinter me rappelle le baiser que nous avons échangé.

— Tu as vu, ce sont des bigarreaux !

En lui vantant les qualités de ces fruits, je repense à ma virée nocturne avec mes frères. Cela m’a fait plaisir qu’ils m’intègrent à leur bêtise et que notre relation ne s’arrête pas aux vannes que nous nous balançons régulièrement. J’aimerais les accompagner plus souvent, mais ils ont tendance à m'écarter de leurs loisirs par tous les moyens.

— De quoi ?

— Les cerises ! Ce sont les meilleures !

— Ouais, elles sont super bonnes ! me répond Marion la bouche pleine.

Elle s’installe sur sa chaise longue au bord de la piscine pour parler de tout et de rien, mais surtout de Dakota. Marion se détend au fil de la conversation. Nous chahutons même dans l’eau pour nous rafraîchir.

J’attends le dernier moment pour lui révéler ma petite escapade de cette nuit. Si je ne lui dis pas, elle l’apprendra forcément par sa sœur qui l’aura elle-même su de Paulo…

— Il faut que je rentre ! je lance à Marion en fin d’après-midi. Tu viendras surfer demain avec moi ?

— Non, pas demain ! J’ai des trucs à faire avec ma mère.

Les parents de Marion sont très présents dans sa vie. Leur famille est vraiment soudée. Ils passent beaucoup de temps ensemble. Même s’ils lui laissent beaucoup de liberté, elle doit rendre des comptes et justifier ses sorties. Elle a toujours des heures pour rentrer le soir et doit spécifier où et avec qui elle est. Son père est le médecin généraliste du village, et sa mère l’assiste. Ils connaissent tout le monde. Ils m’ont vu grandir.

— Tu les feras plus tard ! J’y vais avec Max, Jimmy et Dylan ! Sérieux, Marion, c’est les vacances ! On peut surfer tous les jours !

— Ouais, mais non !

— Tant pis pour toi ! je réplique, déçu qu’elle ne se joigne pas à nous. Ah, au fait, avant de partir, il faut que je te dise un dernier truc !

— Quoi ?

— Tu sais les cerises ? je continue en me retenant de rire.

— Ouais ?

— Je les ai cueillies cette nuit chez Gary !

— Quoi ? s’arrête soudain Marion.

Elle commence à plisser son front en réfléchissant, puis elle écarquille les yeux pour vérifier si elle a bien compris ce que je racontais :

— Dans l’arbre au milieu de sa cour qui ressemble à la déchetterie municipale ?

— Ouais !

— Dans l’arbre au pied duquel il va pisser ? s’étouffe-t-elle rouge de colère.

— Ouais !

— Oh, putain Speed ! rage-t-elle en me secouant. Enfoiré ! En plus de les avoir piquées, tu m’as fait bouffer ta merde tout l’après-midi !

— Oui ! je m’esclaffe. J’ai vraiment pris mon pied toute la journée à te voir savourer mes cerises !

Le matin suivant, je me lève aux alentours de six heures. Je suis toujours debout le premier dans la maison, même pendant les vacances. Ma première inquiétude est de savoir le temps qu’il va faire, le vent et le drapeau (autorisation de baignade) de la plage où je surfe. J’ouvre mon application Météo Consult Marine pour connaître la dimension et les espacements des vagues.

En découvrant que le drapeau ne vire pas au rouge, je saute du lit et prends mon skate pour aller remuer mes potes surfeurs qui sont de mon village. Je commence par Jimmy, car c’est une grosse feignasse, toujours à moitié défoncé, même s’il se caractérise lui-même de « zen ». L’été, il dort la fenêtre ouverte, donc j’escalade un petit muret pour l’atteindre et lui secouer les plumes.

— Bouge ton cul, Jim ! C’est drapeau jaune et il y a du vent ! C’est bon pour nous !

— Cool ! marmonne-t-il, abruti par tous les pétards qu’il a fumés la veille. T’as vu l’heure qu’il est ?

— Justement, je te préviens, si tu loupes le bus, tu te démerdes ! Je pars lever Dylan !

Je remonte sur mon skate pour aller à l’autre bout du village cogner aux parois de la caravane de Dylan. C’est mon pote gitan. Ses parents se sont sédentarisés sur notre commune. Leur campement, composé d’une dizaine de caravanes, se situe en lisière d’un bois. En tapant sur la tôle, je réveille toute la famille et ça me fait toujours marrer de voir les sœurs de Dylan passer leurs têtes par la fenêtre en petit déshabillé.

— Je te retrouve à l’arrêt de bus ! me rétorque Dylan au travers du Plexiglas. Tu prends ton skate ou pas ?

Il est sec dans sa réponse, car il veut que je m’éloigne au plus vite de toute sa horde de sœurs à moitié nues.

— Non, j’prends pas. À toute !

Puis je rentre chez moi réveiller Max. D’habitude, Paulo vient avec nous, mais en ce moment il passe son bac. Ça me fait marrer de le voir stresser sur son exam. Si je devais ouvrir les paris sur ses résultats, ce n’est vraiment pas sur lui que je miserais ma tirelire. Non seulement il n’a rien foutu de l’année, mais il a également beaucoup séché de cours. Papa et lui se sont souvent pris la tête sur le sujet, mais je suis bien conscient que même si Paulo n’a jamais été un élève assidu, il a simplement baissé les bras quelque mois, trop perturbé par les événements familiaux. Il a réalisé un peu trop tard qu’il n’avait absolument pas le niveau et je suis certain qu’il va se planter en beauté !

Je me pose quelques minutes sur mon portable en avalant mon petit-déjeuner et en attendant Max qui passe un temps fou dans la salle de bains.

— Je ne sais pas pourquoi tu te douches avant d’aller surfer ! je lui reproche en le détaillant. Non, mais t’es sérieux ?

— Quoi ?

— T’as foutu du gel dans tes cheveux ?

— C’est du waterproof !

— Tu vas voir la première vague, ce qu’elle va en faire, de ton waterproof !

Vers sept heures quarante-cinq, je lâche mon téléphone et mon bol de céréales pour attraper mon sac à dos, mon surf et ma combi. Le bus des plages passe trois fois par jour sur la commune, à huit heures, midi et vingt heures ! Mieux vaut ne pas le rater. Mais quand cela se produit, nous trouvons toujours quelqu’un dans le village pour nous emmener ou nous ramener. L’océan est à moins de dix kilomètres…

Nous arrivons très tôt sur la plage. Chez nous, elles sont souvent mystérieuses et secrètes. Pour accéder à celles réservées aux surfeurs, il faut traverser la forêt et suivre les sentiers. Le matin, j’aime sentir le sable fin sous mes pieds. Il est encore frais et doux. Une fois en haut de la dune, je peux contempler l’infini limpide et étincelant qui ronronne régulièrement son appel à mon oreille.

Pressés de rentrer dans l’eau, nous installons notre campement de la journée à la va-vite. Pendant notre grand déballage, nous plaisantons et chahutons. Chaque geste est célébré de manière protocolaire, si bien que l’on pourrait se croire dans une secte honorant l’Atlantique. Le rituel est simple : je commence par sortir mon surf de sa housse pour l’étendre sur le sable et lui remettre un coup de wax. Il s’agit d’une pâte en paraffine avec laquelle j’enduis ma planche à l’endroit où je pose mes pieds, pour la rendre plus adhérente. Puis j’attrape ma combinaison, indispensable à cause de la température de l’eau qui n’atteint pas encore les dix-neuf degrés en ce mois de juin. Je me déshabille sans gêne sur la plage. Nous sommes tout près du coin consacré aux naturistes, alors un cul ne choque personne ici et je ne suis pas du tout pudique, mais ça, tout le monde le sait maintenant. Je n’aime pas garder de maillot, car ça finit toujours par m’emmerder. C’est donc totalement à poil et sans complexe que je l’enfile.

Une fois prêt, je rentre dans l’eau. À l’aurore, malgré la combi, l’océan me saisit. Ensuite, je m’allonge à plat ventre sur ma planche et j’affronte le la grande bleue pour passer les flots mouvementés et atteindre la barre*… C’est la tâche qui demande le plus d’efforts. Il faut vaincre les courants et les remous qui te ramènent systématiquement vers le rivage. Je suis obligé de négocier à chaque instant la remontée pour accéder au berceau des vagues, si indispensable pour pouvoir surfer. Alors je force sur mes bras en regardant au loin. J’offre mon corps à l’étendue bleue pour qu’il m’accepte et me laisse entrer quelques minutes à l’intérieur de ses rouleaux ou de ses tunnels étroits quand il est suffisamment déchaîné.

Je peux rester des heures à glisser sur les flots et atteindre le pic* encore et encore. Je surfe sans montre jusqu’à épuisement ou grande faim. Il n’y a que les Maîtres-Nageurs Sauveteurs qui ont le pouvoir de me sortir de l’eau en brandissant le drapeau rouge.

La pluie, le vent, la houle parfois trop violente, rien ne m’arrête.

J’aime la quitter fatigué et contempler les vagues que je loupe en croquant dans mon sandwich ou en lâchant une vanne à mes potes. J’apprécie de me poser sur le sable chaud face à la liberté que m’offre l’horizon, caressé par un courant d’air frais.

Les journées passent et se ressemblent et pourtant, je ne me lasse pas d’appartenir à l’océan. Il m’épuise et me vide de mes forces, mais me remplit de l’espoir d’un avenir meilleur.

* barre et pic = endroit où les vagues commencent à déferler.

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