Chapitre 12 - 2174*

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Chapitre 12

En arrivant au lycée, j’aperçois les gendarmes sortir du bureau du CPE. J’imagine immédiatement les emmerdements à venir. Comme si de rien n’était, je me rends dans ma classe. Tous les regards se tournent vers moi. Mon problème de cleptomanie n’est un secret pour personne. Mais ce qui les perturbe, c’est que je fais toujours mes sales coups tout seul. D’ailleurs, je n’ai même pas réfléchi à ce que je vais bien pouvoir foutre de ce téléphone. Ce qui est sûr, c’est que je ne peux pas le garder ni m’en servir. Si je l’utilise, ça confirmera les soupçons.

Les gendarmes s’introduisent dans la classe pour nous faire un petit discours sur la faute avouée, faute à moitié pardonnée. Mais ce n’est pas valable pour moi, non, je ne craque jamais !

— Nous allons vous recevoir à tour de rôle dans le bureau du CPE. Veuillez nous rejoindre par ordre alphabétique !

Marion me jette un regard paniqué, et je lui fais un clin d’œil. Mais cela ne suffit pas à la calmer…

En me dirigeant vers le bureau du CPE, escorté par un gendarme, je croise Marion qui en sort. Le regard que j’échange avec elle et son haussement de sourcils me font comprendre qu’elle n’a rien dit. Mon amie ne me trahit jamais, et elle a mis sa rancune de côté pour protéger le petit con que je suis.

Je rentre donc sereinement dans la pièce. Le CPE est assis derrière son bureau. Ses lunettes enfoncées sur ses yeux. Il me dévisage en tapotant nerveusement son stylo sur le bureau noir. Je suis impressionné par les moyens qu’il met en œuvre pour retrouver son téléphone. Je déglutis et enfonce mes mains dans mes poches pour ne pas lui montrer que je suis impressionné. Le soleil tape sur la vitre du bureau et m’aveugle, m’obligeant à plisser les yeux pour y voir clair. Les rayons plongent directement sur moi et me je sens à nu.

Monsieur Moreau est à contre-jour et m’observe, encadré de deux autres gendarmes. Le premier immobile, droit comme un piquet, me fusille du regard alors que le second se balade un peu partout dans la pièce, détaillant notamment les photos personnelles du proviseur sur la grande étagère.

— Asseyez-vous, Tonio, dit-il en m’indiquant un fauteuil bleu nuit dans lequel je m’affale.

Je choisis de prendre cet entretien comme un jeu. Ça va m’éviter de monter en pression et me permettre de rester détendu. Je vais la jouer comme au « quitte ou double » ou « ça passe ou ça casse ».

— Tiens-toi bien, jeune homme, m’ordonne un des gendarmes en me tapotant le dos.

Il marche comme un cow-boy et ressemble à Lucky Luke. Je me redresse dans le fauteuil sans quitter le regard du CPE qui est installé de l’autre côté du pupitre. Nous sommes face à face, au centre de la pièce envahie d’étagères pleines de dossiers.

— Tu vas nous raconter ton intercours d’hier quand tu es allé au laboratoire, s’il te plaît, me demande Lucky Luke sévèrement.

— Je suis sorti de la classe, j’ai traversé le couloir et j’ai rejoint le laboratoire, je lui relate en prenant soin de ne pas m’étaler sur les détails.

— Ok, tu étais le dernier à sortir de la classe ? m’interroge un gendarme qui se prend pour un chef.

Il parle sèchement et avec autorité, mais il a un tic qui me fait sourire : il se caresse la moustache du bout des doigts.

— Ouais !

— Oui, monsieur ! me reprend-il en se plaçant derrière moi pour poser sa main sur mon épaule, comme un méchant shérif.

— Oui, monsieur ! je répète en articulant exagérément.

Pour l’instant, tout va plutôt bien pour moi, je contrôle parfaitement le jeu. Mais à quatre contre un, la partie est loin d’être gagnée. Je ne suis pas inquiet. Je m’imagine au Far West, entouré de cow-boys qui veulent m’arracher la langue, si je n’avoue rien. Je suis plus têtu qu’une mule. J’ai fait mon coup tout seul, comme un grand, et même sous la torture, jamais je ne parlerai…

— Qui était dans le bureau du CPE ?

Ils me prennent vraiment pour un débutant. Comme si j’allais admettre qu’il n’y avait personne, pour qu’ils comprennent que j’ai bien regardé dans ce putain de bureau. Que ces justiciers du monde aillent se faire voir !

— J’en sais rien, j’ai pas fait attention, je continue sans me démonter.

— La porte du bureau était comment ? interroge le shérif.

Les questions commencent à pleuvoir de tous les côtés, mais je prends le temps de répondre. Je réfléchis à chaque mot avant de les prononcer.

— Je me rappelle pas…

— As-tu vu quelqu’un entrer ou sortir du bureau ? Tu étais le dernier et tu aurais dû voir !

— Je n’ai rien vu, j’étais dans mes pensées avec tous mes amis dans ma tête !

Maintenant, je décide de me la jouer grand débile, sans trop les prendre de haut, pour ne pas les braquer. Ils connaissent mon parcours. Je peux apercevoir mon dossier scolaire au sommet de la pile de papiers sur laquelle le CPE tape impatiemment des doigts.

— C’est quoi cette histoire d’amis dans ta tête ? insiste le Shérif.

— Je suis pas tout seul dans ma tête, c’est tout ! Demandez à ma psy !

— Bon, ok, mais revenons au portable. Tu étais le dernier à arriver au laboratoire. Un de tes amis t’as vu entrer dans le bureau.

Ça y est, ils changent de technique : ta meilleure pote t’a trahi… Autant qu’ils sortent directement le détecteur de mensonges parce que je ne lâcherai jamais rien !

— Impossible, j’y suis pas allé !

— C’est ton amie Marion qui nous l’a dit ! tente le CPE.

Il se penche en avant, pour se rapprocher de moi, menaçant. Le shérif repasse derrière lui pour me signifier qu’il est de son côté. Il pose ses mains sur ses hanches, mettant en valeur son révolver pour m’indiquer qu’il domine la situation. Il me transperce avec ses yeux accusateurs, mais je ne baisse pas la tête. Je suis un excellent affabulateur. Je peux jurer sur la tombe de ma mère sans scrupules. Je ne crains pas le mauvais sort !

— Je vous crois pas car je ne suis pas entré dans ce bureau !

— Pourquoi elle mentirait ? demande le shérif.

— Elle ne ment pas, c’est vous qui mentez ! J’y suis pas allé !

— Nous avons ton dossier, avec tous tes petits vols au collège ! indique le CPE en pointant une chemise cartonnée plutôt épaisse.

— Ça veut rien dire ! J’ai arrêté depuis que j’ai changé de psy ! Pourquoi vous ne l’appelez pas pour lui demander ?

— On va la contacter… coupe le shérif en faisant signe au dernier gendarme resté muet. Toi, tu bouges pas d’ici !

Ils peuvent bien la consulter, je ne risque pas grand-chose. D’abord, elle n’est au courant de rien dans cette affaire et deuxièmement, je ne vole plus, ou presque plus. Dans tous les cas, elle ne le sait pas…

Je demeure seul en tête-à-tête avec le flic silencieux qui a une tronche de chien. Ce doit être le sous-fifre, comme Rantanplan. Les trois autres sont partis délibérer sur la technique à adopter et peut-être même téléphoner à ma psy. Je commence à avoir la bougeotte, à rester ainsi sans rien faire. Je trépigne et me gratte les mollets. Puis je finis par me mettre debout pour me dégourdir les pieds.

— Tiens-toi tranquille, Tonio, m’impose Rantanplan.

— T’es chef ou c’est ton collègue ?

Je me rassois et je choisis de l’interroger pour m’occuper l’esprit :

— Non, c’est le moustachu !

Il parle du méchant shérif qui ne m’impressionne pas, tout comme lui. Par contre, j’ai terriblement envie de me lever à nouveau.

— Pourquoi t’es gendarme ?

— Pourquoi tu me tutoies ? s’impatiente-t-il.

— Je te retourne la question !

— Fais pas le mariole, parce que ça va mal se passer pour toi ! me menace-t-il.

— Je n’ai rien fait alors je ne vois pas ce qu’il peut m’arriver ! Vous avez des preuves ? Un relevé d’empreintes sur le bureau ? Une vidéo de moi ? Non ! Car ce n’est pas moi.

— Tu veux jouer au petit malin ! Continue.

Le Shérif, Lucky Luke et le CPE finissent par revenir.

— On t’embarque à la gendarmerie !

— Vous me placez en garde à vue, les gars ?

— On ne parle pas de garde à vue, monsieur Je-sais-tout ! me coupe le shérif. On a juste dit que tu nous suivais pour l’instant !

— Tu fouilles son bureau et tu nous récupères ses affaires qui sont dans sa classe… commande le Shérif à Rantanplan.

J’ai droit à une petite escorte jusqu’au cabinet du grand chef, dans la gendarmerie. Je dois avouer que je connais les locaux, mais je n’en garde que très peu de souvenirs. Je suis venu, ici même, pour faire une déposition après la mort de ma mère. Je ne faisais que pleurer et j’étais dans l’incompréhension totale de ce qu’il se passait. Je balaie aussitôt ces souvenirs qui me rendent triste. Je ne veux pas repenser à cette période où mon père a subi une multitude d’accusations infondées qui nous ont terriblement blessés.

Le Shérif m’installe face à lui. Je l’observe allumer son ordinateur et ramasser quelques papiers qui traînent. J’en profite pour faire un tour d’horizon. Il n’y a que le strict minimum dans la pièce. Un bureau, un fauteuil et deux chaises en face, dont celle que j’occupe. Aucune décoration. Seule une carte détaillée de la localité sous la responsabilité de la gendarmerie est placardée au-dessus de ma tête sur le mur gris.

Rantanplan entre avec mon sac de cours qu’il me tend.

— Alors, pas trop déçu ? je l’interroge ironiquement.

— Pourquoi tu dis ça ?

— D’avoir rien trouvé ?

— Entrez monsieur Arand ! Votre fils est ici ! annonce Lucky Luke.

Je lève les yeux vers mon père et ne mets pas longtemps à détecter qu’il est ivre. Après avoir titubé jusqu’au fauteuil qui lui est dédié, il s’installe à côté de moi. Ses mains tremblent et ses gestes sont ralentis, pourtant il me sourit et fait comme si c’était naturel de venir me chercher à la gendarmerie. Il a dû picoler toute la journée et est en plein délire.

— Je signe où pour qu’on se barre ? lance-t-il, répandant son haleine puante dans toute la pièce.

— Monsieur Arand, s’il vous plaît, restez tranquille, je pense que vous ne saisissez pas la situation, tente le shérif.

Mon vieux grimace et pointe son doigt en direction du gendarme qui soupire.

— Au contraire, Monsieur le chef de la brigade anti-délinquance… lâche-t-il ironiquement. Je pense que la situation est très claire ! Vous n’avez rien trouvé au lycée, et je n’ai rien vu dans sa chambre. Tonio n’a pas avoué non plus ! Donc, on peut dégager, c’est notre droit !

— Monsieur Arand, votre fils est soupçonné de vol...

Mon père se lève d’un bond, puis manquant de tomber, s’accroche au dossier de mon fauteuil avant de lâcher :

— Je connais parfaitement mes droits !

Il se prend soudain pour un avocat. Il s’avance et pose ses deux mains sur le bureau du gendarme. Il regarde trop d’émissions à la télévision. Il est fan de la série Better Call Saul et dans son délire, il doit s’imaginer être le personnage principal.

— Monsieur, asseyez-vous !

— Appelez-moi votre juge qu’il signe le papier pour la garde à vue ou laissez-nous partir !

Mon père ne lâchera pas le morceau. Bien que son allure débraillée le fasse passer pour un pauvre type, il est perspicace et a de l’instruction. Son ivresse lui donne le courage de s’affirmer, là où quelques mois auparavant, il a été soupçonné du meurtre de ma mère. Depuis, il a une dent contre « la flicaille », comme il appelle les gendarmes. Il leur en veut d’avoir douté de son innocence, de l’avoir malmené au pire moment de sa vie et d’avoir sali sa réputation d’honnête homme durant plusieurs semaines.

— Monsieur Arand, calmez-vous !

— Je suis très calme ! dit-il sèchement avant de se tourner vers moi. Tu l’as volé ce téléphone, oui ou non ?

— Non !

— Donc, on s’casse ! Debout ! m’ordonne-t-il.

À ma grande surprise et sans que je saisisse réellement pourquoi, les gendarmes nous laissent partir ! Moi le voleur de téléphone et mon père et ses trois grammes d’alcool, au volant de sa voiture alors qu’il n’a plus de permis !

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