Chapitre 13 - 1906 -

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Chapitre 13

En montant dans la voiture, je me demande ce qui a bien pu passer par la tête de mon père pour débarquer ainsi à la gendarmerie. Il me soutient alors qu’il n’a plus la force de se battre pour lui-même. Il sait pertinemment, comme tout le monde d’ailleurs, que j’ai piqué ce putain de téléphone. Il conduit tranquillement, en silence. Je le soupçonne de ruminer la façon dont il va aborder le sujet. J’attends patiemment qu’il se lance et c’est un exercice difficile pour moi après toutes ces émotions.

En arrivant dans notre village, il ne prend pas la direction de la maison, et quand il vire au carrefour du cimetière, une angoisse me saisit au creux du ventre.

Remettre les pieds ici est au-dessus de mes forces. Mon sang ne fait qu’un tour dans mes veines, ma gorge se serre lentement, j’ai du mal à respirer et les yeux qui piquent. Mes tocs se réveillent. Je commence à frissonner et à cligner exagérément mes paupières. Je ne peux plus contenir mes genoux qui tremblent, je m’agite sur mon fauteuil à la recherche d’une issue pour quitter la voiture au plus vite.

Il veut que je montre ma sale gueule de petit con à ma mère. Je n’ai pas revu le caveau depuis plus d’un mois, jour où j’ai tourné la page, car j’ai compris qu’il n’y avait plus de retour en arrière possible. Je me suis juré de ne plus jamais la pleurer parce que rien ne peut me faire plus mal que la perte de maman. Je ne peux plus me rendre sur sa tombe, cela rouvrirait la brèche que je crois avoir comblée définitivement.

Pourtant, cette douleur au fond de moi qui m’accable et qui me serre le cœur si fort que j’ai besoin de me sentir vivant est toujours présente. Je m’oblige à aller de l’avant sans me poser de questions pour écraser ce chagrin qui me poursuit et cette putain de pensée qui me rappelle à chaque seconde qu’elle m’a lâchement abandonnée. Alors pour oublier, je fonce, je me déconnecte, je ne me raisonne plus…

Lorsque mon père se gare sur le parking, je suis prêt à faire tout ce qu’il me demandera pour éviter de descendre. La voix serrée, je le préviens :

— J’y vais pas !

— Tu fais comme tu veux ! lâche-t-il en se détachant. Mais dis-moi où tu l’as planqué !

Il n’a plus de permis, il conduit avec trois grammes, mais il met sa ceinture. Il est vraiment surprenant parfois.

— Planqué quoi ? je lui rétorque innocemment.

— Le portable !

Je ne comprends pas ce qu’il attend de moi, si je dois lui avouer ce qu’il sait déjà ou continuer de nier.

— Quoi, le portable ?

— Tonio, arrête de me prendre pour un con, tu l’as planqué où ? s’énerve-t-il.

— Ben, quelque part…

— Je pensais que tu l’avais caché au caveau de maman, comme avant…

Il fait référence à mes petits vols que je dissimulais ici, il y a quelques mois, juste après le décès…

— Non, j’ai changé de planque depuis que t’as trouvé celle-là, je l’informe, fier de moi.

— Bon, écoute Tonio, c’est grave ce que tu as fait ! Ce portable, il faut que tu t’en débarrasses ! Tu t’en es servi ?

— Non, mais t’es con ou quoi ? Je l’ai éteint et basta !

— Et depuis hier, tu l’as mis où ?

— Je l’ai rangé au vieux lavoir ! Mais ne t’inquiète pas, personne ne m’a vu et comme je l’ai coupé, il n’est pas géolocalisable…

— T’en es sûr ? s’enquiert-il.

— Oui, il n’y a que le FBI qui sait faire ça : retrouver un portable hors connexion et ils n’en ont rien à foutre de celui du CPE !

Mon père redémarre sa voiture pour aller jusqu’au lavoir où je descends pour récupérer l’iPhone. Puis il se dirige vers le petit port du village et il m’oblige à le balancer au fin fond des vases. C’est ainsi que se termine l’histoire du téléphone du CPE. Je suis écœuré, j’ai jeté un iPhone dans l’eau !

— Je t’avertis Tonio, c’est la dernière fois ! Si t’as envie de pourrir en prison pour vols, c’est ta vie ! Chacun est responsable de ses actes ! Je ne vais pas te punir, mais plus jamais je ne viendrai te chercher à la gendarmerie ! T’as compris ?

— Oui ! je lui réponds.

Cette attention soudaine qu’il a pour moi, sa prise de défense alors qu’il sait pertinemment que je suis coupable me trouble. Je le sens présent coûte que coûte, tel qu’il était avant le départ brutal de maman. Et pourtant, ce que je lis dans ses yeux me fait mal à l’intérieur, j’ai comme une boule à l’estomac. Celle que l’on ressent quand on réalise que l’on a déçu la dernière personne qu’il reste pour veiller sur vous.

C’est là que je prends vraiment conscience qu’il faut que j’arrête. Pas face aux gendarmes ou au CPE, non, face à mon vieux. Cet ivrogne qu’il est devenu, mais qui persiste à croire en moi parce qu’il m’aime.

Il n’est pas le père idéal et il ne l’a jamais été. Il est égoïste et ne supporte pas que l’on perturbe sa vie quotidienne. Il n’est pas affectueux ni attentif, mais il est là, imposant son autorité et surveillant de loin nos dérapages. Il nous indique une direction simple et claire : être heureux. En l’observant, dépassé par ma connerie, je comprends pour la première fois qu’il est comme Paulo, Max et moi : totalement perdu dans son chagrin. Il souffre terriblement, lui aussi, de l’absence, du manque de la personne qu’il aime, de l’abandon tragique. Malgré tout, il doit tenter de gérer les problèmes quotidiens, ce n’est pas simple, d’autant que je ne lui facilite pas la tâche. Je réalise parfaitement que le pilier de la famille a disparu, laissant seuls derrière elle un patriarche désemparé et trois rejetons sans repères. Pour ne pas sombrer profondément, je préfère ne pas m’attarder sur ce qui passe autour de moi. Je ne veux pas voir la vérité en face.

De retour à la maison, le sujet a été clos, ni mes frères ni mon père ne l’ont plus jamais abordé. En revanche, il me reste une amitié à reconquérir et je sais que ça ne va pas être facile.

Après avoir dîné, je prends mon skate pour rendre visite à Marion. La lumière est allumée, ses parents doivent être là. Je sonne chez eux et c’est Sophie qui vient m’ouvrir. Marion est derrière elle, portant sa robe rouge trop courte, et elle me fait signe d’entrer. Je la suis jusque dans sa chambre que je connais bien, avec ses petits cœurs roses et sa tapisserie mauve qui me rappellent qu’elle est longtemps restée fan de Violetta. Les posters ont disparu quelques années auparavant pour être remplacés par des photos de l’océan et des diplômes de danse. Marion pratique le hip-hop et fait de nombreuses compétitions au sein d’une équipe bien classée sur le plan national. Cette pièce lui ressemble, chic, simple et toute propre, sans oublier son parfum vanillé qui submerge mes narines.

— T’es gonflé de venir chez moi pour mater Agathe, après tout ce que tu m’as fait ! me lance-t-elle en colère.

Elle est appuyée contre son pied de lit blanc à baldaquin, assorti à sa commode, son armoire et son bureau. Moi, je suis planté devant elle, embarrassé par ma culpabilité. Les mains enfoncées dans les poches, je me mords l’intérieur de la lèvre avant de l’interroger :

— Pourquoi tu me parles d’Agathe ?

— Elle a bouffé ici, ce soir ! Elle fait des devoirs avec ma sœur, m’explique Marion.

Agathe est chez Marion, en même temps que moi ? Mon cœur manque un battement. C’est un signe que me fait le destin. Il faut que je trouve un moyen de l’aborder.

— Je suis pas venu pour elle, je te jure que je savais pas.

J’essaie de la rassurer tant bien que mal, mais puisqu’Agathe est là, pourquoi ne pas saisir l’opportunité ?

— Jure pas, menteur ! me balance-t-elle en me mettant une tape derrière la tête.

— Je voulais te demander pardon !

Je m’excuse sincèrement en me protégeant le crâne avec les mains pour éviter un autre coup. Pauvre Marion, je ne lui ai procuré que des emmerdes cette semaine. Je ne fais que des conneries.

— C’est bon, tu ne vas pas pleurnicher dans ma chambre !

Elle me pousse d’un coup pour me faire tomber sur son lit.

— Et aussi te dire merci de ne pas m’avoir balancé !

Je lui agrippe une main et l’attire contre moi.

— Ouais et bien remercie Max, plutôt ! lâche-t-elle en se débattant. Parce que moi, je t’aurais bien envoyé croupir en taule, BG !

Son aveu au sujet de Max me fait marquer un temps d’arrêt, je m’interroge sur la raison de son intervention. Pourquoi m’a-t-il protégé, au point de demander à Marion de ne rien dire ? A-t-il voulu préserver mon père de futurs ennuis ou a-t-il eu peur pour moi ? Une fois de plus dans cette journée, je suis surpris par la réaction de mes proches, je ne pensais pas que j’aurais du soutien de leur part. Je suis touché par le comportement de Max, pourtant je me garderai bien de le lui dire quoique ce soit, par fierté et par peur de sa morale à deux balles.

Je maintiens fortement Marion pour lui faire face et déclare :

— Je sais que ce n’est pas vrai !

— Tout le lycée parle de toi, maintenant, espèce de thug, me provoque-t-elle.

— M’en fous, ça change pas…

Quelqu’un frappe à la porte, je lâche aussitôt Marion pour sauter au bas du pieu. Si ce sont ses parents, ils vont en faire tout un plat, de me voir allongé sur Marion. Le dessus de lit est tout froissé, et j’espère juste qu’ils ne le remarqueront pas.

— Entrez ! dit Marion en faisant sa tête de petite Sainte-Nitouche. Elle tire vite fait sur sa robe rouge, toujours trop courte.

— Salut Tonio, m’interpelle Agathe, je peux te parler d’un truc ?

Je déglutis en jetant un regard interrogateur vers Marion. Puis je me jure que pour une fois, je vais réfléchir avant de lui sauter dessus. De toute façon, je suis venu sans mes capotes.

— Euh, salut Agathe, moi aussi, j’aimerais te dire quelque chose… je marmonne le plus diplomatiquement possible.

Ce n’est pas le moment de merder avec Marion…

— Je vous laisse, finit par dire celle-ci en sortant de sa chambre.

Une fois seuls, Agathe m’interroge timidement :

— Alors, qu’est-ce que tu veux me dire ?

— Non, toi d’abord ! je lui impose en essayant de me mettre à sa hauteur.

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