Chapitre 1 - 1787*

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Chapitre 1

— Speed, bouge-toi ! Le bus arrive dans dix minutes et t’es toujours pas debout ! hurle Paulo dans l’escalier.

Réveillé depuis des heures à cause de ce foutu cauchemar qui revient régulièrement, je suis pourtant loin d’être prêt. J’ai passé le reste de la nuit à terminer mes devoirs que je fais généralement au dernier moment, puis à traîner sur les réseaux sociaux. Maintenant, je suis en retard. À toute vitesse, j’enfile un jean par-dessus mon caleçon, puis j’attrape mon T-shirt à l’effigie d’ACDC que j’ai déjà mis hier, en prenant soin de vérifier qu’il ne sent pas trop la transpiration.

Tandis que je débranche mon portable du chargeur, je constate que j’ai reçu un message de ma pote :

Marion : Slt B.G., j’ai un scoop sur Paulo.

Speed : Quoi ?

Marion : Il se tape ma sœur !

Speed : T’es sérieuse ?

Ma porte s’ouvre violemment, laissant apparaître mon aîné sous ses allures de Don Juan du lycée. En Terminale, monsieur fait tourner toutes les têtes depuis qu’il est à nouveau célibataire, et je ne peux réprimer un sourire sur mes lèvres en l’imaginant avec Sophie, la sœur de Marion.

— Magne-toi le cul !

Je ne bouge pas d’un poil, juste pour le plaisir de le voir enrager. Il récupère par terre sa ceinture que je lui ai empruntée hier et l’enfile à son jean noir. En passant devant la glace de mon armoire, il vérifie ses cheveux bruns encore humides, avant de les ébouriffer.

— T’es tombé dans le flacon de parfum ? je le nargue, sourire aux lèvres.

— T’as vu ta gueule ? Tu vas pas à la salle de bains, petit con ?

Il est exaspéré et commence à fouiller dans mon placard pendant que je remplis mon sac de cours depuis mon lit. Je continue de le provoquer :

— N’affiche pas ta jalousie dès le matin, trou du’c !

Entre-temps, mon téléphone vibre à cause d’un nouveau texto :

Marion : Ouais ! Depuis hier !

C’est alors que Paulo se plante devant moi, les mains sur les hanches et le visage contrarié pour me questionner nerveusement :

— Elles sont où ?

Je pouffe de rire en comprenant ce qu’il cherche et lui indique avec fierté :

— Troisième tiroir, il suffit de demander…

— Tu peux m’expliquer ce qu’un gosse de quatorze ans fout avec un casier entier rempli de capotes, bordel ? m’interroge-t-il devant ma réserve.

— Comme toi, vieux ! Des ballons d’eau !

— Il est là, magnez-vous ! nous engueule Max qui sort juste de la salle de bains.

Nous dévalons illico le grand escalier de pierre en nous bousculant, pour sauter le plus rapidement possible dans le bus stationné devant la maison.

Alors que je monte dans le car de ramassage scolaire plein de lycéens, Marion agite la main pour me faire comprendre qu’elle m’a gardé une place à côté d’elle. Je jette aussitôt mon sac sur le siège libre en lui confirmant :

— T’avais raison pour Paulo !

— Je les ai vus se peloter hier soir quand je suis partie de chez toi, m’annonce la jolie blonde, une pointe de malice dans les yeux.

Elle pose nos sacs sur le sol et se pousse avec délicatesse contre la vitre du car qui démarre. Nous sommes aussitôt ballottés d’un côté à l’autre, à cause des petites routes sinueuses de campagne.

— Il a rempli ses poches de capotes ce matin… je précise en me collant à mon amie.

Je profite de son délicieux parfum aux notes de vanille. Une mèche rebelle s’échappe de son chignon pour caresser son visage qui porte les stigmates de la nuit.

— Surtout, me dis pas bonjour ! râle-t-elle pendant que j’ignore totalement qu’elle me tend la joue.

— Toujours pas habituée, depuis le temps ?

— On sait jamais ! Tu aurais pu mûrir depuis hier…

Je refoule le souvenir du cauchemar qui m’a torturé quelques heures plus tôt, l’angoisse et le goût de l’eau salée encore bien présents ce matin. Je masque cette douleur qui me ronge et à la place, je gonfle le torse pour lui débiter mes convictions sur les principes de politesse que je trouve absolument inutiles :

— Non, mais à quoi ça sert de répéter toute la journée : « Bonjour, ça va ? » ou « Au revoir, à demain »… Moi, ça me casse les couilles, à force !

Marion hausse les épaules et me dévisage en analysant mes propos. Ses pommettes sont toutes roses à cause du chauffage, réglé un peu trop fort. Elle retire son manteau, tout en continuant la discussion dans le brouhaha généré par les élèves agités. Puis, elle comprend qu’elle n’arrivera pas à me faire changer d’avis. Elle préfère capituler et diriger la conversation sur Paulo et Sophie en me donnant une oreillette :

— On va les avoir sur le dos tout le temps !

— Ou le contraire !

J’étudie posément ce qu’elle me propose, je suis plutôt difficile, musicalement parlant. Pas question d’écouter les tendances actuelles, j’ai grandi au son du Hard Rock et du Metal et rien ne détrônera jamais Nirvana dans mes goûts. J’ai même choisi depuis peu Kurt Cobain comme père spirituel. J’admire son talent, ses accords m’émeuvent, ses mots me transpercent. Sa vie me touche, sa fin me glace.

— Tu crois qu’ils vont faire ça où ?

Marion est très curieuse et nous aimons partager tous les secrets de nos frères et sœur. C’est ma meilleure amie, nous sommes constamment ensemble. D’abord parce qu’on s’apprécie vraiment depuis tout petits, et aussi, car nous vivons dans un minuscule village, trou du cul du monde où tous les habitants se connaissent. Nos maisons sont quasiment face à face.

J’ai toujours assimilé les cours bien plus vite que les autres et j’en profitais pour distraire toute la classe. Mon prof principal et ma psy ont décrété que je devais sauter la Sixième pour être épanoui dans la vie… Pour mes onze ans, je me suis donc retrouvé en Cinquième, dans la même classe que Marion qui avait, elle aussi, un an d’avance. Ce n’est pas moi qui ai été le plus gêné dans l’histoire. Mais Max, mon frère qui a tout juste neuf mois de plus que moi, a drôlement fait la gueule que je sois en cours avec lui et ses potes ! Étant de nature plutôt discret, il est tout mon contraire.

Avec Marion, je partage tout, absolument tout : du chewing-gum que je mâche depuis une heure à ses problèmes de règles, de mes soucis de cleptomanie à son premier soutien-gorge, ou encore les parties de jambes en l’air de sa sœur avec mon frère… Je connais sa vie par cœur.

En revanche, nos préférences musicales sont bien différentes. Elle surveille attentivement son portable par-dessus mon épaule, pour que je ne modifie pas sa playlist.

— Vu l’immense romantisme de Paulo, il baise Sophie en haut de la grange de mon vieux… je lui réponds en sélectionnant All apologies de Nirvana

— Là où il se tapait Caroline et toutes les autres ? C’est dégueulasse… Je comprends pas Sophie ! Pourquoi elle sort avec lui ? Moi, je ne suis pas comme elle, je suis pas prête de me faire avoir par un mec…

Marion pense que Paulo se moque de sa sœur, qu’elle n’est qu’une énième conquête sur son tableau de chasse. En déblatérant ses réflexions, mon amie plisse ses grands yeux bleus et retrousse son nez. Sa lèvre supérieure révèle alors sa dentition parfaite. Elle est vraiment adorable quand elle fait cette petite moue contrariée, mais j’essaie de ne pas lui montrer que je la trouve jolie. Je me contente donc de sourire bêtement sans trop la regarder, et je change de sujet :

— Donne-moi une clope, Paulo n’a pas voulu m’en filer et mon père était à sec, ce matin !

— J’en ai que deux, tu fais chier !

Elle m’engueule en fouillant dans son sac. Marion ne fume pas beaucoup, juste de temps en temps pour m’accompagner. Moi, j’ai commencé au collège pour faire comme mes frères. Ça m’amuse de provoquer les adultes sur ce sujet.

— T’inquiète, à la récré, j’irai en piquer dans le sac de la pionne !

Mais mon clin d’œil appuyé la contrarie et l’énerve plus que tout.

— Tu vas te faire prendre, à force !

— Je crois pas, non ! je rétorque, sûr de moi, en haussant les épaules.

Marion me regarde de façon dubitative. Elle est vraiment mignonne malgré qu’elle n’ait que quatorze ans. Tous les garçons de Seconde la reluquent et elle, elle me colle exprès et me fait des smacks devant eux pour les rendre jaloux. Moi, ça ne me déplaît pas pour autant, c’est carrément agréable d’être caressé régulièrement par la plus ravissante fille de la classe !

— Tu rêves encore d’Agathe ? me questionne Marion.

Elle m’indique d’un coup de menton, la blonde assise à côté de Paulo, devant moi.

— Non, je pensais à toi !

— Menteur ! D’ailleurs, te fais pas trop de films sur elle ! me prévient-elle.

— Je sais ! Paulo a plus de chances que moi, cet enfoiré !

Je l’envie, cet abruti ! Toutes les filles en sont folles, il pioche dans le tas et il jette. Il est ce qu’on appelle « une belle gueule au sourire ravageur ». Il mesure presque un mètre quatre-vingt-dix, et comme il pratique beaucoup de sport, il a la carrure d’un rugbyman…

Aucune chance qu’Agathe me regarde, moi le petit gringalet de Seconde, d’autant plus que trois années nous séparent. Par chance, j’ai pris quinze centimètres ces derniers mois et je suis moins ridicule que le jour de la rentrée au lycée. Mais pour elle qui est en Terminale, il y a beaucoup plus attrayant que moi…

— Laisse le temps aller à son rythme, Tonio !

— C’est facile pour toi ! Moi, je suis toujours trop petit et pourtant, on me demande toujours plus que ce que je devrais faire ! je me plains.

En lui rendant son écouteur, je passe ma cigarette derrière mon oreille.

— Pauvre chou !

Pour se faire pardonner sa moquerie, elle m’attire contre elle et me fait un câlin. J’apprécie pleinement ces quelques instants où ma joue frôle sa peau chaude et douce. Je prolongerais bien cet échange de tendresse, mais le bus s’arrête devant le lycée.

— On est arrivés, poulette ! je lui annonce en lui tendant la main pour l’aider à se lever.

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