Chapitre 2 - 1805 -

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Chapitre 2

Sitôt descendus du bus, Marion et moi allumons notre cigarette devant le lycée, avant de rejoindre Dylan et Jimmy, deux potes de notre classe.

— Salut Speed, tu peux me filer tes exos de maths, s’te plaît ?

Chaque matin, depuis des années, c’est le même rituel ! Je suis le fournisseur officiel des devoirs maison. Jimmy et Dylan ne sont pas méchants, ils abusent juste de mon jeune âge. Mais aujourd’hui, j’ai décidé que ça allait changer ! Le petit Tonio, qui est désormais en Seconde, n’est plus celui qui se laissait influencer par les élèves plus vieux du collège ni celui qui cherchait désespérément à être apprécié… Finis les léchages de bottes pour gratter l’amitié ou les travaux scolaires gratuits. À partir de maintenant, c’est tout pour moi !

— Vous avez des clopes ? je réplique en les regardant tous les deux droit dans les yeux.

Non, mais sérieux, je ne veux pas être un simple distributeur à devoirs ! Dorénavant, il n’y a plus de potes qui vaillent ! Jamais plus je n’aiderai qui que ce soit, fini les concessions. Désormais, je me la joue perso, j’en ai marre des gars qui viennent me causer juste par intérêt, je n’ai pas besoin d’eux… Oui, j’ai tendance à être excessif dans mes choix, surtout ces derniers temps.

— Putain, tu me ruines ! pleure mon pote tandis qu’il ouvre son paquet pour compter s’il a assez de cigarettes pour la journée.

Jimmy a commencé quand il a arrêté de se ronger les ongles. Depuis, il est complètement accro, comme en témoignent ses doigts déjà jaunis malgré son jeune âge. Fumer différentes substances est son hobby dans la vie. Il a tout le look du reggae man qui va avec : T-shirt avec le drapeau de la Jamaïque et un vieux pantalon africain qui ne ressemble plus à rien. Ses cheveux, négligemment coiffés, épais et frisés, aux reflets à la limite du roux, lui tombent souvent devant les yeux. Il a manqué plusieurs fois d’y mettre le feu en s’allumant une cigarette. Il les laisse pousser, car il rêve de se tresser des dreadlocks. Ses traits grossiers sont couronnés d’une incisive cassée. Il aime bien recracher la fumée par ce trou en louchant sur le jet qui sort de sa bouche et c’est assez drôle à voir.

— C’est le deal ! Je ne file plus mes exos gratis ! Des clopes ou une pipe, je te laisse le choix !

Alors que je m’applique à rester sérieux, notre bande éclate de rire. Dylan en profite et met une tape dans le dos de son ami pour le pousser à être volontaire. Marion se cache le visage avec une main et rigole discrètement tandis que je jubile de ma répartie.

— Non, mais va te faire voir, petit con ! lance Jimmy en me faisant un doigt d’honneur. Je préfère encore me prendre une heure de retenue.

La cloche sonne, nous indiquant que la journée commence, à mon plus grand désespoir. Pour moi, cela signifie le début d’un long calvaire : plusieurs heures à rester sans bouger sur une chaise inconfortable, écouter inlassablement des profs déblatérer des choses que je maîtrise déjà, me soumettre à l’autorité d’un adulte qui a du mal à supporter ma présence parce qu’il n’a pas grand-chose à m’apprendre et devoir fermer ma gueule sous peine d’être puni.

Tous les élèves attroupés devant le bâtiment flambant neuf se dirigent vers l’immense portail métallique ouvert. Depuis des années, la valse des bus qui desservent l’école rythme la circulation de la vaste avenue. Le ronron des moteurs nous pousse à hausser le ton et les abords du lycée sont extrêmement bruyants.

Je balance mon mégot dans une jardinière sous le regard furieux du CPE qui m’observe à travers ses lunettes. Dans son costume noir, le visage fermé, il salue chacun d’entre nous pour signifier sa présence et son implication dans l’établissement. Quel que soit le lieu ou le moment, je sens quotidiennement ses yeux globuleux s’appesantir sur moi. Pourtant, derrière son allure sévère se cache un homme au cœur tendre que j’ai un malin plaisir à narguer.

Ce matin, je l’évite autant que possible et me faufile discrètement dans la cohue, mais malgré tout, il me repère au milieu des élèves.

— Bonjour Tonio, pas de mauvaise blague, aujourd’hui !

— Ah, bonjour m’sieur ! Pas plus que d’habitude… je lui lance par-dessus mon épaule.

Je traîne jusqu’au dernier moment dans la cour pour échanger avec mes amis sur la future sortie de surf que nous ferons dès que le temps le permettra. En mai, il y a vraiment de très belles journées, mais en ce moment, la mer est trop agitée pour nous. Alors nous consultons régulièrement la météo en rêvant du prochain spot*.

En arrivant en cours, je rejoins Marion au fond de la classe ; elle a toujours le fou rire à cause de ma remarque à Jimmy.

— Tu me fais trop marrer, tiens ! T’aurais eu l’air de quoi, s’il avait accepté de te faire une pipe ?

Je n’ai même pas envisagé cette éventualité. Qu’est-ce que j’aurais fait, s’il avait dit oui ? Je ne réfléchis jamais avant de parler et voilà le genre de situation improbable dans laquelle j’arrive à me mettre !

— T’es naze ! Je savais qu’il allait pas vouloir !

Le rire de Marion est communicatif et je partage vite son hilarité en observant Jimmy et Dylan mendier les résultats de l’exercice de Maths à tout le reste de la classe.

Lorsque la sonnerie de la récréation retentit, je décide que c’est le bon moment pour m’introduire tranquillement dans le bureau de la vie scolaire. Je m’active vers le couloir et interpelle Marion pour qu’elle me couvre :

— Tu dis à la pionne un truc sur la cantine, comme quoi on n’y mange pas à midi !

— Tu vas te faire serrer, Tonio, t’es chiant ! m’engueule-t-elle.

— Allez, s’te plaît !

Marion finit toujours par céder quand je mets en avant ma belle gueule. D’abord, j’insiste avec mon regard noir qui tue, puis j’avance exagérément ma bouche charnue pour mimer un bisou. Elle hésite quelques instants, jusqu’à ce que j’approche trop près mes lèvres des siennes.

— T’es chiant ! répète-t-elle en me repoussant. Demande à Mégane, elle au moins, elle rêve de t’aider !

— Vas-y avec elle, ça fera moins louche !

Je continue d’insister en levant excessivement mes sourcils pour la supplier quand elle finit enfin par craquer.

— Oh, putain ! T’es un malade ! Va te faire soigner ! râle-t-elle.

Elle se dirige vers la cour qui se remplit lentement d’élèves. Pendant ce temps, je rentre dans le grand hall. Les encadrements rouges des fenêtres contrastent avec le crépi blanc des murs du bâtiment principal. J’évite de courir pour ne pas tomber sur le sol brillant et souvent glissant. J’ai déjà eu une mauvaise expérience et ce n’est pas le moment de me faire remarquer.

Je dévie vers la salle polyvalente qui est complètement déserte, et j’atteins ainsi la vie scolaire. Le bureau de la surveillante trône au milieu de la petite pièce parfaitement rangée. Aucun effet personnel n’est mis en évidence. Je n’apprendrais rien de son intimité. Le local serait totalement aseptisé si le vieux bureau n’était pas en bois.

Je me suis déjà introduit ici et je ne ressens aucune pression lorsque je rabats la porte vitrée derrière moi. Je m’installe rapidement à genoux sous le pupitre, restant à l’écoute des différents bruits de couloir, mais rien ne m’inquiète. Le tiroir contenant le sac est fermé à clef, et comme les fois précédentes, notre pionne a oublié de verrouiller celui du dessus. Je n’ai qu’à le retirer complètement pour accéder à la petite sacoche en cuir noir. Je jette un coup d’œil vers la porte close. Ne détectant aucun signe de présence, j’ouvre le zip du sac pour en sortir le paquet de cigarettes tant convoité et je le mets sur-le-champ dans la poche de mon sweat à capuche. Enfin, je replace le casier et le referme avant de me lever. Je vérifie que la voie est libre en me plaquant contre la vitre fumée de la porte, les doigts serrant fermement la poignée. Puis, la tête haute et les mains dans les poches arrière de mon jean, je retrouve mon amie en grande conversation avec notre surveillante.

— Non, mais il est nul, le cantinier, c’est dégueulasse ce qu’il fait ! se plaint Marion.

— Donc, on vous compte pour les repas à midi ou pas ?

La pionne s’impatiente en supervisant l’extérieur du lycée avec ses yeux avisés qui voient tout, ou presque. Je m’impose à côté d’elles, sans me mêler de leur conversation.

— Ouais, c’est bon, lâche Marion en m’interrogeant silencieusement.

Mon regard approbateur lui fait comprendre que nous devons décamper au plus vite… Et nous plantons la surveillante au milieu de la cour.

— Elle n’a pas dû trouver ça louche du tout ! me reproche ironiquement ma pote en me prenant par le bras. Je n’ai rien dit à Mégane, on ne sait jamais !

— T’as eu raison ! Allez viens, on va s’en griller une dans les toilettes pour fêter ça !

Dans le bus du retour, toujours aussi chargé d’élèves, nous subissons les à-coups dus à la route cahoteuse. Marion est assise à côté de moi et entre deux virages, nous pouffons de rire en matant Sophie se faire tripoter par mon frère. Mon amie commence à lancer les paris :

— Moi, je dis que c’est pour ce week-end !

— Ce soir ! Tu m’as avoué qu’elle n’était plus pucelle !

— J’ai pas dit que c’était une pute non plus !

Marion s’offusque et me donne un coup dans le tibia. En riant, je m’avachis sur elle.

— Alors tu penses que ce sera quel jour ?

— Samedi soir, après le ciné !

— Ils vont au ciné ?

Je tente toujours de suivre mes frères dans leurs sorties. Peu m’importe l’objectif des festivités ou le film, tant que je fais comme eux. Je suis donc particulièrement attentif aux informations que me communique Marion.

— Ouais !

— On se tape l’incruste ?

C’est ma façon très délicate de l’inviter.

— Si tu veux ! accepte ma pote en souriant.

* Spot de surf = site ou endroit pour surfer ; il peut s’agir d’une vague, d’une plage ou d’un lieu qui s’en approche.

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