1/2 Chap.

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Autiste est mon amour

Assise à la table du salon, mais pourtant absente…
Elle a fermé les accès de son monde
Elle touche le papier du livre avec son esprit. Elle en sent, dans ses yeux, la texture rêche. Quand elle plisse les paupières, les feuillets se froissent.
Elle aime tous les papiers. Pour les différentes caresses qu'ils lui procurent, chacun signant à sa manière.

Puis, quand le papier ne fait plus que l'effleurer, que ses fibres sont moins prégnantes, elle laisse les mots danser dans son être.
Ils croulent sur son cuir…
Ils coulent sous sa peau…

Un sens après l'autre et c'est sans fin.
Après le papier, après les mots, elle ferme le livre et laisse errer ses mains. Alors tous les poincontact de son derme sont saturés par la matière.
Elle voit… elle sent les ondes de l'objet vibrer contre la pulpe de ses doigts, courir le long de ses nerfs et fleurir dans le foyer de son crâne.
C'est un livre relié de vélin, qu'elle aime, estampé de son titre. C'est un beau livre ancien dont l'odeur a initié le désir.

Elle appréhende plus difficilement les livres de poche à cause des images, sur la première de couverture. Les couleurs la dévorent si fort qu'elle se noie et perd le contrôle de ses autres sens.
Si elle veut l'amour d'un livre, il ne s'agit pas qu'il soit illustré, parce qu'il lui faut beaucoup de temps pour s'extraire des teintes, lorsqu'elle y plonge son regard : la couleur l'hypnotise, c'est un tourbillon qui agite son âme comme le vent tourmente la poussière.
Le plaisir du papier après cette confusion n'est pas aussi doux que quand elle peut y accéder directement comme maintenant.

J'aime l'observer.
Je regarde par dessus son épaule, ses mains qui carressent le cuir, j'imagine ses yeux fermés. J'allonge le bras pour tapoter la table à côté d'elle.
Elle me tourne le dos, ses cheveux longs, soyeux et brillants illuminent la pièce. Il me suffit parfois de la regarder pour que mon être se réchauffe.

Mon amour dans ton monde autiste, je suis un étranger…

Au fil du temps, elle a su m'apprendre à deviner -ou peut-être est-ce mon lien, si serré contre elle, qui me permet de le comprendre- elle a su m'apprendre l'étrange relation qu'elle a avec certaines choses.
Son esprit les touche comme si chaque molécule de l'objet se soudait à tous ces sens en même temps. Comme si sa pensée s'enroulait à la matière et qu'alors elle se liait à son odorat, son toucher, sa vue…

*

Ce bruit…

Ce bruit qui pianote incessant, agaçant « tap, tap, tap » à côté d'elle. Elle ne sent plus rien, son lien avec le livre est rompu…
Cette vibration persistante, trop forte, la désoriente, c'est pénible !
Où est-elle… OÙ DONC EST-ELLE ?
Je peux suivre sur son visage, les émotions qui la traversent, je tapote sur la table, elle s'agace.

*

Ça y est ! Elle se réveille, elle revient.
La panique dans ses yeux, c'est la porte vers notre monde.
Élaura, ma douce, ma gentille. Je suis là.

Elle est irritée, comme à chaque fois que je l'oblige à quitter sa sphère, lorsque que je trouble son amour d'un livre.
Et puis je pose ma main sur ses cheveux et j'attends un peu que s'éteigne dans son regard, cette étincelle de colère.
Ma présence affectueuse, presque l'indiffère. Elle m'offre une autre manière d'aimer.

Elle a besoin de moi, d'une manière insolite, différente des amours que chacun peut connaître et que je ne comprends pas vraiment. Je nourris quelque chose en elle.
Elle aime que je reste immobile, ou que si je me déplace, je le fasse lentement. Elle suit alors le mouvement de mon corps avec la même concentration que lorsqu'elle aime un livre. Elle dit que quand je bouge, je dessine dans l'air de belles harmonies, qui se répètent et qui la rassurent.

Moi, j'ai deviné quand je vais et viens, que je ne dois pas parler et quand je parle, il vaut mieux que je m’assoie. J'ai compris que, quand je la touche, ce doit être avec douceur et je veille alors à ce qu'aucun autre stimuli, ne nous dérange.
J'ai appris à vivre à son rythme. J'ai apprivoisé sa différence avec patience. Nous avons tissé un lien solide, entrelacé d'improbables et de rituels.

Je l'apaise, lorsque je suis à ses côtés : ma présence lui ouvre un sas de silence qui soulage le flux de ses perceptions.
Je ne suis pas toujours sage auprès d'elle, mes étreintes sont prudentes parce qu'elle les reçoit si fort. Mais après les délices du corps, elle est toujours très calme, sa chair repue, l’acuité de ses sens diminue enfin et elle peut alors s'éveiller un temps au monde commun. Ma belle aux bois dormants...

Je l'ai rencontrée dans un parc. Je courais après ma condition physique. Et tout à coup, à contre-jour, j'ai vu une silhouette dont la main tendue effleurait l'écorce d'un arbre. Je me suis approché. J'ai été saisi par la vision de cet être, dont l'attention toute entière était fixée sur l'écorce.

Séduit par sa gestuelle et son air absent, je l'ai questionnée, que faisait-elle ? Elle ne m'a pas répondu, je l'ai observée longtemps. Soudain, ses yeux ont papillonné et sans me regarder, elle m'a salué :
« Bonjour. »

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