2/2 chap.

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Et puis elle a tourné les talons, s'est éloignée. Je l'ai suivie. Je lui ai demandé s'il lui plairait de manger une glace. La gourmandise et la joie ont soudain habillé son visage ; elle m'a répondu oui, sans hésiter. Je la trouvais étrange et magnifique, comme une créature magique perdue dans un monde qui n'aurait pas été le sien.

Tous mes instincts de chevalier, tueur de dragons se sont dressés en remparts. J'ai compris qu'une telle relation, avec une fée, demanderait une cour obstinée, mais je connaissais déjà sa faiblesse de gourmande. Et dans mon château fort, à l'abri de mes murs, j'ai invité à entrer l'autre moitié de mon âme.

Des dragons, il y en a eu : intrusifs, gardiens forcenés d'une tour dans laquelle Élaura était en sécurité. À l'abri du monde, indifférente à sa condition, elle demeurait la captive dont les certitudes de ses proches avait figé la vie. Je ne sais plus combien de combats j'ai livrés, contre sa famille, contre les services sociaux, contre les psys ou les cadres juridiques…

À chacun, j'ai dû expliquer la force de mon attachement et prouver ma capacité à devenir le Champion de la dame. Je me heurtais aux préjugés dont ils accusaient le reste du monde. Ils revendiquaient pour elle son droit à l'intégration, et cependant, lui contestaient la légitimité d'une union. Mais je n'étais pas seul à vouloir, je portais la faveur et les couleurs de la demoiselle. Elle disait « quand », en parlant de nous. Elle disait « ils » en parlant d'eux, l'horizon de sa vie, dans sa tour ceinte lui était devenu trop étroit.

On me dit encore, parfois que ce n'est pas elle que j'aime, mais sa différence, son syndrome. Je ne suis pas de cet avis et ça m'est égal. Elle est un être à part, avec une incroyable palette de perceptions. Ses sens sont décuplés, toutes ses émotions y sont rattachées. Et je fais partie de sa dimension. Je suis le seul à y être entré.

Je suis, pour elle, une des choses qu'elle déguste.
Elle est, pour moi un tableau aux mille nuances. Son contact avec le monde, si différent, me fait sentir… L'intensité avec laquelle elle perçoit ce qui nous entoure, me rend…
Je ne sais pas.
Auprès d'elle je suis handicapé, incomplet et c'est elle ma prothèse.

Son trouble, c'est vrai, fait d'elle le diamant de mon espace. Mais elle aussi ! Évidemment, elle aussi : sa grâce, l'émerveillement et l'appétit avec lesquels elle traverse le monde, lorsque rien ne la perturbe. Et la vie ! La vie, en elle ! La vie qui l'habite quand elle aime l'eau, quand elle aime les tableaux, quand elle aime manger -les glaces surtout, dont elle me dit qu'ils cajolent son corps de l'intérieur-. Et les mots... qu'elle fait danser dans sa langue étrange. C'est tellement beau ce qu'elle dit de son univers. Je mesure alors l'intensité de son rapport avec le monde, il est ardent, fort et vigoureux. Je n'ai pas ce qu'il faut pour éprouver cette puissance de l'instant.

J'ai choisi de me passer de cet amour conventionnel qu'elle ne peut pas me donner, pour recevoir la vie avec laquelle elle me contamine. Ma main quitte sa tête : « Élaura, je suis rentré. »

Je tourne lentement sur moi-même, je n'aime pas l'irriter. Un sourire dans ses yeux me dit que c'est fini, l'orage est passé :
« -Nous allons déjeuner. Je t'ai acheté un livre, je te le donnerai plus tard. Tu l'aimeras demain ? -Comment vas-tu ? » Me demande-t-elle.

Je souris à sa question rituelle, elle s'en fiche en vérité, ou plutôt, si je lui déclare que je vais bien, c'est la même chose que si je lui confesse que je vais mal. C'est une information... relativement sans intérêt.

À un certain seuil de sa conscience, je pense que si je lui disais que je vais mal, je serais moins harmonieux et je l’inquiéterais un peu. Alors je réponds avec un demi-sourire :
« Je vais... très bleu. »

Elle me regarde brièvement se déplace de quelques pas, range son livre et va mettre la table. Élaura, mon âme, cette après-midi, sur le temps d'improvisation que tu m'autorises, nous irons au parc. Il fait beau dans le monde que tu me tisses. Tu caresseras le vieux chêne. Et nous irons manger une glace. J'anticipe le plaisir que j'ai de t'entendre rire, chatouillée par la lumière.

J'ai hâte de te voir fermer les yeux, dans le souffle du vent et bouger pour suivre ses courants.

Dans la lumière de ton être, je me sentirai tellement vivant.

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