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Si la lenteur avait un prénom, en cet instant, elle se nommerait Maïeul. C'est que, désormais qu'il sait que le père de Myranda et Archibald montent à l'étage, dans la chambre, avec lui, il traîne la jambe. Et puis Archibald l'agace : qu'est-ce qu'il a, à le fixer de la sorte ‽ Il a une oreille qui lui pousse sur le front, ou quoi ‽ Son regard sur lui est insupportable, à la fin !

Mais bon sang, comment va-t-il se débarrasser de ces deux-là ‽ Qu'est-ce qu'il en a à foutre, de ce putain de ballon ! C'est Myranda, qu'il veut ! Et si... Non, quelle idée saugrenue et idiote ! Mais peut-être que...

Son cerveau n'a pas matière à s'embourber plus longtemps dans les méandres boueux de son esprit. Les voilà devant la porte de la chambre, malgré ses muscles rendus lourds et mous par la désillusion.

Le père de Myranda ouvre délicatement la porte.

Comment a-t-il fait, avec ses grandes paluches s'étonne sincèrement Maïeul en entrant dans la pièce à la suite d'Archibald.

Le père de Myranda reste sur le pas de la porte, son sourire indulgent toujours plaqué sur son visage.

Maïeul se prend les pieds dans le tapis et se rattrape au pied de lit : à son plus grand désespoir, le lit est vide. Il sent son cœur se déchirer. Où est-elle ? Où est Myranda ? panique-t-il intérieurement. Immédiatement il imagine le pire. Et s'il l'avait tuée à cause de ce maudit ballon et de cette fichue fenêtre ? Elle aura pris froid, à tous les coups !

Archibald éclate de rire, le ballon serré contre lui, ramenant Maïeul à l'instant présent. Le père de Myranda, qui avait les sourcils froncés d'inquiétude, se détend en comprenant qu'il y a eu plus de peur que de mal. Maïeul lui sourit, cachant sous un voile factice de timidité sa contrariété et sa tristesse de ne pas voir Myranda, malgré le vent de panique passager qui venait de le secouer et qu'il avait en vitesse balayé sous le tapis. Quel père digne de ce nom ouvrirait aux crétins de petits-fils des voisins qui ont cassé sa fenêtre, et en plus en souriant, alors que sa fille aînée vient de trépasser ‽

— Et après c'est moi que tu traites de maladr...

— Bald, fais g... affe...

— Trop tard ! chouine Archibald en frottant son genou écorché alors que le ballon roule aux pieds de leur hôte. C'est ta faute aussi, là, tu m'as distrait, t'es méchant ! s'emporte-t-il ensuite en repoussant Maïeul, qui essaye de le serrer contre lui pour le consoler.

— Pauvre petit monstre ! Je vais te mettre du rouge et un pansement avec le dessin que tu veux ! Suis-moi ! s'exclame le père de Myranda à l'intention d'Archibald.

Le concerné esquisse un sourire satisfait et, discrètement, fait un clin d'œil à son grand frère. Puis il se lève et sort de la chambre pour se rendre, très certainement, dans la salle de bain. Maïeul lève les yeux au ciel : quel charmeur, celui-là !

Il ne sait absolument pas comment Archibald a deviné qu'il voulait se retrouver seul dans la maison, et pour le moment, il s'en fiche royalement : il aura tout le temps de le lui demander plus tard ! Les lèvres pincées, il jette un coup d'œil à la fenêtre, à laquelle un drap a été temporairement accroché pour ne pas laisser entrer l'air de l'extérieur et éviter tout courant d'air. Puis il hausse les épaules, se retourne et, sur la pointe des pieds, arpente le couloir.

Du même côté du couloir, il y a deux autres portes. Sur chacune, il y a des un prénom et des décorations d'enfants. Il découvre que le petit frère de Myranda se nomme Alfred, et sa petite sœur Laura. Il sourit en imaginant les deux enfants, puis décide que Myranda n'est pas dans l'une de ces chambres. S'il était malade et qu'on le déplaçait dans la chambre d'Archibald, il en ferait des cauchemars ! De l'autre côté, il y a deux portes, sans signes de distinction particuliers.

Il tente de voir par l'interstice de la première porte, sans succès. Il pose son oreille contre le bois joliment vernis : il n'entend rien. Il se retient de soupirer. De longues secondes, la main au-dessus de la poignée, immobile, il hésite. Puis il prend une grande inspiration et tourne la poignée...

Son cœur bat beaucoup trop vite pour lui. Il n'arrive pas à suivre sa cadence et sent son cerveau manquer d'air. De la sueur coule le long de son front et lui brûle les yeux, le faisant pleurer contre son gré. Il s'essuie le visage de ses mains et, enfin, il cesse de regarder sa main encore sur la poignée et fixe intensément le lit. Le reste de la pièce ne l'intéresse pas : il pourrait y avoir un hippopotame qui danse la macarena qu'il n'en aurait rien à faire.

Ce qui compte, c'est la silhouette malingre dont la poitrine s'abaisse et s'élève très lentement. Il sourit alors qu'il sent toute la tension accumulée depuis qu'il l'a quittée le matin déserter son corps : Myranda est là, et elle dort paisiblement !

Il veut refermer discrètement la porte, mais celle-ci affirme son désaccord en grinçant : il la laisse entrouverte et s'avance du lit à pas de loup, tremblant de tout son être. Il remarque la chaise au chevet de Myranda, mais reste obstinément debout. Des frissons agréables lui parcourent tout le corps : c'est si bon de la regarder dormir, elle semble presque ne pas souffrir, en comparaison à ses moments d'éveil. Les valises sous ses yeux semblent avoir perdu de leur noirceur et ses beaux cheveux sont moins noyés dans sa transpiration que lors de leur rencontre. Elle est pâle, certainement bien trop, et Maïeul visualise très clairement la poupée de porcelaine exposée au-dessus du vaisselier de sa grand-mère et qui le faisait frémir d'horreur quand il était petit. Il trouve que ce teint lui va bien, à Myranda.

Il tend sa main au-dessus du visage de cette dernière et mime une lente et douce caresse, sans pour autant oser la toucher. La jeune femme ouvre les yeux et lui sourit tendrement. Il se sent idiot, mais il est incapable de bouger, sa main toujours au-dessus du visage de sa nouvelle amie, dont le sourire s'élargit au fil des secondes.

— Bonjour, Maïeul avec un i, pas avec un y... souffle-t-elle laborieusement avant de produire un long râle.

La respiration difficile, elle se redresse pour tenter de récupérer un peu d'air, sans quitter Maïeul du regard, heureuse comme un pape.

— Bonjour, Myranda avec un y, pas avec un i...

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