7. Amour & Lâcheté

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« Anna ! Anna réponds-moi s’il-te-plaît ! ». Anna est inerte, allongée sur le sol entre les débris, couverte de sang. Un gros morceau de taule l’écrase et empêche Julio de la déplacer. Il essaye de le soulever une fois, deux fois, trois fois, en grimaçant de douleur... Rien à faire, il ne bouge pas d’un demi millimètre. Alors il s’accroupit à côté d’Anna, il place deux de ses doigts sur le cou de la jeune femme... Il peine à y croire, c’est incroyable... Elle respire encore !

« Anna ! Anna c’est Julio ! Anna réveille-toi !! ». Il lui attrape la main, la serre contre son cœur et lui caresse les cheveux. « Anna je suis là. Anna ça va aller. Accroches-toi ». Il crie à l’aide. Mais tous les secouristes sont débordés, personne n’entend son appel... Le jeune homme est anéanti devant le corps de son amie. Il s’accroche à sa main. Il ne peut la lâcher. Il se sent tellement impuissant. Il faut qu’il aille chercher quelqu’un, il faut qu’il la sorte de là le plus vite possible... Sinon elle va mourir...

« Anna je reviens... Je vais chercher de l’aide... Lâche pas je t’en prie... Je reviens... ». Il regarde la jeune femme. Même dans cet état, elle est magnifique. Il l’embrasse tendrement sur la main. Alors qu’il s’apprête à se lever, il sent la main d’Anna effectuer une petite pression sur la sienne. Une voix extrêmement faible mais d’une infinie douceur lui soulève le cœur.

« Julio... ? Julio c’est toi.. ? ». La jeune hôtesse de l’air ouvre doucement les yeux et esquisse un sourire en croisant son regard. Elle voudrait parler, lui demander comment il va, hurler au monde qu’elle est vivante, mais elle ne parvient pas à trouver la force de faire sortir les mots de sa bouche. Elle ne sent rien, aucune douleur. Elle a juste l’impression que le seul fait de respirer lui demande un effort incommensurable. Julio murmure son prénom encore et encore, les larmes coulent sans discontinuer sur ses joues. Elle peine à garder les yeux ouverts. Alors elle les referme et perd connaissance.

« Anna !! Anna non !!! À l’aide !!! À L’AIDE !!!!! ». Julio hurle comme il n’a jamais hurlé. Des pompiers entendent son appel et courent à son secours. « Aidez-la je vous en supplie !!! Elle est vivante ! Aidez-la... ». Voyant Anna prisonnière des décombres, ils appellent du renfort. Ils doivent s’y mettre à huit pour réussir à dégager la jeune femme. Enfin libérée, tous s’affairent autour d’elle. La jeune hôtesse est en arrêt cardio-respiratoire.

Un peu plus loin, Sandro étiqueté comme « blessé léger, urgence relative » par les pompiers réalise peu à peu l’ampleur de la catastrophe à laquelle il a réchappé. D’un coup il commence à se sentir mal, à culpabiliser. Et pour cause, une image ne quitte pas son esprit depuis quelques minutes. C’est le visage de Colette, la petite mamie, qui tout ensanglantée l’a supplié de l’aider à sortir de l’avion avant que la partie arrière n’explose. Il se revoit détourner le regard et l’ignorer sciemment pour qu’il puisse, lui, sortir vivant. Il essaye de se rassurer comme il peut « il fallait que je sauve ma peau, merde. Tout le monde aurait fait comme moi. » Mais il sait bien en son fort intérieur que la plupart des passagers auraient aidé la vieille dame avant de penser à leur propre survie. Colette aurait sûrement pu survivre s’il l’avait emmenée avec lui. Il repousse ses pensées culpabilisatrices et fait le tour de l’avion, comme détaché de tous les corps qui gîsent au sol. Un homme lui tend une main désespérée mais il la repousse. Il ne veut pas voir tout ça, il ne veut pas être là. Il veut rentrer chez lui, là, maintenant.

Tout à coup, son sang se glace. Il aperçoit un peu plus loin, une silhouette qui lui est familière. Il ne veut pas croire ce qu’il voit, pense à faire demi-tour et finalement s’approche. Sa sœur. « Putain mais qu’est-ce qu’elle foutait là ?! ». Et puis il se rappelle. Roxane travaillait au restaurant de la Tour Eiffel comme serveuse depuis quelques jours. Une mission en intérim qui ne devait durer que deux semaines. Elle n’avait aucune envie d’y travailler, mais elle avait un loyer à payer, des courses à faire, de l’essence à mettre dans sa voiture. C’était son petit ami Franck qui lui avait trouvé ce travail. Il travaillait comme cuisinier dans le même restaurant. Sandro se rappelle au dernier repas de famille comme le jeune homme était fier d’y avoir trouvé une place. Il avait habité de longues semaines dans la rue en arrivant d’Allemagne. Il s’était battu pendant des mois pour prouver sa valeur.

Mais là, tout de suite, le copain de sa sœur n’entre pas dans la liste de ses priorités. De toute façon, il ne l’aimait pas. A cause de lui, sa sœur ne l’appelait plus aussi souvent qu’avant et surtout, elle semblait ne plus avoir besoin de lui pour vivre. Elle se débrouillait toute seule et Sandro qui vivait encore chez leurs parents se sentait minable à côté d’elle. D’ailleurs ses parents ne tarissait pas d’éloges sur sa petite sœur.

« Roxane ? Oh Rox’ tu m’entends ? ». Sandro n’ose pas la toucher. Sa sœur gît sur le ventre, inconsciente, une grosse plaie sur le crâne qui saigne sans discontinuer. Il pense à fuir, faire comme s’il n’avait rien vu. Mais c’est sa sœur. Merde, il ne peut pas faire ça ! Il s’accroupit à côté d’elle et la secoue un peu pour qu’elle ouvre les yeux. Mais le visage de la jeune femme reste figé, blanc comme un linge. Sandro lui prend la main, pas de pouls au niveau du poignet. Il se recule en faisant un bond. Il comprend que sa sœur est morte. Qu’il n’y a plus rien à faire pour elle. Son esprit se remplit de pensées contradictoires. Il aimait sa sœur, mais il était aussi terriblement jaloux d’elle. Il se revoit quelques semaines plus tôt, souhaitant presque qu’il lui arrive quelque chose pour qu’il puisse reprendre son rôle de grand frère modèle, protecteur... qu’elle ait besoin de lui. Mais il ne voulait pas qu’elle meurt. Oh ça non... ! Que va-t-il bien pouvoir dire à ses parents. Non. Impossible qu’il affronte leurs regards. Il fera comme-si. Comme si il ne l’avait pas vue. Comme s’il attendait désespérément de ses nouvelles. Il détourne le regard du corps sans vie de sa petite sœur et retourne vers les camions de pompier pour être évacué de cet endroit de malheur.

De son côté, Thomas, un jeune pompier de 30 ans se bat toujours pour tenter de sauver Anna. Quand la sirène a sonné dans la caserne il y a quelques minutes, il n’imaginait pas devoir intervenir sur un événement d'une telle ampleur. Le papier qu’il avait reçu stipulait seulement « accident à la Tour Eiffel ». En arrivant sur la scène, lui et ses collègues avaient eu une seconde de stupeur, horrifiés par ce qu’ils voyaient. Ils ne savaient pas vraiment par où commencer tellement le chao régnait sur la place. Il fallait étiqueter les gens. C’était ce qu’on lui avait appris : évacuer en priorité les urgences absolues, rassurer et faire patienter les urgences relatives. Il avait commencé à prendre en charge une petite dame, blessée au bras et à la jambe. Il lui avait parlé doucement, sans vraiment pouvoir cacher les tremblements de sa voix. Alors qu’il se relevait pour secourir d’autres personnes, il avait entendu le cri d’un jeune homme. Le cri de Julio. Il s’était précipité à son secours et avait découvert le jeune steward prostré à côté d’une jeune femme prisonnière des décombres. Son état était préoccupant. Après l’avoir extirpée des débris, cela faisait déjà quelques minutes qu’il essayait de faire repartir son cœur. Il voyait du coin de l’œil, le jeune homme en larmes. Ces deux-là devaient compter l’un pour l’autre. Julio lui fait de la peine. Il ne peut s’imaginer perdre la personne qu’il aime.

Alors il donne tout ce qu’il a, il le fait avec ses tripes. Comme si c’était sa femme qu’il essayait de sauver. Il choque plusieurs fois la jeune femme, mais rien. Alors il recommence encore et encore. Rejoint par les médecins du SAMU, ceux-ci lui injecte une dose d’adrénaline. Nouveau choc. Toujours rien. « Charge à 200 ! ». Le corps d’Anna se soulève sous le choc. « Encore ! Charge à 300 ! ». Il ne peut pas abandonner. Elle est trop jeune pour mourir. Alors il recommence. « Une dose d’adré et on recharge à 300 ! ». Julio regarde la scène anéanti. Tout ce monde qui s’agite autour d’Anna... Tous ces pompiers et médecins qui la regardent d’un air inquiet... Mais surtout son visage à elle... D’habitude si expressif, il est à présent totalement figé... Il a peur. Peur de croiser un regard qui pourrait lui faire comprendre qu’ils n’arriveront pas à la ramener, peur que les pompiers décident de tout arrêter, peur de ne plus jamais entendre le son de son rire, ne plus voir son sourire se dessiner sur ses lèvres, ne plus entendre sa si jolie voix...

Peur de la perdre.

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