8. Urgence absolue

7 minutes de lecture

Un homme s’avance agar. Il a la chemise déchirée, ses lunettes sont cassées et il lui manque une chaussure. Il ne parle pas français, seulement anglais. C’était la première fois qu’il venait sur Paris. Il était arrivé quelques jours plus tôt avec sa femme Mary et ses beaux-parents. C’était leur dernière escapade entre adultes car Mary était enceinte. Dans leur petit village perdu en plein milieu de l’Ecosse, la vie était paisible alors qu’ici, tout allait à mille à l’heure. Lui ne savait pas vraiment si il aimait ça, mais sa femme était sous le charme de la capitale française. Ils avaient décidé de terminer leur voyage par le monument emblématique de la France : la Tour Eiffel. Il était impressionné par la grandeur et la prestance de son architecture. Arrivé en haut, ils avaient pu observer l’incroyable vue sur la ville de Paris. Sa femme s’était blottie dans ses bras, subjuguée par ce qu’elle voyait. Ses beaux-parents était en train d’immortaliser ce moment, appareil photo en main, quand des gens s’étaient mis à crier. Il avait à peine eu le temps de tourner la tête que l’avion avait percuté le bas de la tour. Après c’était le trou noir. Il s’était réveillé seul, sous des dizaines de morceaux de ferraille dont il avait miraculeusement réussi à s’extraire sans trop de problèmes. Une femme était venue lui proposer de l’aide, mais il n’avait rien compris à ses paroles. Il parle vraiment mal le français... C’est une langue tellement difficile. Mary, elle, savait manier la langue de Molière : elle était partie un an dans un petit village du Sud de la France, tout près de la mer, pour ses études. Elle avait un tel amour pour ce pays... Sa nourriture, ses paysages, ses vins, sa culture, ses petits villages perdus au milieu de la garrigue, l’accent qui habitait les gens du sud, la douceur de vivre qu’on pouvait ressentir,... Depuis son retour en Ecosse, c’était des étoiles plein les yeux qu’elle vantait les mérites de ce pays, enseignant le français dans différentes petites écoles.

Un pompier s’approcha de lui. « Monsieur, vous êtes blessé ?? Venez avec moi, je vais m’occuper de vous. ». Il le regarde avec des yeux ronds. Il n’a rien compris. « I don’t speak french... ». Le pompier lui fait un grand sourire « Okay, no problems. What is your name ? ». « My... my name is Paul. I lost my wife… She should be somewhere around here…![1] ». Il lui tend la main et sans perdre son sourire « Ok Paul. Come with me. Firefighters will be looking for your wife[2] ». Paul saisit la main du jeune pompier avec un regard interrogateur et le laisse le mener dans le camion, non sans un dernier regard derrière lui.

En chemin, il croise Thomas, toujours en train de se battre pour sauver Anna. Cela fait déjà plusieurs minutes qu’ils font leur maximum pour ramener la jeune hôtesse de l’air. Le désespoir se lit de plus en plus dans les yeux des pompiers. Julio ne l’a pas quittée une seule seconde et lui caresse toujours tendrement les cheveux. Il ne cesse de lui parler.

Tout à coup, alors que plus personne n’y croit... Un battement. Thomas sursaute. A-t-il bien entendu ? Visiblement oui... Car un deuxième battement se fait entendre, puis un troisième, et un quatrième... Elle est revenue ! Pendant quelques secondes, tous restent bloqués, observant ébahit, soulagés et émerveillés, le miracle de la vie qui revient. Julio est tétanisé de bonheur. Le son de ces battements de cœur... C’est le plus beau son qu’il n’a jamais entendu. Il s’effondre avec de gros sanglots. Il ne peut plus s’arrêter.

Thomas met Anna sous oxygène. Il sait qu’ils viennent de remporter une bataille – une sacré bataille – mais que la guerre n’est pas encore gagnée... Le pronostic vital de la jeune femme est encore fortement engagé... Elle est dans le coma. Il faut la transférer en urgence à l’hôpital. À chaque seconde qui passe, son cœur pourrait s’arrêter une nouvelle fois. Après l’avoir soulevée délicatement et posée sur une civière, c’est en courant qu’ils se dirigent vers une ambulance du SAMU. « Urgence absolue, on l’emmène immédiatement !! » annoncent-ils à leurs collègues. Julio se fait arrêter à la porte de l’ambulance. Ils ne veulent pas l’emmener. Alors il les supplie, hurlant qu’il ne peut pas l’abandonner. Il supplie encore et encore.

Pressés par le temps, les urgentistes cèdent et laisse Julio monter dans le véhicule et retrouver la main d’Anna qu’il avait dû lâcher lorsque son cœur s’était arrêté.

Thomas regarde l’ambulance démarrer en trombe. Pour lui, son travail s’arrête là. La frustration monte. Il a tout donné pendant l’intervention et il sait qu’il n’aura pas de nouvelles de la jeune femme. Il ne saura pas si elle va survivre, avoir des séquelles ou non, ou tout simplement ne jamais se réveiller... Cette absence de « fin » à l’histoire, il ne s’y est jamais habitué. Il trouve cela tellement ingrat. Pour lui, c’est la pire partie de son métier. Mais il se reprend et retourne sur le lieu de la catastrophe, sauver les vies qui peuvent encore être sauvées.

Paul, le touriste écossais, se retrouve aussi sous une tente médical à côté de Margaux. La jeune fille est statique sur sa chaise. Depuis plusieurs minutes, elle n’a pas bougé un membre, n’a pas prononcé un seul mot. Ses parents devraient arriver d’une minute à l’autre, ce sont les pompiers qui les ont appelés. Après un rapide check-up, les médecins se sont occupés de bander sa jambe blessée et l’ont rassurée. C’est une plaie superficielle et miraculeusement, rien n’est cassé. Il lui faudra aller à l’hôpital pour recoudre la plaie et faire des vérifications supplémentaires mais tout semble aller bien. Malgré ces bonnes nouvelles, Margaux s’est enfermée dans sa bulle. Elle aimerait réussir à pleurer pour évacuer la pression mais depuis que la jeune violoniste l’a laissée avec les médecins, elle se sent vide.

Une femme passe et s’arrête au niveau de Paul et Margaux. Elle doit avoir la quarantaine, plutôt jolie, des cheveux noir de jais qui bouclent jusqu’à ses épaules. Elle porte de fines lunettes qui lui donnent un air important. En fait, elle leur explique qu’elle est psychologue, spécialisée dans la gestion des catastrophes de masse. Si ils éprouvent le besoin de parler, ils peuvent venir vers elle. Margaux, toujours immobile, acquiesce. Mais elle n’a pas envie de lui parler. Elle veut juste que ses parents arrivent le plus vite possible et qu’ils la ramènent à la maison.

Justement, les voilà qui arrivent, essoufflés et paniqués. Ils ont bataillé pour que les policiers les laissent accéder à la place, puis ont été confrontés avec effroi à la scène qui se jouait devant leurs yeux. Plusieurs tentes médicales avaient été montées en urgence et c’est, non sans peine, qu’ils avaient dû interpeler différentes personnes pour savoir où se trouvait leur fille.

Ils balayent la tente du regard à la recherche de Margaux. Il y a du monde sous le poste de secours : beaucoup de gens pleurent discrètement, un bandage sur le bras ou sur une jambe. Ils restent sans voix devant la scène. C’est la première fois qu’ils voient autant de blessés, autant de sang, autant de terreur. Ils sont atterrés. Ils n’osent imaginer dans quel état ils vont revoir leur fille et encore moins ce qu’elle a dû vivre. Elle était quand même dans un avion qui maintenant est en miettes. Alors que l’horreur ne fait qu’augmenter, ils aperçoivent Margaux qui se dirige vers eux, clopin-clopant. Ils se précipitent à sa rencontre et la prennent dans leurs bras, la serrant aussi fort qu’ils le peuvent. La scène est émouvante. Cette famille dans les bras les uns des autres... Les larmes se mêlent aux mots qui se mêlent aux baisers... Si Paul devait donner une définition de l’amour, à cet instant précis, il donnera cette image.

« Bonjour c’est Roxane, je ne peux pas vous répondre, merci de laisser un message et je vous rappellerai!». Maria, la mère de Roxane et Sandro est bloquée devant la télévision. BFM TV diffuse en boucle les images du carnage de la place de la Tour Eiffel... Sans Tour Eiffel. Elle sait que sa fille y travaille depuis quelques jours. Et elle sait qu’à l’heure qu’il est, elle devait sûrement être en plein service. Elle retente encore et encore. Toujours le répondeur.

Soudain, sur son écran de télévision, son cœur s’arrête. Sandro. C’est bien son fils qu’elle voit, déambulant entre les décombres. Elle ne comprend pas. Il a pris un avion ce matin pour le Canada, c’est même elle qui l’a déposé à l’aéroport peu avant midi... Comment est-il arrivé là ? Et d’un coup elle fait le lien. L’avion, le crash, la Tour Eiffel. Elle comprend que ses deux enfants ont été frappé par cette attentat. L’un dans l’avion assaillant, l’autre dans la Tour Eiffel visée.

Elle compose immédiatement le numéro de son fils mais soudain, elle voit une image qui lui glace le sang. C’est Sandro, agenouillé au chevet d’une jeune femme. Il la secoue un peu, lui prend la main, puis il la repose. C’est alors que Maria reconnaît le visage de sa fille. Bien sûr c’est un peu flou sur la télévision mais elle la reconnaîtrait entre mille. Alors qu’elle s’effondre, c’est avec effarement qu’elle voit son fils s’éloigner et abandonner sa propre sœur sans même un regard.

[1] « J’ai perdu ma femme... Elle devrait être quelque part autour d’ici. »

[2] « Venez avec moi. Les pompiers vont rechercher votre femme. »

Annotations

Vous aimez lire Marianne Chapelle ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0