Chapitre 4

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    Une fois mon repas englouti, j'essayai de comprendre comment on avait pu me le faire parvenir. Il n'y avait aucune explication. Encore une fois, je me noyais dans une incompréhension absolue. Personne n'était entré, je l'aurais forcément entendu, frôlé ! Et il n'y avait toujours aucune trace d'ouverture quelle qu'elle soit. J'avais l'impression que ma pensée était en mode “ replay ”. Toujours les mêmes conclusions, toujours aucune réponse. Je ne renonçais pas. Assise en tailleur à l'endroit précis où l'assiette était apparue, je commençai à attendre. Si jamais d'autres victuailles m'avaient été offertes, j'aurais été prête à les accueillir, et surtout à saisir leur origine.

    Au bout d'un temps fracturé, indéfinissable, interminable, je dus finir, inéluctablement, par m'effondrer de fatigue. Quand mes paupières se rouvrirent cette fois-ci, une sensation étrange se déversait dans mon corps. J’avais l’impression qu’il fonctionnait au ralenti, il me semblait avoir dormi très, très longtemps. Plusieurs jours. D’ailleurs, je ne me souvenais pas m’être endormie… Aussitôt, le froid s'engouffra dans mes veines, puis mêlé à la faiblesse, se répandit dans tous mes membres. Je m'étais sentie si rassurée quand je m'étais délectée de ces quelques légumes verts et de ce morceau de poulet tant désirés… La nourriture avait réchauffé tout mon être, au point que le froid auquel je m'étais habituée avait disparu,  et il revenait à présent me mordre de ses dents de glace.

    Je tâtai le sol autour de moi, prise d'un doute… Il n'y avait rien, rien à manger. J'en avais tellement besoin pourtant…

    Mes yeux, dont le mouvement avait accompagné mes mains, vers le sol, faillirent sortir de leurs orbites. Il y avait une lumière, par terre. Enfin… peut-être pas exactement sur le sol, puisque quand je tentai de la recouvrir de ma main, elle était encore là, je la voyais, en dessous, en diagonale. Le petit point phosphorescent se trouvait donc sous le sol ! Je ne marchais donc pas sur du métal, mais sur une matière transparente !! Cette lueur verte n’était-elle pas un signe de vie ? La preuve que je n’étais pas seule ? De quoi pouvait-il s’agir ? Je retirai ma main, voulant coller mon visage au sol pour peut-être mieux distinguer ma trouvaille, mais… Elle avait déjà disparu, aussi vite qu’elle était apparue ! Non !! Ce n’était pas possible ! Je ne pouvais pas avoir rêvé ! Ma mâchoire se crispait indépendamment de ma volonté, mes nerfs allaient lâcher… J’essayai de respirer calmement.

— Sois forte Rosalie, tu as déjà supporté la faim et le froid, tu peux continuer. Ne lâche rien ! Tu dois vivre. Vivre pour savoir qui te fait subir cela, et pourquoi… Et puis cette faible lumière et la nourriture ne sont-elles pas la preuve que tout n'est pas perdu ?

    Il y a donc quelqu'un dehors qui se souvient encore de toi !

    J'avais murmuré ces quelques mots, presque imperceptiblement, bien que j'eusse essayé d'y mettre le plus de volume possible. Je me parlais souvent à moi même.

    Depuis ce moment, c'est devenu une habitude récurrente. Je ne cesse plus de parler à voix haute. Cela me permet de ne pas devenir folle ; à moins qu'au contraire ce soit là la preuve que j'ai déjà sombré ?

    Je me réinstallai contre le mur circulaire, en chien de fusil.

    Quelque temps après je trouvai une seconde assiette, mais cette fois elle ne contenait qu'un morceau de pain et un verre d'eau. Ce changement de régime était pour le moins radical, et injustifié ! La frustration forma une boule dans ma gorge, tandis que je grignotai la croûte rance, en pensant au poulet juteux et fumant. J'avais cependant compris le message : j'avais tenté de m'interposer, de comprendre, donc j'étais punie. Si je voulais manger, je ne devais pas chercher à savoir et m'estimer heureuse de ce que j'avais.

    Désormais, à intervalles réguliers, mes mains rencontraient le rebord de l'assiette au centre de la pièce, contenant toujours l'identique et trop maigre ration. C'était suffisant pour que je survive.

    Pas pour que je vive. Je n'étais plus qu'un zombie, dont la morte existence n'était rythmée que par des crises d'hystérie, un sommeil harassant, une faim affreuse, piteusement comblée. L'espoir invincible qui m'animait et dont la lumière s'était assoupie en moi s'était pourtant réveillé : ce rituel-de-l'assiette-fantôme, comme je l'appelais, résonnait comme le tic-tac d'un métronome pour moi. Il me sauva en effet physiquement, grâce à son minuscule morceau de pain rance et son verre d'eau, mais aussi psychologiquement, par sa présence et sa régularité. C'était mon seul repère.

    Je ne désespérais pas non plus de voir réapparaître la lumière verte, même si ça ne m’aurait sans doute pas aidée davantage.

    Tout le reste n'était que flou et incertitude.

    Mon quotidien cauchemardesque allait pourtant bientôt être renversé, la loque que j'étais devenue allait bientôt être réanimée par un événement que je n'osais même plus attendre...


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