Chapitre 2

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J’ouvris mes paupières sur l’obscurité. C’est mon souvenir le plus ancien. J’étais apparemment endormie par terre, et je me suis réveillée. Je m’accroupis. Je tentai de distinguer mon environnement, mais… impossible. Il faisait nuit noire. A vrai dire, nuit, je ne sais pas. Mais le noir complet. Pas de quoi s’inquiéter, a priori, il fallait juste que j’allume la lumière. Je me levai, puis j’avançai à tâtons, les bras tendus à l’horizontale devant moi, dans l’hypothèse d’éventuels obstacles.

Après une dizaine de pas, assez maladroits - j’avais l’impression que mes jambes étaient en coton- mes mains heurtèrent une paroi lisse. Un mur ? Je le suivis, en y collant ma main droite. Je m’aperçus que le lieu où je me trouvais était une pièce ronde. Le mur était continu et décrivait un cercle parfait. Pourquoi pas. J’étais plutôt obnubilée par un détail à cet instant, et pas des moindres : je n’avais rencontré ni fenêtre, ni porte, ni interrupteur. Il n’y avait pas d’issue. Et aucun moyen de voir ne serait-ce que le bout de son nez. Cela me paraissait tellement invraisemblable, je refis le tour à trois reprises, avant d’accepter ce que mon toucher me démontrait.

J’avais besoin de réfléchir calmement, je m’assis contre le mur. Le sol était froid, parfaitement lisse, d’allure métallique. Je fermai les yeux (ce qui ne changeait rien, mais ça m’aidait à me concentrer). Je n’entendais rien. Pas un bourdonnement, pas un souffle, le néant. Un doute m’assaillit, je lançai un “ bonjour ? ”. Ouf, je n’étais pas sourde. Ma prison était seulement parfaitement silencieuse. Et noire. Et vide. Tout naturellement, pour ne pas céder à la panique absolue qui me gagnait, je décidai de me rappeler comment j’avais atterri là. C’est à cet instant précis que la terreur me frappa. Je ne me souvenais pas. De rien. Comme si ma vie avait commencé au moment où j’avais ouvert les yeux. Pourtant, non. Je me rappelais des choses qu’un nouveau né ignore : la couleur du ciel, l’aspect d’un chien, l’odeur des roses, les ustensiles nécessaires pour préparer une tarte aux pommes…

Mais rien de personnel. Même pas mon propre nom. Ni mon sexe. La connaissance de cette dernière information avait été aisée, il m’avait suffi de longer mon corps de mes mains : j’étais une femme. Assez petite, avec des cheveux ondulés jusqu’aux épaules, j’étais mince.

J’étais française, quoique, pas nécessairement. Francophone, du moins. Je me sentais bien physiquement, j’avais peut-être la chance d’être en bonne santé ? En tâtant mon visage, je découvris que je n’avais pas l’ombre d’une ride et que ma peau était plutôt douce (chouette, je n’étais pas encore vieille), mon nez était pointu (peut-être un peu gros ?), mon front large, mes pommettes rondes. Mes yeux me parurent grands, pleins de cils.

C’est tout ce que je pus apprendre à mon sujet. Je ne savais ni mon âge, ni rien de mon identité. Je décidai de me prénommer Rosalie, parce que c’était frais, féminin, et que je trouvais ça joli. Rosalie de l’Oubli. Parce que c’était classe, ça rimait, et surtout parce que j’avais tout oublié, et j’étais sans doute oubliée de tous.

J’étais amnésique, soit. Mon premier souci restait de me sortir de là. Pour ce faire, je commençai par le réflexe que tout humain légèrement stressé par les évènements et se sentant très seul aurait eu : je criai. A me déchirer les poumons. J’appelai au secours, à l’aide…

Rien ne se produisit.

OK. Deuxième réflexe humain stupide : tambouriner contre le mur. Cela eut exactement le même impact que mes cris de furie. Autrement dit, que dalle.

Troisième réflexe humain stupide : même si je l’avais déjà fait une bonne dizaine de fois, mes mains repartirent à l’exploration du sol et des murs, pour y trouver une porte dérobée, une trappe, une bouche d’aération, n’importe quoi… je ne trouvai rien. Tourner-virer ainsi m’avait prouvé une chose dont je me doutais déjà : il n’y avait absolument rien d’autre que moi là dedans. Pas un objet.

J’allai me rasseoir contre le mur. Je voulus synthétiser. J’étais donc une femme à l’allure assez banale, amnésique, enfermée toute seule dans une pièce ronde, plongée dans l’obscurité, qui devait faire… (Je refis alors un tour en comptant en “ grands pas qui font à peu près un mètre, non ? ”) quinze mètres carrés, environ.

J’ajoutai à cela qu’il n’y avait pas un bruit, puis que le sol et le mur étaient froids, lisses, métalliques.

Alors, pourquoi aurais-je pu être ici ? Ma première hypothèse fut que je cauchemardais, je me ridiculisai donc en me pinçant et en me concentrant très fort pour me réveiller. De toute évidence, je ne rêvais pas. La deuxième idée qui me vint me parut être la plus plausible : j’avais été enlevée. Cependant, quelques zones restaient à éclaircir… Si c’était le cas, une voix de grosse brute transpirante ne m’aurait-elle pas aboyé de la fermer quand je m’étais égosillée et que j’avais couvert mes poings de bleus en tapant contre le mur ? Et puis c’était quand même un drôle d’endroit pour séquestrer quelqu’un. Je rectifiai : c’était parfait pour terrifier et séquestrer quelqu’un. Mais il n’empêchait qu’un endroit pareil me paraissait si étrange, invraisemblable…

D’autres possibilités me traversèrent l’esprit : j’étais peut-être folle, et j’étais ici dans une chambre spéciale d’un asile d’aliénés ? Ou bien j’étais une affreuse criminelle condamnée dans cette prison, disons originale ? Mouais. Je reniais ces hypothèses pour revenir au kidnapping, même si cela ne me rassurait guère : les kidnappeurs tentent toujours de violer leur victime (et réussissent souvent), dans les séries policières…

Tandis que j’essayais de chasser cette idée sombre en pensant à quelque chose de plus réjouissant (pour avoir été enlevée, je devais être une personne importante, ou très riche !), mon corps me coupa dans ma réflexion pour me faire entendre un besoin naturel : j’avais soif. Très soif, en vérité.

Je soupirai lentement, pendant que je réalisais dans quel pétrin j’étais fourrée. Il n’y avait aucune ouverture. Et la pièce était vide. Alors comment pourrais-je être approvisionnée en vivres ? (Je m’aperçus du même coup que je ne disposais de rien qui puisse me servir de toilettes.)

Une pensée effroyable, la conséquence de ce que je venais de réaliser, m’assaillit.

Et si celui ou ceux qui m’avaient enlevée ne l’avaient pas fait pour réclamer une rançon, profiter de moi, ou faire valoir quelque droit que ce fût… mais pour me condamner à une mort certaine, lente et douloureuse ? Étant donné les circonstances, l’hypothèse de la criminelle ne me parut plus si absurde…

Je pleurai alors pour la première fois, terrorisée et me croyant perdue.

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