Chapitre 7

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   Brûlure !! J’ai l’impression que mes yeux vont s’enflammer, exploser, dégouliner.

    Je reste éblouie de longues secondes. Les larmes que m’arrache l’éclair vif et blanc coulent sur les joues, lentement.

    Quelqu’un vient d’allumer la lumière.

    Mes paupières se soulèvent. Mes yeux font le tour de la pièce. J’avais deviné : c’est rond, les murs sont en métal, gris. Mon regard monte vers le plafond. Je vois à travers. C’est du verre. C’est de là que provient la lumière, j’ai du mal à discerner ce qui me surplombe, des formes bougent. Je baisse la tête, et là, un cri m’échappe quand je découvre ce qu’il y a sous mes pieds. Je vis sur une plate-forme de verre ; je peux voir à travers. Alors la petite lumière verte n'était pas une hallucination... Et en dessous… De l’autre côté, en bas, il y a…

    Des gens. Deux hommes, et une femme. Ils m’observent. La femme me fixe froidement, imperturbable. Le premier homme a l’air d’avoir une quarantaine d’années, son visage est anguleux, dur. Son T-shirt serré laisse deviner ses muscles saillants. Un sourire en coin – qui ressemble plutôt à une grimace – déforme sa bouche. Il est effrayant. L’autre homme est plus jeune : trente ans, tout au plus. Ses cheveux blonds cendrés sont un peu trop longs, je trouve. La pâleur de sa peau n'est pas ravivée par ses yeux verts, presque translucides. L’expression de son visage est indéchiffrable. Je dirais qu’il a l’air mal, écœuré, ou peut-être triste ? Sa beauté fantomatique me frappe.

    Soudain, la honte s'empare de moi. Je suis sale, poisseuse même, maladive, affamée, je dois ressembler à une pauvre chose dégoûtante et agonisante. Je suis cette chose. Je regarde mes mains (blanches, sèches, collantes, les ongles longs, cassés), mes cheveux (bruns, longs, rêches, gras), tout mon corps (maigre, poussiéreux, gris). Et puis je me souviens d’un détail qui rend ma honte insupportable : mes “ toilettes ”... J'espère qu'ils ne peuvent pas sentir les effluves que dégage la flaque malodorante, répugnante.

    Je repense au rituel-de-l'assiette-fantôme. Comme je le savais déjà, il n’y a aucune ouverture apparente au centre de la pièce, et rien non plus sous le sol transparent.

    J’hésite sur la réaction la plus adaptée à avoir. Ils m’observent, tous. Crier ? Sont-ils mes sauveurs ou mes geôliers ? Remercier… ou supplier ? Leur attitude et la lueur glaciale, quoique intéressée, qui fige leurs regards me soufflent qu’il s’agit plutôt de la seconde option. Je déglutis, puis, difficilement, d’une voix rauque et incertaine, j’articule :

— Qui êtes-vous ?

Pas de réponse.

— Où suis-je ?

Silence.

Peut-être qu’ils ne m’entendent pas ? Pourtant, je suis presque certaine que si.

— Je vous en supplie, sortez-moi d’ici…

    Le blond jette un coup d’œil nerveux aux deux autres, sous mes pieds. Ceux-ci continuent à me regarder, la tête en l’air. Il s’apprête à parler, ce qui m’indique qu’ils peuvent entendre ce que je dis, mais la femme l’en empêche d’un léger signe de la main. Je ne comprends rien. Mais qui sont-ils ? Pourquoi restent-ils là à me regarder comme un rat de laboratoire ? C’est ce que je suis ? Je sens que des larmes de frustration, de colère aussi, vont bientôt déborder sur mes joues.

— Pitié… Vous êtes mon seul espoir !

    Le visage de la femme s’illumine. Le sourire de visage-carré s’élargit et dévoile à présent des dents jaunâtres. Une ombre passe sur celui du troisième. Le colosse interroge la femme du regard, elle acquiesce. Il me demande :

— Tu espères qu’on va te sortir de là ? Tu crois qu’on pourrait te sauver ?

    Sa voix résonne en moi étrangement. Sa question me déstabilise. Je comprends que c’est peu probable, mais… Évidemment, j’ai envie d’y croire. Alors, sans trop réfléchir, je réponds simplement :

— Oui.

La femme s’adresse à visage-carré :

— Très impressionnant. Vraiment.

    Puis elle tourne les talons et sort par une petite porte, ce qui allume un voyant vert situé dans un boitier juste au dessus de la porte. La lumière me montrait que quelqu’un rentrait, ou sortait, par la porte ! Il y a une porte – une sortie – dans la pièce en dessous ! Visage carré me précise :

— Le temps que t’a indiqué la voix vient de s’écouler. Nous allons te libérer. Tu vas échapper à ce cauchemar.

Je tremble un peu. Mon cœur bat très fort dans ma poitrine. Enfin ! Il reprend :

— Avant, tu vas juste répondre à quelques questions.

J’opine.

— Bien. Comment t’appelles-tu ?

— Vous devez le savoir.

Son visage se ferme. Oups…

— Réponds. A. La. Question. Tout de suite !

— Je ne sais pas. Je ne me souviens pas.

— Vraiment ? réplique-t-il suspicieusement.

J'hésite.

— Je me suis nommée Rosalie. Rosalie de l’Oubli. Mais ce n’est pas mon vrai nom.

— Qu’est-ce que tu en sais ?

— Parce que je l’ai… inventé ? C’est insupportable pour un être humain de n’être rien, alors il fallait bien que sache comment m’appeler. C’était frais, féminin, Rosalie.

— Quel âge as-tu ? A quoi tu ressembles ?

— Je ne sais pas.

Il lève les yeux au ciel, exaspéré.

— Fais une supposition.

— Vingt-cinq ans, peut-être ? Je suis assez petite, maigre, brune, aux cheveux ondulés et longs, j’ai un nez pointu, un peu gros, un front large et des yeux plein de cils.

Ma description a l’air de l’amuser.

— De quoi est-ce que tu te souviens, tous domaines confondus ?

— La liste est longue. Je sais tout ce qu’une personne normale connaît : la couleur du ciel, l'odeur des roses, l'aspect d'un chien, la recette de la tarte aux pommes… Mais rien de personnel. Rien du tout.

— Dis-nous où tu te trouves en ce moment.

— Je suis peut-être dans... Un cauchemar, un repère de criminels, une prison, un asile ? Ou l’Enfer.

— Tu y es presque.

Je me demande à quelle proposition il fait allusion…

— Pourquoi te fait-on ça ?

— Parce que je suis damnée, folle, prisonnière, otage, ou en train de rêver ?

Mais on dirait que je le fais vraiment rire ! Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ?

— Qui sommes-nous ? Il désigne son acolyte muet de la tête.

    Je prends quelques secondes pour réfléchir. Cet interrogatoire est absurde. Tout cela n’a aucun sens. Je réponds donc en suivant ma logique précédente.

— Les monstres de mes rêves, des criminels, des gardiens de prison ou d’asile, des médecins… Ou des démons. L’incarnation du Diable.

Il ricane.

— Depuis combien de temps es-tu ici ?

    Il pose des questions mais ne me dit pas les réponses, il ne m’éclaire pas du tout, cela m’agace. Tout ça s’éternise, et je me sens très faible, je suis épuisée. Je balance vite :

— Depuis que vous m’avez damnée, internée, condamnée, enlevée ou endormie !!

— Ouais, j’crois que je commence à comprendre ton raisonnement (assez limité, finalement, hein !), mais précisément ? Donne un nombre de jours, de semaines ou de siècles.

Il vient de faire une phrase de plus de dix mots : wouah !...

— Je dirais un an. Mais mes cauchemars, mes hallucinations, et mon environnement m'ont fait perdre toute notion du temps. A en croire la voix et mon état physique, ça fait à coup sûr plus de deux mois. Mais ça, je l’aurais deviné toute seule : je suis à moitié morte.

— Tu parles encore beaucoup pour un cadavre… marmonne-t-il dans sa barbe.

    Sur ce, il se retourne, fait un signe à l’autre homme, et tous deux se dirigent vers la porte. La sortie. Mon cœur s’affole. Je me jette par terre, pour coller mon visage à la paroi de verre, pour mieux les voir.

— Qu’est-ce que vous faites ? Non ! Non, vous ne pouvez pas me laisser ! Vous n’avez pas le droit ! Revenez ! Répondez à mes questions ! Qui êtes-vous ? Qui suis-je ? Où suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? Libérez-moi ! Vous l’avez promis !

    Ils atteignent la porte. Visage-carré sort sans même une hésitation. Au moment où blond-muet attrape la porte, il relève légèrement la tête vers moi, nos yeux se croisent. Il s’arrête. Net. Il pousse un léger soupir, puis il ouvre la bouche, et avec stupeur, je reconnais la voix :

— Je suis le Créateur, et j’ai voulu faire une créature à mon image. Seulement aujourd’hui je ne crois plus être Dieu. Je suis Satan. Je n’ai pas créé un ange, mais un démon. Tout est de ma faute. Je ne pensais pas que tu garderais espoir aussi longtemps... Si tu savais, comme je suis désolé… Pardonne-moi.

    Je crois qu’il pleure. Il franchit la porte, et avant qu’elle n’ait pu se refermer, j’ai le temps d’entendre visage-carré qui lui beugle dessus. Il n’était pas censé me parler.

    Tout à coup la lumière s’éteint à nouveau. J’ai l’impression que mon crâne va exploser. Non, ça ne peut pas recommencer, non, non, non… Je hurle.

    Je n’ai même pas le temps d’analyser ce que le blond à la voix vient de m’avouer.

    Je sens soudain ma voix qui se tait sans que mon cerveau le lui ait ordonné. Mes forces m’abandonnent. Je tombe. Mes yeux se ferment. Et puis...

Plus rien.


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