Chapitre 6

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   Je grignotais ma croûte de pain quotidienne, quand tout à coup, la voix s'adressa à moi. Cet homme me parlait relativement souvent. Peut-être une fois par jour ? Je n'avais rien appris d'autre sur ma situation, ni sur son identité. Dès que je posais une question, il cessait de répondre. Par contre, lui ne se privait pas d'interrogations ! Comment t'appelles-tu ? Quel âge as-tu ? Sa première question était stupide, puisqu'il m'interpelait à chaque fois par le prénom que je m'étais donné... La plupart du temps il me demandait simplement comment j'allais. As-tu faim ? Sur une échelle de 1 à 10, peux-tu évaluer ta soif ? Ressens-tu une fatigue particulière ? Comment te sens-tu, moralement ? Il ne s’apitoyait pas sur mon sort et ne faisait rien pour l'améliorer. Ses questions me paraissaient même plutôt cyniques parfois, lorsqu'il me demandait si j'étais plutôt "résignée, malheureuse ou en colère ?"...

    Seulement, quand je répondais être au plus haut de mon malheur, un léger soupir trahissait... de la compassion peut-être ?

    Cette fois-ci, il commença par sa phrase rituelle:

— Écoute, Rosalie... Est-ce que tu écoutes ? puis après que je lui aie répondu par l'affirmative, il continua :

— Dans deux semaines, tu seras libre.

— Seulement deux semaines se sont écoulées ? Comment me libérerez-vous ? Il y a donc une sortie ?

    J'avais enchaîné spontanément ces trois questions, avant de plaquer ma main sur mes lèvres gercées. Comme je l'avais deviné, il ne répondit pas. Il n'était plus là.

    Je me rassis contre le mur, mon trognon de pain en main. Deux semaines... Peut-être la liberté serait-elle bientôt là ! Mais dans ce cas, quel était le but de mon geôlier ? M'enlever, m'enfermer, m'affamer, puis me parler, s'inquiéter de ma santé alors qu'il était la source de mes maux, tout cela pour me relâcher ? Étrange...

    J'essayais, vraiment, de ne pas m'enthousiasmer trop vite, de ne pas croire à la liberté promise, puisqu'il s'agissait sûrement d'un simple et horrible jeu pervers et sadique. Pourtant, je ne pouvais pas m'empêcher d'espérer. L'homme me manipulait ainsi à sa guise, je le savais... Mais l'espoir, de plus en plus rare, était mon oxygène, la seule chose qui me faisait tenir.

    Enfin, pas tout à fait. Il y avait lui, également. Même si je devais subir un interrogatoire, j'étais tellement heureuse qu'il me parlât ! Sa voix de velours enveloppait de notes graves toute ma prison. Elle me rassurait, d'un côté: je n'étais pas seule. Et puis il y avait ses soupirs, si discrets. Je crois qu'il pensait que je ne les entendais pas. Mais si. Et ils faisaient grandir mon espoir, encore. Je me disais qu'il était peut-être contraint pour une raison ou une autre de me garder prisonnière. Progressivement, je tombais amoureuse de la voix de mon kidnappeur. C'était sordide, j'en étais consciente. Je laissais quand même faire mes sentiments : ils me gardaient en vie.

***

    L'attente était insupportable. Les derniers fragments épars de ma raison qui tentaient de résister glissaient lentement sur la pente du trouble et de la folie.

    Pendant un temps, j'avais accepté mon environnement. Je m'étais familiarisée avec l'obscurité, le silence, le vide, même avec le froid et la faim. Mais les interventions régulières de l'homme avaient tout fait basculer. Je ne supportais plus ces conditions de vie inhumaines. Chaque seconde devenait plus épouvantable que la précédente. Savoir avec certitude que quelqu'un me surveillait m'avait fait prendre conscience de l'humiliation que l'on me faisait subir : ma survie était totalement dépendante du bon vouloir de mon tortionnaire, et quand il daignait me nourrir, je n'étais plus qu'un animal se jetant avec frénésie sur tout ce qui s'apparentait à de la nourriture. Et que dire de mon hygiène ? Déplorable est le mot qui convient. Je n'avais aucune possibilité de me laver. Ni aucun endroit qui puisse servir de toilettes. (Mes excréments se trouvaient à un point précis de la pièce, que je repérais difficilement en comptant mes pas.) Que me restait-il de mon humanité, sinon ces étranges conversations ?

***

    J'attendais que la douce voix revînt. Elle se manifesta et m'annonça : "Il est temps. Le grand jour est là. Demain, tu seras libre." Tout mon corps frissonna. Y avait-t-il une issue, finalement ? Étais-je au bout du tunnel ?

***

    Voilà, je me suis repassé tout le film. Je me suis remémoré tout ce dont je me souviens. Où est la faille ? J'ignore trop de choses pour la déceler. Me rappeler ce cauchemar depuis le début ne me plonge qu'un peu plus loin dans la dépression... Vais-je véritablement échapper à cette torture demain ? (A moins que nous ne soyons déjà demain, et dans ce cas là, c'est aujourd'hui...)

    Toute cette histoire n'est qu'une boucle fragmentée, infernale.


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