Chapitre 1 : L'appel (Partie 2/2)

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Il tend la main vers le ciel, juste sous le nez de Dogorov, et Helkath y apparaît dans un petit halo lumineux. Le russe lâche alors prise et recule vivement, trop interloqué pour repartir à la charge tandis que Klade se remet lentement debout, la gorge douloureuse et prise d’une incontrôlable toux. Le temps qu’il reprenne pleinement consistance, Dogorov s’en va récupérer son pistolet, bien décidé à en finir une fois pour toutes, et surtout, à bonne distance de ce qu’il voyait à présent comme un démon.

Lorsque le chasseur de primes se rend compte de son plan, les choses s’enchaînent très vite. Le pistolet et la main qui le tenait rencontrent le sol sous les hurlements du meurtrier, qui fixe son poignet ensanglanté sans complètement y croire. Son regard se porte ensuite sur la lance souillée de rouge, puis sur son propriétaire. L’esprit envahi de rage, il tente de contre-attaquer au corps à corps. Mauvaise idée : Klade le contourne habilement d'une gestuelle fluide avant de jeter son arme et de bondir sur son dos, pour enrouler son coude autour de son cou et à son tour, serrer, serrer, jusqu'à ce qu’enfin le terrible adversaire sombre dans l'inconscience.


Le jeune homme reste un instant allongé sur le sol, haletant. Son cœur tambourine si fort qu’il pourrait presque exploser hors de sa poitrine comme un feu d’artifice. Il se force à calmer sa respiration, et une fois en état, il se redresse, faisant glisser ses yeux sur l’entièreté de la pièce pour analyser la situation. La boutique ne semble souffrir que de quelques dégâts mineurs. Compte tenu de ce qui vient de se passer, c’est tout bonnement miraculeux. C’est dans ce silence de mort que le prêteur sur gages sort de derrière le comptoir, les mains en l’air, tout tremblant. A priori, il est resté accroupi tout ce temps et n’a assisté à rien… d’extraordinaire. Tant mieux. Ça fait un silence de moins à acheter.


Une fois les choses mises au clair entre les deux hommes, ils s’empressent de ligoter solidement Dogorov et de le transporter jusqu’à la Mercedes. Sans oublier le butin et… l’appendice coupé. Ensuite, Klade s’excuse du dérangement et quitte les lieux, préférant livrer le « colis » au plus vite, et si possible avant son réveil. Ce n’est qu’une fois hors du champ de vision du témoin qu'il fait disparaître Helkath : personne ne doit savoir qui il est réellement et de quoi il est capable, car dans ce monde, pour tout le monde, la magie n'existe pas.


Il ne lui faut pas longtemps pour trouver le commissariat. Dès son entrée, il peut sentir les regards posés sur lui et toute la stupéfaction qui les habite. Il sait ce qu’ils se demandent tous : « comment une telle brindille a-t-elle pu venir à bout de ce monstre ? ». Il n’est pas vraiment connu par ici, alors il comprend pareil étonnement. Après l'enregistrement de sa prise, on lui donne sa récompense, qui le place désormais à l'abri du besoin pour un bon bout de temps. D'ordinaire, Klade se tient éloigné des contrats comme Dogorov, bien trop dangereux pour lui. Il s'agissait vraiment d'un ultime recours, et maintenant, il va enfin pouvoir être tranquille.


Alors qu’il traverse le hall principal, prêt à s’en aller, il remarque une chevelure familière près du bureau d’un agent. C’est la cliente. Curieux, il s’arrête dans son élan afin de l’observer. D’ici, il ne peut pas très bien entendre ce qu’elle raconte au policier ; de toute façon, ça ne le regarde pas. En revanche, il note aisément la présence de son achat de la boutique d’antiquités, dont elle triture l’empaquetage de papier avec nervosité : cela signifie qu’elle n’est pas rentrée chez elle avant de venir au poste. En toute logique, elle est donc en train de faire un signalement de Dogorov.


L’entretien s’achève presque aussitôt, et la jeune femme se lève de sa chaise pour remercier son interlocuteur avant de se diriger vers la sortie. En un battement de cil, elle passe à côté de Klade, sans le remarquer. Un pas, et la voilà déjà derrière lui. Lui, pourtant, demeure. Pendant cinq secondes, pour la première fois, il a pu la voir de face. Et maintenant, dans le silence, deux forces inouïes s’affrontent pour sa prochaine décision : rester là, ou courir à sa suite.


Jean simple, débardeur bleu, petit perfecto aux manches retroussées... c’est un look basique pour une demoiselle ordinaire. Rien qui ne puisse attirer son attention… à un détail près. Un détail infime, mais si frappant qu’il lui est impossible de penser à autre chose : sa peau. Jamais Klade n'avait rencontré quelqu'un avec un teint aussi clair, à la pâleur digne d'une poupée de porcelaine, et plus encore. On oserait presque l’assimiler aux traits de la mort. Et ces yeux… Un argenté froid et envoûtant, hypnotique, qui s’imprègne déjà dans les méandres de son esprit. Tout son corps tremble… Son cœur s’affole comme jamais… Que lui arrive-t-il ?


Le claquement brusque des portes de fer le ramène à la réalité. Tout aussi subitement, la pression qui lui broyait le corps se volatilise, comme si elle n’avait jamais existé. Dans un soupir soulagé, Klade se laisse tomber sur le mur quelques instants, la main fermement calée sur sa poitrine. Une fois son équilibre retrouvé, il quitte les lieux à son tour et regarde dans toutes les directions. Mais la mystérieuse femme n’est nulle part en vue. Épuisé comme il est, sous une telle chaleur et dans une ville inconnue, tenter de la rattraper serait une folie. Rien que dans cette rue, il n’a qu’une chance infime d’emprunter le bon chemin. Alors, plus confus que dépité, il n’a d’autre choix que de reprendre le cours de sa vie.


Une fois à la maison d’hôtes la plus proche, il tente d’oublier cet événement en prenant la plus longue douche de sa vie et en profitant de ce repos bien mérité. Après quelques heures, tout semble aller pour le mieux. L’uniforme se fait refaire une beauté à la laverie, le lit est confortable, les douleurs sont parties, du moins pour la plupart. Mais très vite, quelque chose vient perturber cette tranquillité : elle. Encore. Klade ignore pourquoi, mais il n’arrive pas à s’enlever ce sentiment de la tête. Malgré tous ses efforts pour ne pas y songer, ça revient, à coup par coup. Ses yeux… sa peau… la simple forme de son visage… les courbes délicates de son cou… Ça commence à devenir une obsession. Mais pourquoi ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui lui prend ? Jamais il n’a pensé à une femme de la sorte ! Ça devrait être interdit ! Le pire, c’est qu’il lui est impossible de décrire avec exactitude ce qui l’étreint ainsi. Ce n’est pas une attirance romantique ou charnelle. Ou bien… ça se pourrait ? Non, non, sûrement pas ! C’est plus… profond que ça. Plus flou. Comme une impression de… déjà-vu. Mais c’est impossible. Il n’était jamais venu dans cette ville avant aujourd’hui. S’ils s’étaient déjà rencontrés, il s’en souviendrait, et elle aussi !


Il ne peut pas rester dans cet état… Ce n’est pas lui. Il doit se changer les idées au plus vite. Aller prendre l’air, regarder les voitures passer, manger un truc tellement calorifique qu’il n’oserait plus rien avaler pendant une semaine, n’importe quoi du moment que ça marche ! Et pourquoi fait-il si chaud ? C’est étouffant ! Ni une ni deux, il enlève son haut de rechange et le balance sans vergogne à l’autre bout de la chambre, puis ouvre la fenêtre dans l’espoir que la brise viendra rafraîchir sa peau. Ce n’est… pas très concluant.


Alors que l’écho lointain des cloches sonne 18h00, il tourne la tête vers la petite bibliothèque qui jouxte la table de chevet. Son regard se pose immédiatement sur un petit livre bleu orné de dorures à l’ancienne. Le nom de « Kezirah Afieroménos » apparaît sur la première de couverture en grandes lettres en relief. Il a souvent eu l’occasion de voir ses ouvrages derrière les vitrines des libraires, mais il n’en a jamais lu. Il faut dire qu’il n’est pas un grand lecteur, d’autant plus qu’il est loin d’être le public type de ces sagas Fantastique pour adolescents. Mais, faute de mieux…


Klade concentre toute son attention sur la couverture. Et plus particulièrement, sur le personnage en son centre. Entièrement colorée de noir, sa silhouette féminine est recroquevillée sur elle-même, les deux mains tendues vers le ciel. Ses cheveux ondulent le long de son dos, et la courbe des cornes sur sa tête caresse le titre du livre. Peu à peu, les sens du jeune homme se brouillent. Ses doigts glissent vers le matelas dans une lenteur inexorable.


Soudain, la silhouette se tourna vers lui, la tête penchée sur le côté, puis elle émit un petit rire malicieux avant de tendre la main dans sa direction, traversant la couverture jusqu’à presque toucher sa joue. Il regarda ensuite autour de lui, surpris que la chambre ait disparu pour faire place au commissariat. Quand y était-il retourné ? Quand s’était-il levé, tout d’abord ? Avait-il pris la peine de se rhabiller, au moins ? Et ces questions s’évanouirent, sans importance aucune, tandis que la silhouette se trouvait désormais face à lui, à taille humaine. Il resta là, sans bouger, à l’observer dans l’attente que quelque chose se produise.


Au moment où il se décida à faire un pas en avant, la silhouette se déforma pour se calquer sur les traits de la belle inconnue en train d’arriver. La morphologie, les cheveux, tout correspondait parfaitement, à l’exception des cornes qui s’évaporèrent dans les airs. La femme s’avança, déterminée à quitter la pièce comme tout à l’heure, mais son action se déroulait au ralenti. Klade remarqua alors un élément qui lui avait échappé : une partie de l’emballage de l’objet qu’elle tenait était déchirée, laissant entrevoir ce dont il s’agissait. Un sablier, selon toute vraisemblance, fait d’un matériau qu’il ne parvint pas à reconnaître. Curieusement, le sable, d’une couleur rouge sang, s’écoulait à l’envers, guidant son regard sur une étiquette. Dessus, il pouvait lire dans une magnifique écriture manuscrite noire « M. Vesmir ».


À nouveau, elle le dépassa, indifférente à sa présence. Mais cette fois, il ne la laisserait pas partir. Il savait qu’il devait lui parler. Quelque chose en lui le suppliait de le faire. Il se retourna, s’élança vers elle, et lui attrapa la main juste avant qu’elle ne franchisse la porte. Lorsque leurs regards se croisèrent, tout se brouilla à nouveau. La chair et le noir d’encre ne cessèrent de se superposer l’un l’autre, jusqu’à ce que les yeux d’argent se changent en pierre. Klade flottait maintenant dans un océan de ténèbres, face à une grande stèle murale. Plusieurs figures humaines y étaient gravées, alignées les unes à côté des autres au milieu des symboles associés aux quatre-vingt-huit constellations connues.


Parmi elles se trouvait la femme-silhouette, à quelques différences près : les longues cornes ornaient à nouveau sa tête, et de l’encre sortie d’on ne sait où dessinait doucement d’étranges marques sur ses joues. Sentant qu’elles revêtaient une certaine importance, le jeune homme voulut les étudier, mais à peine fut-il effleuré par cette pensée que des fissures apparurent sur le visage pierreux. Elles absorbèrent le liquide noirâtre en leur sein, puis s’étendirent sur le reste de la fresque qui explosa violemment en direction de Klade. Il était trop près. Il n’avait aucune chance d’éviter les débris. La dernière chose qu’il vit avant de fermer les yeux fut l’un des symboles, le seul à être encore entier : celui du Capricorne.


Klade se redresse brusquement sur le lit, le souffle court. Le livre, qui reposait sur sa cuisse, tombe juste à côté de sa main encore tremblante. Une fois calmé, il jette un long regard à la couverture, attendant de voir si la silhouette en sortirait à nouveau… Mais rien ne se produit. Le rêve est terminé. Ce n’était que ça… Juste un rêve. N’est-ce pas...?


Son cœur manque un battement. À son grand dam, l’étrange impression qui le tenaillait ne s’est pas dissipée ; au contraire, c’est même pire qu’avant ! Pendant de longues minutes, il combat le déni qui persiste en lui, se répétant que c’est impossible, que ça ne peut être ça ; et en même temps, que c’est une évidence, que c’était sous son nez depuis le début. Il pose sa tête entre ses mains, obsédé par une seule et nouvelle question : se peut-il réellement que, par le fruit du plus pur des hasards… il l’ait rencontrée ? Elle ?


Il y a tellement d’indices : ce goût pour les sabliers, ce teint inhumain… mais surtout, cette stèle. Il la connaît. Il ne l’a vue qu’une seule fois, il y a bien longtemps, mais jamais il ne pourrait l’oublier. La ressemblance… est indéniable. Non, ce n’était pas un rêve, il en est à présent certain. C’était un message. Un appel de l’Univers. Soit ça, soit il est fou à lier. Il doit s’en assurer. Que ce soit vrai ou non, il ne quittera pas cette ville avant d’en avoir eu le cœur net. Et grâce aux bras de Morphée, il sait par où commencer.

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