[NON MAJ] Chapitre 9 : Intrusion (Partie 1/2)

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6 Juillet 2200

— Nous avons frappé à la porte, fait le tour de la propriété, on dirait bien qu'il n'y a personne ici. C'était une perte de temps, déclare Klade une fois de retour au perron de la jolie maison de pierres blanches.

Assise sur un petit banc près de la fenêtre, les yeux fermés et la main sur la nuque, Kozoro croise les bras à son approche, un air moqueur sur le visage.

Vous avez frappé à la porte et fait le tour de la propriété. Moi, je l'ai su dès notre arrivée. Kezirah gare toujours sa voiture à cet endroit précis. Si la voiture n'est pas, Kezirah n'est pas là. C'est vous qui avez perdu du temps, pas moi.

— Pourquoi m'avoir laissé faire, alors ?

La jeune femme pousse un long soupir, puis se lève en lui tournant le dos, se massant de nouveau l'arrière du cou.

— Parce que j'avais besoin de rester au moins trois secondes sans votre tête dans mon champ de vision, vous comprenez ? J'ai eu une matinée franchement désagréable, et vous y êtes pour beaucoup.

Le Prêtre la fixe alors avec stupéfaction :

— On en est encore là ? Je croyais que nous avions dépassé ce stade !

— En effet, je n'ai plus envie de vous tuer, répond-t-elle en agitant brièvement sa main dans les airs. Pour autant, je ne vous fait pas confiance. Et ne me demandez pas pourquoi, j'ai été suffisamment claire à ce sujet !

— Je l'ai bien compris, oui ! Vous êtes vraiment irascible depuis tout à l'heure... C'est le trajet qui vous a mise dans cet état ?

Elle se retourne brusquement vers lui, les vives rougeurs sur son visage indiquant clairement que le commentaire n'a pas été apprécié. La Déesse fait partie de ces gens, quand ils pleurent ou s'énervent, ça se voit tout de suite et pour longtemps, même après qu'ils se soient calmés.

— Ah ! C'est la meilleure ! Le fou du volant me demande si c'est moi l'hystérique de nous deux !

— Donc c'est le trajet...

Klade se doutait bien que Kozoro n'était pas le genre de femme à oublier rapidement les dérapages, quels qu'ils soient. Plus il passe de temps avec elle, moins elle ressemble à celle qu'il s'imaginait... Et bizarrement, ça ne le déçoit pas, ou pas autant qu'il l'aurait cru. Après tout, des lignes sur un bout de papier ne signifient rien tant qu'on n'a pas rencontré la personne dont elles parlent. On ne peut se faire d'idées sur quelqu'un qu'en le côtoyant vraiment. Alors, au fond, même si elle ne cesse de lui crier dessus, ça lui fait plaisir d'apprendre à la connaître telle qu'elle est réellement. Ça reste une chance absolument unique !

Pour autant, il ne devrait pas laisser son enthousiasme et ses doutes lui mettre des bâtons dans les roues, le petit incident de tout à l'heure en est la preuve. C'est quand même incroyable que pour chacun de ses contrats, il puisse se concentrer dessus sans rien laisser le distraire, et que pour cette femme, il s'avère incapable de le faire plus de deux minutes ! Il y a des moments où il ne se reconnaît plus...

— Écoutez, je suis désolé, j'avais l'esprit ailleurs. Je vous promets que ça ne se reproduira pas.

— Et je dois me contenter de votre parole ? Mon c... Mes cornes, oui !

Cette auto-censure... Une habitude plutôt charmante, si l'on exclue les constants pics d'agressivité dont Kozoro fait preuve depuis qu'elle est sortie de la voiture. Pas seulement, Klade ne peut s'empêcher de noter que son teint a également l'air plus pâle que d'ordinaire. Comme maladif. Et cette soudaine manie qu'elle a de porter la main à sa nuque de temps en temps...

— Mais quel idiot ! réalise-t-il en se frappant presque le crâne.

— Ah, ça, oui, vous pouvez le dire, rétorque sèchement la Déesse.

— Pendant les trois jours où je vous ai observée, j'ai vu que vous vous déplaciez toujours à pied. Jamais de voiture, alors qu'il y en a une dans votre garage. Pourtant, ça vous en fait de la trotte, depuis chez vous jusqu'au centre-ville. J'en avais conclu que vous ne deviez pas encore avoir de permis. Mais en ajoutant ça à votre pâleur et à cette façon de vous tenir la nuque, j'aurais dû m'en rendre compte plus tôt : vous avez le mal des transports !

D'abord mutique, Kozoro se met ensuite à l'applaudir dans une gestuelle très lente, ponctuée d'un « bravo, Sherlock » respirant le sarcasme.

— Pourquoi ne pas me l'avoir dit ? J'ai des anti-nauséeux dans la boîte à gants, j'aurais pu vous en donner.

— Pourquoi vous ferais-je part de mon état de santé, alors que vous ne vous privez pas de me cacher le vôtre ?

— Je vous demande pardon ?

— Vous croyez que je n'ai pas remarqué que vous portez un manteau et des gants depuis notre deuxième rencontre ? Vous n'en aviez pas avant. Et vous ne les avez pas enlevés une seule fois, même pour faire la cuisine, j'aurais d'ailleurs dû vous sermonner parce que ce n'est franchement pas hygiénique ! Pourquoi vous infliger ça en été, déjà que vous portez du cuir à longueur de temps ? Moi, je ne vois qu'une seule explication.

D'un pas décidé, l'Incarnation s'avance vers lui et agrippe fermement son manteau.

— A-attendez, non... lâche-t-il dans une pointe de panique en esquissant un mouvement de recul.

Il espérait qu'elle ne se doute de rien, et comme elle ne lui avait pas touché un seul mot sur le sujet, il pensait qu'elle ne se rappelait tout simplement pas ce qu'il portait exactement la veille. Visiblement, il avait tort. Oui, il crève de chaud là-dessous ! Mais il est prêt à le supporter, du moment que ça permet à Kozoro de ne pas avoir à se soucier de ça. Elle doit se concentrer sur des choses plus importantes.

— Laissez-moi voir. S'il vous plaît. Je dois être sûre.

Toute trace de colère avait disparu dans sa voix, et même ses yeux. Ni dureté, ni autorité, il n'y reste plus rien d'intimidant. Seulement une lancinante supplication... et de la peur. Klade comprend alors que peu importe combien il souhaite retarder l'inévitable, c'est trop tard, elle sait déjà. Tout ce qu'elle attend, c'est une confirmation.

D'un silencieux signe de la tête, il l'autorise à poursuivre son action. La poigne de la jeune femme s'adoucit. Ses mains remontent lentement le long de la fabrique jusqu'au col, où elle s'arrête un instant. Puis, dans une gestuelle légèrement tremblante, elle fait glisser le manteau jusqu'aux épaules du Prêtre, où se délimitent les manches de son haut. Elle se stoppe à nouveau, le temps de quelques secondes, et prend une grande inspiration avant de continuer. Quand le vêtement tombe enfin au sol, les prunelles horrifiées de Kozoro ne peuvent plus quitter les bras bleus, complètement gelés de Klade.

— C'est moi qui vous ai fait ça... Ma colère... s'est déchaînée sur vous en plus du paysage...

Il ne résiste pas lorsqu'elle pose délicatement les mains sur ses muscles frigorifiés. Leur altercation a eu lieu il y a moins de vingt-quatre heures, mais ils sont si froids qu'on a l'impression que ça vient d'arriver.

— Je suppose que ça ne s'arrête pas à vos bras.

— Vous supposez bien.

Kozoro lève alors la tête, et plonge son regard dans le sien.

— Ça vous fait mal ?

Sur le coup, Klade n'ose pas lui répondre, hypnotisé par les iris argentés. Quelques instants plus tôt, il n'y voyait que colère à son encontre. Maintenant, c'est une profonde inquiétude. Et il ne peut réprimer un pincement au cœur à cette vision, tandis qu'il réalise pleinement à quel point ils sont proches l'un de l'autre.

— Ça passera, lui répond-t-il finalement à demi-voix.

— Je suis désolée...

— Je survivrai. Je ne voulais pas que vous voyiez ça, et que vous vous en vouliez. De toute façon, je l'ai bien mérité.

La Déesse soutient son regard encore quelques instants, mais finit par le détourner dans une expression coupable.

— Non. Aucun humain ne mérite que je lui fasse du mal. Si je blesse qui que ce soit, alors je... je ne vaux pas mieux que Rakovina.

— C'est faux, vous valez mille fois mieux qu'elle, réagit Klade du tac au tac.

Même s'il l'avait voulu, il n'aurait pas pu empêcher les mots de franchir ses lèvres. Parce que pour lui, c'est la vérité pure et simple ! Comment peut-elle se comparer à ce monstre ?

— C'est vous qui êtes blessée dans cette histoire, donnez-vous le temps de guérir avant de vous flageller pour des choses que vous ne contrôlez pas.

Leurs regards se croisent à nouveau. Dans celui de Kozoro régnait depuis tout à l'heure un intense conflit... mais à ces paroles, il semble s'adoucir pour faire place à une simple stupeur. Ils restent ainsi le temps d'un moment, avant que le jeune homme ne se rende compte que durant sa tirade, il ignore quand, il lui a pris les mains. Et aussi étrange que cela puisse paraître, elle ne l'a pas repoussé, ni sermonné. Il n'en est pas sûr, mais il pourrait jurer... qu'elle lui a même souri... C'était pratiquement imperceptible, cependant... Il s'empresse alors de la relâcher et se confond en excuses, les joues rouges de honte, et se tourne vers la rue pour calmer son cœur en train de courir un marathon dans sa poitrine.

— Bon... Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? On attend que votre Cortégienne revienne ?

— Non, c'est inutile. Elle ne sera pas de retour avant la fin des vacances.

— Vous en êtes sûre ?

Le Capricorne pousse un léger soupir avant de se reculer d'un pas et de croiser les bras.

— Certaine. Elle est partie pour sa résidence secondaire. On y passe tout l'été chaque année. Comme on ne savait pas quand tomberaient mes résultats, elle m'a prévenu qu'il se pourrait qu'elle y aille avant moi et que je n'aurais qu'à la rejoindre. Parce que oui, contrairement à ce que vous pensiez, j'ai mon permis. Et ça n'a pas été une franche rigolade à obtenir, croyez-moi.

— Je vous crois, Ma Dame, je vous crois... Elle aurait quand même pu vous avertir de son départ, non ? Un coup de fil, c'est vite passé, fait remarquer le chasseur de primes en se tournant à nouveau vers Kozoro.

Celle-ci, les lèvres pincées, fuit son regard en se passant une main derrière la tête. Visiblement, cette question vient de soulever un point gênant, mais quoi ?

— Oui... Disons qu'il y a eu un petit souci de ce côté-là... Quoi qu'il en soit, puisqu'elle n'est pas ici, c'est là-bas que nous la trouverons.

Elle préfère rester vague sur le sujet... Tant pis, ce n'est pas important de toute façon.

— Et où est-ce que c'est, « là-bas »?

— À une cinquantaine de kilomètres d'ici. Il faut emprunter la sortie nord de la ville, répond-t-elle en désignant d'un signe de tête ladite direction. C'est un chalet en plein milieu d'une forêt, alors je dois vous prévenir que son adresse n'est liée à aucune ville ni aucun village, les GPS et les cartes ne vous seront d'aucune utilité.

— D'accord, dans ce cas vous me guiderez, si ça ne vous dérange pas.

— Pas de problème.

Une chose est sûre, si ce matin leurs relations avaient débuté sur une note hostile, elles semblent désormais prendre le chemin de la cordialité. Intérieurement, le Prêtre s'en réjouit : être sujet à la méfiance de l'Incarnation ne l'enchantait guère, et il commençait sérieusement à désespérer de parvenir à trouver un terrain d'entente avec elle. Il sait toutefois qu'il est encore loin d'avoir gagné sa confiance... Mais pour l'heure, c'est acceptable.

— Parfait ! conlut-il en descendant les marches du perron. Si nous partons maintenant, nous y serons en fin d'après-midi.

— Pas tout de suite, s'il vous plaît...

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