Dévisage

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Puis le jour J était arrivé. Le jour où il allait mourir à nouveau. Un jour qu’il avait longtemps attendu, mais qui ne parvenait pas encore à le réjouir tout à fait. Il avait choisi de se présenter un peu avant neuf heures pour s’installer discrètement avant la congrégation, mais l’attente avait dilué son entrain dans un détachement tranquille.

Erwan prit soudain conscience d’une rumeur à l’entrée de l’église, alors que les premiers arrivants s’avançaient pour prendre place sur les bancs. Il se demanda combien allaient faire le déplacement pour soi-disant honorer sa mémoire. Il s’efforça de tourner la tête sans hâte pour zyeuter la scène derrière ses lunettes. Il ne tarda pas à reconnaître des visages, mais il dut lutter pour ne pas sourire ou hocher la tête par réflexe lorsqu'il croisait les regards familiers.

Tous arboraient des mines graves qui convenaient aux circonstances, mais peu semblaient réellement affectés. Un premier groupe de collègues prit place deux rangs devant Erwan et ne traîna pas pour jouer sur les téléphones portables. Il reconnut aussi les Girard, les voisins avec qui ils partageaient un repas une à deux fois par an, tout en se promettant de le faire plus souvent, depuis dix ans. Puis il aperçut la vieille tante Annette qui peinait à avancer sur sa canne. Il lui avait peu rendu visite ces dernières années, mais gardait quelques tendres souvenirs d’enfance à ses côtés. Il se demanda quelle image elle avait conservée de lui. Dans son état, elle avait dû se faire violence pour assister aux obsèques, ce qui le toucha malgré tout. Il songea brièvement à aller la voir pour lui dire de rentrer chez elle et de ne pas s’inquiéter.

Puis d’autres collègues arrivèrent parmi lesquels Pierre et Bertrand très austères, suivis d’Amaury Vignot le vice-président du groupe, un type avec qui Erwan n’avait jamais eu d’atomes crochus en dehors de son activité professionnelle, mais dont on aurait cru qu’il venait de perdre son chien ce matin.

Puis les amis, les siens ou plutôt ceux de Linda, les Moreaux, les Bergers, Fanny et Jérôme et même Françoise et Guy du sud de Paris, Cécile et Marc, Jeanne, Myriam, Anthony… Erwan se demanda si certains avaient dû annuler ou déplacer des rendez-vous importants pour être présents. Ce ballet de visages familiers revêtit malgré tout quelque chose d’étrangement joyeux à ses yeux. Quelque chose de rassurant peut-être. Une légère nostalgie le traversa, tandis que le souvenir de bons moments partagés caressa sa mémoire.

Bien sûr qu’ils étaient tous là, ses collègues, ses « amis ». Comment pourrait-il en être autrement ? Ils avaient cette scène à jouer, la fameuse scène des funérailles, songea Erwan en observant les figurants qui se mettaient en place pour la cérémonie. Peut-être n’avaient-ils pas le choix. Il n’y avait plus qu’à espérer que le jeu en valût la chandelle.

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