Passé, présent, futur

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A peine arrivé chez lui, Prask enleva son masque et s'affala sur son unique chaise. Ce bal fut, comme il l'avait prévu, un enfer. Quoique... c'était encore pire que ce qu'il avait prévu. Même Lakr s'était finalement aperçu de son malaise et lui avait recommandé, quelques heures avant la fin du bal, de rentrer chez lui.

Enfin seul dans sa chambre, il commençait à se sentir à sa place. Tranquille. A cette instant, c'était tout ce qu'il souhaitait.

Il ouvrit un livre, un roman qui avait le double avantage d'être intéressant et légal. Ce qui était rare et qui, malheureusement, risquait de ne pas durer longtemps. La critique du régime totalitaire était claire lorsqu'on savait lire entre les lignes.

Il profita de ce temps calme, à l'écart du monde. Sans affaires de politique, de résistance, de préoccupations matérielles. Juste lui et un livre. Juste lui et un autre univers.

Des coups à la porte brisèrent cette douce transe. Prask grommela. cacha son livre et alla ouvrir. Arnala se tenait dans l'encadrure.

  • Arnala ? Que fais-tu là ?
  • Merci pour ton accueil, Prask, répondit sa sœur acerbe. Je peux entrer ?

Prask hésita, puis accepta d'un hochement de tête. La jeune démone s'asseya sur le lit, étrangement génée. Le ministre la dévisagea. Curieux. Ce n'était pas dans ses habitudes.

  • Que viens-tu faire ici, Arnala ? demanda Prask en se servant un verre d'eau.
  • Te tenir au courant des affaires familliales.
  • Ah oui ? Père a décidé de me réintégrer dans la famille ? lâcha-t-il, amer et sarcastique.
  • Non, reconnut Arnala. Il t'en veux encore beaucoup.
  • Comme c'est étonnant... Alors pourquoi es-tu là ? Pour me demander une place à la cour comme toutes les semaines ?
  • Non, ce n'est plus nécessaire, s'agaça sa sœur. Mais je pensais que ça t'intéresserait de savoir que je suis fiancée.

Prask s'étouffa avec son verre. La phrase de sa sœur résonait dans sa tête, comme si elle n'avais pas de sens.

  • Peut-être me suis-je trompée, fit séchement la démone en se levant.
  • Non, attends. Je... Excuse moi. Je suis simplement... étonné.
  • Ah oui ? Tu te demandes quel genre de démon s'intéresse à moi, c'est ça ?!
  • Pas du tout ! C'est juste que c'est si... soudain !

Une vague de tristesse passa dans les yeux d'Arnala.

  • Ce n'est pourtant pas nouveau. Tu le saurais si tu t'intéressait un peu à moi.

Prask se tut. Un lourd silence s'abattit dans la chambre. Le genre de silence écrasant qui blesse. Que pouvait-il dire ? Tu as raison, pardon ? C'était trop facile. Alors il détourna le regard. Sa voix était presque douce, elle disait presque pardon lorsqu'il demanda :

  • Comment s'appelle-t-il ?
  • Elwak, le bouclier rouge.

Prask haussa un sourcil. Il le connaissait de nom. C'était un jeune démon, noble et fougueux. Il était général dans l'armée impériale. Il l'avait aperçu une ou deux fois et il lui semblait qu'il était parfaitement volage. Mais bon, il était bien placé pour savoir qu'il fallait tenter de voir -delà de l'image.

  • Tu l'aimes ?
  • Il est beau et agréable.

"Mais tu ne réponds pas à la question" pensa Prask.

Arnala s'était rassise. Elle fuyait le regard d'or de Prask.

  • Tu ne me félicites pas pour ça ? dit Arnala avec un petit sourire, un peu faux.

Prask resta de marbre. Devait-il encourager cette union, dénuée d'amour ? Probablement pas. Les vraies raisons devaient être bien plus obscures.

  • Arnala. Dis moi la vérité. Est-ce père qui t'a demandé de te fiancer ?

Le silence de sa sœur fut éloquent. Le démon soupira.

  • Tu n'es pas obligée...
  • Qu'est-ce que tu en sais, Prask ? Tu n'es plus à la maison.

La réponse sortait du coeur. La jeune démone lui tournait le dos. Sa voix était faible.

  • Depuis que tu es parti, je suis celle qui doit faire perpétuer la famille. Celle qui doit l'élever dans la société. Notre frère n'est pas encore assez grand pour ça. Alors si je veux entrer à la cour, ce n'est pas juste parce que j'en ai envie. C'est parce que père me le demande.

Le ministre ne dit pas un mot. Il s'approcha d'elle et plia son grand corps pour arriver à sa taille. Elle pleurait, silencieuse. Elle plongea ses yeux pleins de larmes dans ceux de son frère.

  • C'est mon devoir. Je dois le faire.
  • Tu ne dois pas te laisser dicter tes actions. Tu es grande. C'est père qui a tort, avec ses idées datant de plusieurs siècle.
  • Tu ne comprend pas, Prask. Tu as réussi à échapper à l'emprise de père en t'enfermant dans celle de l'empereur. Je ne peux pas faire ça. Et puis, il a raison. Le futur de la famille repose sur mes épaules.
  • Je peux t'aider...
  • Ah oui ? Tu n'as même pas daigné me donner une invitation à un bal. Tu ne viens jamais me voir. Tu comprends pourquoi je ne pense pas à toi lorsque j'ai besoin d'aide.

Prask ne sut pas répondre. Elle avait raison. Il avait voulu la protéger de la cour. Mais il aurait dû se douter qu'il était inévitable qu'elle y entre un jour. Il aurait aussi dû lui parler directement des dangers de la cour. Il l'avait infantilisée. Mais elle avait changé, c'était une femme forte. Il le voyait à présent. Il était vrai qu'il avait mis de la distance entre lui et sa soeur. Peut-être fallait-il la combler.

  • Tu veux... faire une partie d'échec ? demanda-t-il maladroitement.

Arnala le regarda, surprise. Puis elle sourit faiblement, comprenant peut-être l'intention derrière cette proposition.

  • Vas-y. Comme avant.

Prask repensa à l'insousciance de l'enfance et esquissa aussi un sourire.

  • Comme avant

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