— Tu peux me foutre la paix, de temps en temps !

La pauvre Lulu s’éclipsa, surprise de l’humeur de dogue de celle qu’elle croyait son amie. Dans la loge, Cygne était effectivement à cran. Elle attendait Mod pour l’engueuler. Quelques minutes auparavant, en jetant un œil machinal au téléphone qui vibrait en l’absence de sa propriétaire, elle avait vu s’afficher : « Fantômas ». Toutes deux s’étaient déjà pas mal pris la tête avec cette affaire.

Fantômas, c’était le pseudo que Mod donnait à un malade mental, un soi-disant médecin, psychiatre sur les zones de guerre, bénévole pour un site d’écoute des victimes d’accidents de la route. La danseuse affirmait qu’il l’avait sauvée à l’époque où elle touchait le fond. Ils correspondaient depuis huit ans sans jamais s’être vus, par l’intermédiaire d’une quantité invraisemblable de textos que Mod conservait et relisait. Quand Cygne avait demandé : « Sextos, aussi ? », Mod avait rosi et acquiescé, tout en admettant ne pas croire tout à fait aux aventures de celui qui se targuait de voyages, de conférences et d’exploits au quotidien. Un héros qui promettait toujours de la rejoindre quelque part, mais en était à chaque fois empêché par une mission urgente autour du globe, le sauvetage de son frère suicidaire, les soins à sa mère cancéreuse, ou la garde de sa nièce trisomique…

— Tu vas envoyer chier ce mytho pas plus tard que tout de suite ! avait réagi Cygne, en aînée avisée.

Il avait fallu argumenter, car la jeune femme était accro à ces SMS échangés tous les jours. Elle pensait finalement l’avoir convaincue de renoncer à cette relation toxique. La veille, sous ses yeux, son amie avait envoyé le texto de rupture. Elle y annonçait qu’elle reprenait son destin en main, qu’elle était décidée à tourner la page. Pourtant le téléphone de Mod venait de vibrer sur la paillasse. Cygne entretint la flamme de sa colère en relisant les derniers mots du message reçu :

Tu nous laisses une dernière chance, comme un ultimatum. Soit. Voyons-nous. Je serai cette fois à notre rendez-vous. Manu.