Ça fait mal !

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Dès l’instant où l’homme ne rêve plus, il ferme la porte à la réalité !

(James Utopia, scribe du monde invisible).

Au petit-déjeuner, Estelle déclara sur un ton ferme et assuré :

– Je veux qu’on divorce !

Debout dans le salon, torse nu, vêtu d'un caleçon aux motifs Orangina et fixant un objet sur l'étagère à bibelots, David reçut l’expression sur la nuque. D’abord assommé, il sentit son cerveau se noyer et craquer sous la pression ; ses pensées défilèrent à toute allure, suscitant, sans qu’il en fût conscient, sa perte d’équilibre. Fort heureusement, le fauteuil l’accueillit sans dommage entre ses bras de cuir. Et puis il se remémora la veille au soir. C’était la même que les autres : calme, dîner sans heurt, café au salon devant la télé, lecture et ordinateur au lit ; une soirée ordinaire, en somme.

David tourna la tête et demanda :

– Pourquoi ?

Après l’avoir rejoint, emprisonnée dans un peignoir, la jolie blonde, taille mannequin, lui répondit avec une voix aigüe et rageuse :

– J’en ai marre ! Tu comprends ? Marre, marre et remarre ! Nous sommes mariés depuis quatre ans… et combien de fois avons-nous fait l’amour, hein ?

Le teint de sa peau devint rouge.

Il n’en avait aucune idée et se foutait de le savoir. Il n’y avait que les femmes pour se préoccuper de sexe et parler d’amour, pensa-t-il avec certitude. Par ailleurs, son métier de journaliste lui prenait trop de temps, alors, comptabiliser la fornication, ce n’était, selon lui, pas très important.

Il observa la blonde, pieds plantés dans le parquet et jambes quelque peu écartées, bras le long du corps et poings serrés ; il comprit l’urgence face à sa femme plantureuse qui ne bougerait pas d’un poil avant d’être satisfaite de la réponse. Cette posture silencieuse l’inquiétait. On ne se méfie jamais trop d’une blonde et de surcroît intelligente. Il se hasarda sur quelques chiffres :

– Cinquante ? soixante-dix ? cent fois ?...

La métamorphose du visage fut inquiétante et le teint de sa peau, jusqu’ici écarlate, prit une couleur inconnue. Elle restait là à le fixer, mue par une colère sourde, prête à bondir, quand soudain elle explosa d’un rire profond, guttural. Il en eut la chair de poule.

– T’es qu’un conard ! Une crotte de chien, un… un… et merde ! Dix fois ! Tu m’entends ? Nous avons fait l’amour dix fois en quatre ans, cracha la blonde, les deux mains levées en écartant ses dix doigts pour en signifier le chiffre.

– Oh diable ! Que le temps passe vite sur nos corps immaculés de sexe ! Si ce n’est que ce vide bestial qui t’influence dans le désir de divorcer, viens, on va baiser, ironisa-t-il en se levant du fauteuil.

Sa tête oscilla comme le balancier d’une horloge en le regardant d’un air agacé. L’ironie ainsi que le mot « baiser » n’avaient guère trouvé en elle un public enthousiaste. Ainsi, en l’espace de quelques secondes, elle se rua sur David et lui planta un bon coup de tatane dans les couilles. Le souffle coupé, la bouche grande ouverte et incapable de riposter, il tomba à genoux, vaincu, aux pieds de sa belle. Il resta là, confondu et minable, pendant de longues minutes. Au loin, dans son esprit, une porte claqua. Estelle était partie. Il lui fallut encore attendre et à respirer une bonne dizaine de fois afin que s’apaise la douleur.

Tout en se préparant, il se demandait s’il aimait cette fille à cause de son intelligence, de sa personnalité ou de son corps de mannequin. Leur première rencontre était si lointaine que ses souvenirs se perdaient dans un brouillard opaque. Toutefois, il se rappelait en détail la fierté affichée lors de ses sorties avec elle, doigts entrelacés dans les siens. Mais, ces pensées étaient une échappatoire, un leurre pour anticiper le vide de son cœur, loin d’elle. Et comme il était d’une nature prudente, s’attendant toujours au pire, cet état d’esprit lui éviterait d’être déçu ; d’accord, le coup de pied a été pour lui une énorme surprise. La prochaine blonde Estelle ne recommencerait pas de sitôt.

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